Migration

La migration est l’une des dimensions de la «mobilité» des populations. Elle se définit par un changement de lieu de résidence assorti d’un déplacement de portée variable dans l’espace. Cette migration est couramment caractérisée comme temporaire ou définitive, elle peut être contrainte, quand le migrant ne dispose d’aucune liberté dans l’acte de migrer, ou à l’inverse non contrainte. Cette dernière apparaît alors articulée sur un différentiel entre un territoire de départ perçu à un moment donné comme plus ou moins répulsif, et un territoire d’arrivée que l’on se représente alors comme plus attractif. Ces «représentations» relèvent d’appréciations relatives qui dépendent pour partie de l’information détenue et du potentiel de mobilité dont dispose à un moment donné et en un lieu donné chaque candidat à la migration. Les dénombrements de migrants dépendent des grilles spatiales (forme et dimension des mailles territoriales) dans lesquelles ceux-ci sont effectués. 1 . Ces dénombrements sont aussi sensibles à la grille temporelle retenue (pas de temps), dans les nombreux cas de pays où n’existe pas de registre national de population. On différencie communément les migrations internes, qui se déploient sur un même territoire national, des «migrations internationales».

-Migrations internes

Les migrations internes sont pour une grande part faites de déplacements de population qui, d’un bout à l’autre d’un territoire national obéissent largement à des règles communes de redistribution géographique du «peuplement». Elles peuvent aussi relever, mais plus exceptionnellement, de déplacements contraints.
Ces migrations internes sont largement articulées sur les grandes étapes du cycle de vie : études, recherche du 1er emploi, nouvel emploi, migration professionnelle, mise en couple et rupture de couple, adaptation du logement à l’évolution des revenus, et à la taille des familles, retraite, etc. Le pic de migration résidentielle concerne en général la classe d’âge des jeunes adultes, le taux de migration diminuant ensuite régulièrement avec l’augmentation de l’âge de la population. Ces mouvements se déploient à des échelons très variés en fonction des différentiels géographiques valorisés: de déplacements sur courte distance liés par exemple à la saisie d’une opportunité sur le marché local du logement, à des déplacements plus longs en relation le plus souvent avec des oppositions inter ou infra régionales : il s’agit par exemple de départs de campagnes plus ou moins surpeuplées en direction de régions industrielles et/ou urbaines attractives, (mouvements dits d’exode rural) ou à l’inverse, d’abandons de zones de peuplement dense pour la recherche de cadres de vie plus proches de la nature ( mouvements dits de péri urbanisation) ou encore de mouvements des jeunes générations qui, misant sur les potentiels culturels et économiques des métropoles, sont enclines à privilégier un mode de vie métropolitain. Des réseaux d’interconnaissance et d’information favorisent souvent l’exploitation que font les migrants de ces différentiels. Les déplacements que ces changements résidentiels occasionnent sont d’autant plus nombreux que les «distances» sont courtes. Notons enfin que, pour un territoire donné, la mobilité migratoire d’ensemble fluctue au cours du temps et qu’à un moment donné, cette mobilité varie d’un territoire à un autre . 2
Dans les migrations internes, les migrations contraintes (sont d’ampleur très inégales. Les expropriations en tous genres sont d’autant plus brutales que les habitants sont pauvres et juridiquement démunis (opérations d’urbanisation, modification brutales des usages du sol). Parfois, les guerres et les catastrophes naturelles interviennent à leur tour pour pousser les populations à quitter leurs attaches.
De très nombreuses approches se sont centrées sur la recherche des déterminants individuels pouvant expliquer les choix migratoires (Portes 2013). Certaines d’entre elles ont pu introduire parmi ces déterminants des caractéristiques spatiales de contexte, susceptibles de jouer un rôle dans la détermination du migrant. Cependant très tôt, l’attention des géographes a été retenue par la structuration spatiale des mouvements migratoires. Dès le XIXe siècle Ravenstein (1885) avait remarqué une géométrie particulière des flux migratoires entre comtés en Grande-Bretagne avec une relative symétrie des flux d’échanges entre deux lieux, et une intensité croissante du nombre des déplacements avec la proximité des zones les plus peuplées. D’où la suggestion faite par quelques auteurs du milieu de XXe siècle de transposer par analogie la notion de force d’attraction à celle d’intensité d’«interaction» suscitant un flux d’échange entre zones géographiques. Cette transposition a donné lieu au développement de modèles gravitaires dont l’objet est de rendre compte de la répartition des flux migratoires sur un territoire donné. Ces modélisations sont un bon outil de restitution des régularités de la géographie des flux les plus banals qui structurent les interdépendances sur un territoire relativement isotrope (Courgeau D., 1988, Pumain D. Saint-Julien Th., 2010). Elles permettent aussi de séparer les flux les plus banaux, des flux spécifiques qui échappent aux règles d’ensemble introduites dans ces modèles. Ces derniers flux se manifestent par des sur ou des sous migrations, toujours significatives de barrières ou à l’inverse, de préférences qui, à un moment et sur une direction donnés, ont intensifié ou à l’inverse, freiné, la migration.

-Migrations internationales

Les migrations internationales correspondent en général, aux portées migratoires les plus longues et recèlent en outre un contingent de déplacements contraints. Ces migrations sont très incomplètement connues car, en général, les Etats ne recensent systématiquement que les entrées légales d’étrangers sur leur territoire. En 2005 les Nations-Unies évaluent à 191 millions les migrants et personnes déplacées, soit finalement seulement 3% de la population mondiale (dont un tiers de migration familiale et un tiers de réfugiés). L’immigration illégale échappant à tout dénombrement direct, a pu être évaluée en 2005 à quelques 25 millions des personnes. Les grands courants de migrations transcontinentales sont très anciens. La mondialisation des flux migratoires qui s’est affirmée depuis les années 80, s’est assortie d’une diversification, d’une intensification et d’un élargissement de ces flux à la planète entière, brouillant en partie les schémas traditionnels de véritables filières migratoires héritées de l’histoire coloniale. En 2005, les migrants de pays en développement vers d’autres pays de même catégorie étaient à peu près aussi nombreux que ceux qui se rendaient de pays en développement vers des pays développés. Notons aussi que les trois quarts des réfugiés sont installés dans un pays en développement, voisin du leur.
Au-delà des migrations contraintes liées aux guerres, à l’insécurité, aux désastres climatiques, et aux persécutions, cette intensification correspond à une recherche multiforme de conditions de vie supposées meilleures et secondairement, à une accélération des migrations professionnelles qui accompagnent la mondialisation de l’économie et des savoirs. Au cours des dernières décennies les facteurs d’attraction auraient gagné en puissance sur les facteurs d’émission (Wihtol de Wenden C. 2013). Les plus grandes métropoles sont des points majeurs d’attraction de ces courants plus ou moins mondialisés.
En dépit de la tendance à la «mondialisation» des échanges, les chemins de la migration demeurent relativement spécifiques. Si les recherches relatives aux déterminants de la migration ont aussi labouré le champ des migrations internationales (Portes 2013), en revanche ces dernières se laissent difficilement enfermer dans des modélisations spatiales ; les différentes barrières et frontières qui s’interposent sur le déploiement de ces différents échanges et les nouvelles frontières que ces flux engendrent sont ici incompatibles avec quelque hypothèse d’«isotropie» de l’espace.

-La migration une notion aux contours devenus plus flous

Désormais, les contours de la notion de migration, que celle-ci soit interne ou internationale, tendent à devenir plus flous. Certes, les travaux sur les «diasporas» construites à partir de migrations internationales ont déjà attiré l’attention sur l’importance des mises en réseau engendrées par les échanges migratoires (Bruneau 2004). Désormais le développement de la pratique de la bi ou de la pluri résidence touche toutes les catégories de migrants, et plus particulièrement celle des migrants internationaux. Pluri-directionnel, le mouvement migratoire relie des espaces différents, par des flux de personnes et aussi des transferts de biens, de capitaux ou d’informations (Weber 2007, Cortes et Faret 2009) remettant partiellement en cause les binômes exclusion/inclusion ou encore espace d’origine/espace d’installation. Les notions de « circulation migratoire » ou de « migrant circulant » renvoient à la migration perçue comme un mouvement entre au moins deux sédentarités. Ces circulations migratoires annulent des frontières, en redessinent d’autres, dans une dynamique transnationale qui place les sociétés face à de nouveaux questionnements. Ajoutons que, dans la migration internationale des plus pauvres, le binôme origine/destination peut aussi perdre de sa lisibilité quand des incertitudes planent sur la destination du déplacement et sur sa durée. Le migrant est alors vu comme une personne en transit, mais un transit qui peut durer. Pour toutes ces raisons nombre d’auteurs souhaitent prendre leurs distances avec l’approche de la migration par des déterminants structuraux. Ils suggèrent même de ne plus strictement définir les appartenances en termes d’identités nationales quand des collectifs migrants aspirent certes à une intégration sociale et économique sans pour autant se définir en référence à la société dans laquelle ils résident et travaillent. Quelques auteurs comme A. Portes (1999) ou W. Berthomiere et M.A. Hily (2006) croient reconnaître la formation de véritables «communautés transnationales». Les politiques de gestion, d’accompagnement ou plus souvent aujourd’hui, de contrôle des migrations internationales, restées largement corsetées dans les cadres nationaux apparaissent souvent inadaptées aux évolutions d’un phénomène migratoire directement inscrit dans les dynamiques de la mondialisation et qui échappent au stricts cadres nationaux. La construction de murs, l’un des derniers avatars de ces tentatives nationales de mise sous contrôle des mouvements migratoires internationaux, est revenue « à la mode », témoignant de cette crispation sur la fermeture nationale.

Notes

  1. Selon B. Baccaïni (2007), en France en 2004, un changement de logement est à l’origine d’un taux de migration interne de 12%, un changement de commune fait passer ce taux à 7,3%, de département à 3,1% et de région à 1,9 %.
  2. Selon B. Baccaïni (2007), le taux de mobilité résidentielle a fluctué depuis une quarantaine d’années en France. Il est passé de 10% durant les années 1968-1975, à moins de 9% entre 1982-1990, pour remonter à 12% au début des années 2000, ce qui le place très en deçà du taux américain qui est alors à 20%. Autre exemple, le taux de mobilité résidentielle calculé en Europe par exemple pour le groupe des 50-59 ans est d’après A. Laferrère (2009) supérieur à 4% en Suède et au Danemark, voisin de 2,5% en France et en Allemagne, et égal ou inférieur à 1% aux Pays-Bas.
 

Références
-Baccaïni B. 2007, « Les flux migratoires interrégionaux en France depuis cinquante ans », Population 1/2007 (Vol. 62), p. 143-160.
-Berthomiere W. Hily M.A., 2006, « Décrire les migrations internationales », Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 22 - n°2 | mis en ligne le 01 juin 2009, consulté le 30 octobre 2013. URL : http://remi.revues.org/2819
-Bruneau M., 2004, Diasporas et Espaces transnationaux, Paris, Economica (Anthropos Ville), 249 p.
-Clifford J.,1997, Routes, Travel and translation in the late XXth Century, Cambridge, Harvard University Press, 408 p.
-Cortès G. et Faret L., 2009, Les circulations transnationales, Lire les turbulences migratoires contemporaines. Paris, Armand Colin, 245 p.
-Courgeau D., 1988, « Méthodes de mesure de la mobilité spatiale : Migrations internes, mobilité temporaire, navettes », Paris, Ined, 301 p.
Portes A. (1999) La mondialisation par le bas. L’émergence des communautés transnationales, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 129, pp. 15-25.
-Portes A., 2013, Les théories migratoires contemporaines au prisme des textes fondateurs. Population, vol 68, 1, 153-178..
-Pumain D. , Saint-Julien Th., 2010, Analyse spatiale Les Interactions, Armand Colin, coll. « Cursus », 2e édition, 217 p..
-Ravenstein E. G. 1885, The law of migration. Journal of the Royal Statistical Society, 48, 167-227.
-Simon G., 2008, La planète migratoire dans la mondialisation. Paris, Armand Colin, 255 p.
-Weber S., 2007, Nouvelle Europe, Nouvelles migrations : frontières, intégration, mondialisation. Éditions du félin, 118 p..
-Wihtol de Wenden C., 2013, La question migratoire au XXIe siècle: migrants, réfugiés et relations internationales. Paris : SciencesPo, Les Presses, 2e édition actualisée, 266 p.