Polder
Un « polder » – terme emprunté au néerlandais – est une terre conquise sur une étendue d’eau (marine, lacustre ou fluviale) par endiguement et assèchement, généralement à des fins d’exploitation agricole ou industrielle. La configuration des polders peut varier : certains – les polders stricto sensu – sont ceinturés de toutes parts par des digues ; d’autres sont simplement séparés d’un milieu aquatique par une digue et sont donc le réceptacle des eaux intérieures ; d’autres enfin sont protégés des eaux voisines par des remparts naturels, telles les dunes, plus ou moins associés à des digues. Dans tous les cas, le niveau du sol dans un polder est inférieur au niveau maximal du plan d’eau voisin, ce qui rend indispensables la construction et l’entretien de digues.
En un millénaire, l’Europe occidentale a poldérisé sur son «littoral» environ 15 000 km2 de marais, maritimes ou estuariens. À l’échelle mondiale, les polders couvrent au moins 22 000 km2, répartis entre l’Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada) et du Sud (côte des Guyanes), l’Asie orientale (Corée du Sud et Japon notamment) et méridionale (Vietnam, Indonésie, Inde…) et l’Afrique de l’Ouest (Guinée…). Partout dans le monde, ces conquêtes ont répondu à plusieurs objectifs, parfois combinés, synonymes de mise en valeur du milieu naturel: assainir des terres humides parfois concernées par le paludisme, accroître la production agricole, étendre l’espace disponible, mieux se défendre contre la mer. Depuis le XIe siècle en Europe, on conquiert des terres sur la mer pour profiter de l’excellente qualité des sols marins (qui sont des sols argileux ou sableux, souvent riches en calcaire) et ainsi augmenter la production agricole. Les conquêtes de terre à finalité démographique ont été plus rares (comme les polders de l’Ijsselmeer aux Pays-Bas, dans les années 1960). Quant aux conquêtes à finalité purement idéologique, telles celles qui visaient à étendre le Lebensraum allemand dans les années 1930, elles n’ont été que ponctuelles. L’ampleur des conquêtes tient aussi à des raisons défensives : construire une nouvelle digue en avant de l’ancienne permettait de mieux se protéger contre la mer, par des remparts plus solides et plus hauts. Quatre conditions, généralement combinées, sont nécessaires à la réussite de la poldérisation : une main d’œuvre nombreuse et puissamment encadrée, des moyens financiers massifs, des techniques efficaces et évolutives d’endiguement et de drainage, la diffusion mondiale de ces techniques par des ingénieurs originaires de Hollande. La poldérisation a également été guidée par des conditions physiques, non uniformément réparties dans le monde : il est pratiquement impossible, sinon peu rentable, de poldériser en région sèche, du fait des problèmes récurrents de salinisation des terres liées à l’évaporation ; la poldérisation ne peut également s’opérer sur de vastes surfaces qu’en présence de matériaux sédimentaires fluvio-marins suffisamment abondants ; enfin, les sols doivent permettre la mise en culture, ce qui dépend du type de végétation antérieurement présent, notamment en milieu tropical. La maîtrise de ces nombreuses conditions, tant physiques que sociales, de création puis d’exploitation des polders explique que ceux-ci aient représenté pour de nombreux géographes du XXe siècle un modèle de maîtrise humaine de la nature et d’organisation socio-spatiale. P. Wagret écrit ainsi en 1959 : « C’est cette conquête humaine incessante, cette épopée renouvelée sans trêve ni merci qui constitue le drame souvent poignant de l’histoire des polders. Car là réside toute la différence : de « marais » offerts tels quels par la Nature, l’Homme a fait des « polders » fertiles. […] Le récit de cette création continue constitue l’un des plus passionnants chapitres de la géographie humaine et de l’histoire de la civilisation ». La poldérisation a toutefois connu un coup d’arrêt entre les années 1970 et 90 en Europe occidentale, déclinant parallèlement à l’augmentation de la production agricole et à l’essor de la protection des «zones humides».
Outre cet arrêt de la poldérisation, on observe depuis les années 1980 un mouvement inverse de dépoldérisation, c’est-à-dire de retour volontaire des polders à la mer : celui-ci se fait soit partiellement et avec un certain contrôle anthropique à travers des tuyaux, des clapets ou des écluses, soit plus directement par la création de brèches dans les digues ou, plus rarement, par des démantèlements des digues. La dépoldérisation reste une forme minoritaire de gestion du littoral, mais elle concernait au début du XXe siècle une centaine de km2 en Europe occidentale. Elle ne cesse depuis de s’étendre, sur des surfaces de plus en plus grandes, répondant à des objectifs variés, qui sont le fait d’une large palette d’acteurs publics et privés. En effet, elles n’émanent plus uniquement de l’esprit de quelques écologistes, mais répondent à de véritables enjeux et à des finalités partagées : -1. l’essor des politiques de restauration de l’environnement – on dépoldérise pour faire renaître les zones humides littorales autrefois détruites par la poldérisation -, -2. le changement climatique – on dépoldérise en réponse à l’élévation du niveau de la mer (Angleterre) ou, au contraire, comme forme de compensation environnementale à la construction de nouvelles digues (Allemagne) –, -3. le développement touristique – on dépoldérise pour favoriser l’essor du tourisme de nature (France, Pays-Bas) – -4. la mondialisation – on dépoldérise pour compenser les atteintes environnementales aux marais du fait d’un intense développement portuaire (grands «estuaires» européens). La dépoldérisation présente toutefois un visage contrasté en Europe. Celle-ci est très avancée en Angleterre, pour des raisons culturelles (l’amour de l’avifaune) et politiques (la défense contre la mer et l’adaptation au changement climatique sont des enjeux majeurs sur le littoral britannique, où l’on pratique le managed realignment). Dans les pays voisins, les obstacles au processus prédominent ; ils sont de nature culturelle et physique en Allemagne et aux Pays-Bas (la peur des tempêtes notamment), de nature sociale et juridique en France (l’attachement à la terre et le poids relativement faible des écologistes). Cela permet de comprendre le choix des dépoldérisations partielles (Allemagne) ou le simple maintien de dépoldérisations accidentelles en France, et l’acceptation difficile du retour de la mer (littoral picard, bassin d’Arcachon). Les recherches conduites sur la restauration des marais et les services associés à la dépoldérisation pourraient aider à convaincre aménageurs et populations de l’intérêt de ce mode de gestion du littoral. Dans le reste du monde, les régions d’Amérique du Nord se placent à la fin du processus de poldérisation, à un stade équivalent à celui de l’Europe pour le Canada et même au stade ultérieur d’une politique active – voire spéculative – de dépoldérisation pour les Etats-Unis. L’Asie orientale se trouve encore, a contrario, aux tous débuts de l’histoire de la poldérisation, c’est-à-dire au stade d’une politique active de poldérisation ou de remblaiement en Corée du Sud, parfois teintée d’un peu plus d’attention aux marais allant jusqu’à des prémisses de dépoldérisation au Japon. Au XXIe siècle, si l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation des tempêtes se traduiront sans doute par un accroissement des dépoldérisations accidentelles et une extension des dépoldérisations défensives dans les pays développés, il n’est pas certain que l’évolution de la conjoncture agricole à l’échelle mondiale soit favorable à un essor de la dépoldérisation dans les Suds.
En un millénaire, l’Europe occidentale a poldérisé sur son «littoral» environ 15 000 km2 de marais, maritimes ou estuariens. À l’échelle mondiale, les polders couvrent au moins 22 000 km2, répartis entre l’Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada) et du Sud (côte des Guyanes), l’Asie orientale (Corée du Sud et Japon notamment) et méridionale (Vietnam, Indonésie, Inde…) et l’Afrique de l’Ouest (Guinée…). Partout dans le monde, ces conquêtes ont répondu à plusieurs objectifs, parfois combinés, synonymes de mise en valeur du milieu naturel: assainir des terres humides parfois concernées par le paludisme, accroître la production agricole, étendre l’espace disponible, mieux se défendre contre la mer. Depuis le XIe siècle en Europe, on conquiert des terres sur la mer pour profiter de l’excellente qualité des sols marins (qui sont des sols argileux ou sableux, souvent riches en calcaire) et ainsi augmenter la production agricole. Les conquêtes de terre à finalité démographique ont été plus rares (comme les polders de l’Ijsselmeer aux Pays-Bas, dans les années 1960). Quant aux conquêtes à finalité purement idéologique, telles celles qui visaient à étendre le Lebensraum allemand dans les années 1930, elles n’ont été que ponctuelles. L’ampleur des conquêtes tient aussi à des raisons défensives : construire une nouvelle digue en avant de l’ancienne permettait de mieux se protéger contre la mer, par des remparts plus solides et plus hauts. Quatre conditions, généralement combinées, sont nécessaires à la réussite de la poldérisation : une main d’œuvre nombreuse et puissamment encadrée, des moyens financiers massifs, des techniques efficaces et évolutives d’endiguement et de drainage, la diffusion mondiale de ces techniques par des ingénieurs originaires de Hollande. La poldérisation a également été guidée par des conditions physiques, non uniformément réparties dans le monde : il est pratiquement impossible, sinon peu rentable, de poldériser en région sèche, du fait des problèmes récurrents de salinisation des terres liées à l’évaporation ; la poldérisation ne peut également s’opérer sur de vastes surfaces qu’en présence de matériaux sédimentaires fluvio-marins suffisamment abondants ; enfin, les sols doivent permettre la mise en culture, ce qui dépend du type de végétation antérieurement présent, notamment en milieu tropical. La maîtrise de ces nombreuses conditions, tant physiques que sociales, de création puis d’exploitation des polders explique que ceux-ci aient représenté pour de nombreux géographes du XXe siècle un modèle de maîtrise humaine de la nature et d’organisation socio-spatiale. P. Wagret écrit ainsi en 1959 : « C’est cette conquête humaine incessante, cette épopée renouvelée sans trêve ni merci qui constitue le drame souvent poignant de l’histoire des polders. Car là réside toute la différence : de « marais » offerts tels quels par la Nature, l’Homme a fait des « polders » fertiles. […] Le récit de cette création continue constitue l’un des plus passionnants chapitres de la géographie humaine et de l’histoire de la civilisation ». La poldérisation a toutefois connu un coup d’arrêt entre les années 1970 et 90 en Europe occidentale, déclinant parallèlement à l’augmentation de la production agricole et à l’essor de la protection des «zones humides».
Outre cet arrêt de la poldérisation, on observe depuis les années 1980 un mouvement inverse de dépoldérisation, c’est-à-dire de retour volontaire des polders à la mer : celui-ci se fait soit partiellement et avec un certain contrôle anthropique à travers des tuyaux, des clapets ou des écluses, soit plus directement par la création de brèches dans les digues ou, plus rarement, par des démantèlements des digues. La dépoldérisation reste une forme minoritaire de gestion du littoral, mais elle concernait au début du XXe siècle une centaine de km2 en Europe occidentale. Elle ne cesse depuis de s’étendre, sur des surfaces de plus en plus grandes, répondant à des objectifs variés, qui sont le fait d’une large palette d’acteurs publics et privés. En effet, elles n’émanent plus uniquement de l’esprit de quelques écologistes, mais répondent à de véritables enjeux et à des finalités partagées : -1. l’essor des politiques de restauration de l’environnement – on dépoldérise pour faire renaître les zones humides littorales autrefois détruites par la poldérisation -, -2. le changement climatique – on dépoldérise en réponse à l’élévation du niveau de la mer (Angleterre) ou, au contraire, comme forme de compensation environnementale à la construction de nouvelles digues (Allemagne) –, -3. le développement touristique – on dépoldérise pour favoriser l’essor du tourisme de nature (France, Pays-Bas) – -4. la mondialisation – on dépoldérise pour compenser les atteintes environnementales aux marais du fait d’un intense développement portuaire (grands «estuaires» européens). La dépoldérisation présente toutefois un visage contrasté en Europe. Celle-ci est très avancée en Angleterre, pour des raisons culturelles (l’amour de l’avifaune) et politiques (la défense contre la mer et l’adaptation au changement climatique sont des enjeux majeurs sur le littoral britannique, où l’on pratique le managed realignment). Dans les pays voisins, les obstacles au processus prédominent ; ils sont de nature culturelle et physique en Allemagne et aux Pays-Bas (la peur des tempêtes notamment), de nature sociale et juridique en France (l’attachement à la terre et le poids relativement faible des écologistes). Cela permet de comprendre le choix des dépoldérisations partielles (Allemagne) ou le simple maintien de dépoldérisations accidentelles en France, et l’acceptation difficile du retour de la mer (littoral picard, bassin d’Arcachon). Les recherches conduites sur la restauration des marais et les services associés à la dépoldérisation pourraient aider à convaincre aménageurs et populations de l’intérêt de ce mode de gestion du littoral. Dans le reste du monde, les régions d’Amérique du Nord se placent à la fin du processus de poldérisation, à un stade équivalent à celui de l’Europe pour le Canada et même au stade ultérieur d’une politique active – voire spéculative – de dépoldérisation pour les Etats-Unis. L’Asie orientale se trouve encore, a contrario, aux tous débuts de l’histoire de la poldérisation, c’est-à-dire au stade d’une politique active de poldérisation ou de remblaiement en Corée du Sud, parfois teintée d’un peu plus d’attention aux marais allant jusqu’à des prémisses de dépoldérisation au Japon. Au XXIe siècle, si l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation des tempêtes se traduiront sans doute par un accroissement des dépoldérisations accidentelles et une extension des dépoldérisations défensives dans les pays développés, il n’est pas certain que l’évolution de la conjoncture agricole à l’échelle mondiale soit favorable à un essor de la dépoldérisation dans les Suds.