Walter Isard
-FORMATION
Né un 19 avril 1919 à Philadelphie, de parents immigrants, Walter Isard est décédé le 4 novembre 2010 ; une longue vie, dynamique, et bien remplie. Grâce à une excellente scolarité, qui lui permet d’obtenir des bourses d’études, il peut fréquenter l’Université Temple, puis celle de Harvard et de Chicago. C’est à Harvard qu’il rencontre Alvin Hansen, un professeur spécialiste des théories de la localisation, qui l’a beaucoup influencé pour l’orientation de sa carrière et pour sa thèse sur « La construction des cycles et le développement des transports ». Parmi ses influences majeures de jeunesse, citons Wassily Leontief, futur prix Nobel d’Economie, qui développe les analyses matricielles dites d' »input-output »… et lui donne ce désir de rendre plus scientifiques les sciences humaines grâce au traitement de données multiples.
-LA SCIENCE REGIONALE
Autre influence familiale, sa religion. Etant quaker, W. Isard devient objecteur de conscience. On ne peut comprendre sa carrière sans cette culture. D’ailleurs pendant la Seconde Guerre mondiale, il est aide-soignant dans divers hôpitaux américains, ce qui lui laisse le temps de traduire en anglais des textes et ouvrages de Von Thünen, Alfred Weber, Walter Christaller, Andreas Predöhl, August Lösch… qu’il va utiliser et diffuser.
Sa carrière après la Seconde Guerre mondiale se poursuit à l’Université de Pennsylvanie où il va créer un département de Science Régionale (1958), après avoir lancé une Association de Science Régionale en 1954. Dans ce Département vont se retrouver des économistes et des géographes « régionalistes », dans une ambiance conviviale, Thomas Reiner, Ben Stevens, Ron Miller, Julian Wolpert, chacun apportant sa contribution autour de celle du « maître » W. Isard ; une nouvelle discipline était née. Il faut dire que la Science Régionale répondait, dans la période de l’après-guerre, à un besoin de société. Il fallait reconstruire les pays dévastés, bâtir une économie nouvelle aux Etats-Unis, à l’abri des risques militaires… trouver des localisations stratégiques, dans un contexte de guerre froide…
Walter Isard n’en oublie pas sa religion quaker, en créant, en parallèle de la Science Régionale, une « Science de la Paix ». C’est à Malmö, en 1963, qu’il fonde l’Association « Science de la Paix » avec ses collègues Kenneth Boulding et Amos Rapoport ; elle aura son siège également à l’Université de Pennsylvanie pour analyser les conditions de paix et de gestion des conflits dans le monde (Peace Science Society International).
L’Association de Science Régionale 1 va se développer sur tous les continents où Walter Isard tenait des congrès réguliers, et modifier les démarches des sciences sociales. Même si la discipline est dominée par l’abstraction et la modélisation, héritées de l’économie, les travaux sont variés et souvent très appliqués aux problèmes de développement et de convergence régionaux, ainsi qu’aux études de localisation des activités économiques. Cinq revues internationales complémentaires de science régionale, en anglais, voient le jour : Papers in Regional Science, Annals of Regional Science, International Regional Science Review, Journal of Regional Science et Regional Science and Urban Economics. Des collections d’ouvrages sont publiées chez les grands éditeurs Springer, Elsevier, Blackwell, Economica… autour de trois grands thèmes : les théories de la localisation, les méthodes d’analyse régionale et spatiale, les politiques de développement régional.
Les ouvrages fondamentaux de Walter Isard, Location and Space Economy (1956), Methods of Regional Analysis (1960), tout comme celui de William Alonso, Location and Land Use (1965), favorisent un enseignement structuré autour de méthodes précises, calculs matriciels, programmation linéaire, multiplicateurs économiques… Ce qui rapprochait la Science Régionale de l’économie 2, et l’éloignait de la géographie classique… W. Isard est resté fidèle à son souci de rigueur, tout en étant un humaniste convaincu, qui savait recevoir ses étudiants chez lui, en leur jouant au piano du jazz classique (souvent accompagné à la basse par Ben Stevens) et en leur offrant gite et couvert… un côté amical qu’il conservera jusqu’à la fin de sa vie.
-LA CRISE
Avec le développement des politiques libérales, depuis l’ère Thatcher en Grande Bretagne et Reagan aux Etats-Unis, la Science Régionale, ne répond plus aux attentes du politique. Il n’y a plus de guerre froide, mais un libéralisme ambiant qui ne permet plus à la Science Régionale de trouver des fonds de recherche et les étudiants sont moins nombreux. La planification régionale est remplacée par le libre marché dans de nombreux pays. Le département de Science Régionale de l’Université de Pennsylvanie ferme en 1994 (comme d’autres en France). W. Isard aurait pu rester à la réputée Wharton School of Economics, mais dans ce contexte il préfère partir au Cornell College (où il enseignait déjà) et où il restera pour la fin de sa carrière académique.
-LA SCIENCE DE LA PAIX
La Science de la Paix le suivra dans cette institution de haut niveau. Depuis 2005, un prix pour la Science de la Paix, financé par W. Isard (Walter Isard Award), récompense de jeunes étudiants pour leurs travaux de doctorat, ce qui illustre son attachement à ses étudiants. W. Isard a également fondé le Network of European Peace Science (N.E.P.S.) et le Asian Peace Science Network (A.P.S.N.), dédiés aux pays en développement. La Peace Science Society se consacre d’ailleurs beaucoup aux pays pauvres et en conflits, avec pour W. Isard ce lien fondamental entre contexte culturel, organisation sociale et développement économique. Les principes de négociation et de médiation sont centraux dans son analyse des théories de la coalition, en tenant compte des idéologies des groupes en conflit et des conditions socio-économiques.
Toute la fin de sa carrière fut dédiée à cette Peace Science, en restant un guide pour la Science Régionale. On comprend ainsi le sens de sa vie : homme de paix, rigoureux, mais humain, proche de ses étudiants, fondateur de deux disciplines connexes, la Science Régionale et la Science de la Paix.
Antoine Sylvain Bailly et Renato Scariati
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Notes
- Plus de 5000 chercheurs sont aujourd’hui membres de la Regional Science Association, faîtière d’associations continentales comme l’European Regional Science Association, qui chaque année organise en Europe des colloques réunissant près de 1000 conférenciers, et associations nationales ou linguistiques comme l’Association de Science Régionale de Langue Française qui publie une Revue d’Economie Régionale et Urbaine, en plus de ses colloques annuels et de ses universités d’été pour la formation des jeunes doctorants des pays francophones.
- « We need to pry into the space economy with welfare considerations in mind to relate spatial structures to social well being and to introduce political variables and policy decisions… » (Isard, 1956, p. 287)