Artificialisation
Artificialisation
On peut distinguer deux définitions majeures de l’artificialisation des sols qui délimitent des espaces géographiques très différents. La première définition est la définition générale qui correspond au fait d’humaniser l’environnement (Pinchemel et Pinchemel, 1988). L’artificialisation dans le sens large correspond à l’inscription de centres, de routes, et même de champs pour favoriser l’activité humaine et se protéger des aléas. Ainsi, « il y a artificialisation lorsque les sociétés introduisent dans les cycles naturels des produits extérieurs, ont recours à des procédés qui altèrent le fonctionnement du milieu » (Pinchemel et Pinchemel, 1988). On parle ainsi de l’artificialisation agronomique, hydraulique, mais aussi forestière. Dans sa thèse de doctorat sur la Flandre Raoul Blanchard (1906) décrit ainsi l’histoire de la conquête par l’homme de la plaine maritime (Gallois, 1906). Les champs cultivés, de nombreuses zones humides, de nombreux bassins versants, une grande proportion des forêts ont été aménagées et les fonctionnements des milieux ont été modifiés pour améliorer la production agricole, faciliter l’accès à l’eau, réduire les inondations, installer des villes et infrastructures de transport. Toutes ces actions modifient le fonction du milieu. Selon cette définition la France métropolitaine est un territoire presque intégralement artificiel et il y aurait de nombreux débats pour identifier les portions de territoires qui ne le sont pas. La deuxième définition que nous développons ici est celle qui est mobilisée lors des débats sur l’artificialisation ou la désartificialisation des sols. Cette définition est plus restreinte que la première, puisqu’elle considère que les espaces agricoles et les espaces naturels ne sont pas artificiels.
Selon cette définition, l’artificialisation des sols est le processus de transformation d’un sol non inclus dans l’espace urbanisé et à usage agricole ou naturel en un sol à usage non agricole et non naturel. Une grande partie de l’artificialisation des sols se produit en bordure des villes, lorsque la ville s’étale sur la campagne environnante et qu’on appelle l’étalement urbain. Mais l’artificialisation concerne également la construction d’infrastructures de transport, telles que des routes et voies ferrées, d’usines hors espace urbain, de décharges ou encore de golfs ou de parcs de loisirs ou d’attraction. L’artificialisation est donc le retrait de terres agricoles ou naturelles en pleines terres pour des usages anthropiques non agricoles.
Le terme d’artificialisation est parfois confondu avec celui-ci d’urbanisation (ou métropolisation) ou d’imperméabilisation parce que les processus sont liés même s’ils sont différents. En effet l’urbanisation – processus d’accroissement des villes – participe à l’artificialisation mais n’intègre pas la construction d’infrastructures en zones non urbanisées. L’imperméabilisation quant à elle décrit la transformation d’un sol perméable en sol non perméable c’est-à-dire qui empêche l’écoulement de l’eau dans le sol. Souvent l’artificialisation des sols s’accompagne d’une imperméabilisation des sols mais ce n’est pas systématique. Par exemple Si la construction de route goudronnée en espace rural est une artificialisation et une imperméabilisation, la construction d’un lotissement de pavillons en bordure de ville est un processus d’artificialisation et d’urbanisation mais l’imperméabilisation sera partielle puisque les jardins permettront de conserver des espaces où l’eau pourra s’infiltrer dans le sol.
Pour définir précisément ce qui entendu par le terme d’artificialisation des sols, on peut examiner les catégories de sols classés en terres agricoles, naturelles et artificielles dans les différentes sources de données européennes, nationales ou régionales telles que Corine Land Cover (CLC), Teruti-Lucas ou le MOS de l’Institut Paris Région, ce qui permet de comprendre comment ce terme est compris et utilisé par les professionnels. Si pour la plupart des cas il y a convergence d’interprétation, il est des catégories plus discutées telles que les parcs urbains ou les jardins familiaux en ville, qui si ces espaces sont indéniablement urbains, peuvent avoir une fonction agricole à usage familial ou une certaine biodiversité. Inversement, dans l’espace non urbain également il peut y avoir débat sur la classification des carrières non exploitées ou encore des champs recouverts de panneaux solaires, dont la fonction n’est plus agricole. Pour mieux comprendre ces points de discussion, il faut revenir à l’origine du terme et à son évolution.
-De l’agriculture à la protection des espaces naturels
Si des géographes parlent d’artificialisation agronomique (Pinchemel et Pinchemel, 1988, p315) en incluant le territoire agricole dans l’espace artificialisé, le terme d’artificialisation, dans son acception actuelle, a été introduit par les agronomes français un peu avant 1990 pour suivre l’évolution de la quantité de terre utilisée pour la production agricole, dans un contexte de déprise agricole. L’espace est ainsi partitionné en trois catégories : une catégorie dite artificielle, une catégorie agricole correspondant aux espaces gérés pour une production agricole à récolte annuelle et enfin une catégorie naturelle regroupant le reste des sols non artificialisés (Slak et Vidal, 1995). Les auteurs précisent que cette dernière catégorie naturelle inclut les alpages et les forêts qui sont souvent gérés pour la production agricole. Dans cette classification, les espaces artificialisés sont considérés comme des espaces perdus pour une agriculture productive, en pleine terre. Par contre l’espace naturel est un espace qui pourrait être conquis pour des besoins agricoles. Ce terme artificiel a été progressivement utilisé dans la base de données agricoles TERUTI, produite par le service des données et statistiques du ministère de l’agriculture, dans Corine Land Cover et actuellement dans de nombreuses bases de données d’occupation des sols. Ainsi les espaces urbains verts sont considérés comme artificiels car ils ne pourront pas être utilisés pour une production agricole annuelle, de même que les golfs, même s’ils ne sont pas compris dans une zone urbanisée. Les carrières sont également considérées comme espace artificiel parce que les sols sont pollués et ne peuvent en principe pas être utilisés à des fins agricoles.
Dans le contexte de la préservation de la biodiversité et de la lutte contre les effets du changement climatique, le terme d’artificialisation est revenu au-devant de la scène depuis 2015: une expertise collective commandée par les ministères de l’environnement, de l’agriculture et de l’ADEME en 2015 a permis de synthétiser les connaissances sur la mesure, les déterminants et les conséquences de l’artificialisation (Bechet et al., 2017) (Desrousseaux et al., 2019), le plan biodiversité en juillet 2018 du gouvernement vise à la mise en œuvre de l’objectif de zéro artificialisation et même la convention citoyenne pour le climat souligne qu’il faut ‘lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain’ (CESE 2020, p295). Ainsi le terme d’artificialisation des sols se révèle fort utile non seulement pour les terres agricoles mais également pour les espaces naturels qu’il faut préserver en évitant l’expansion des villes et des activités humaines sur tout le territoire. Ce nouveau regard sur l’artificialisation des sols renforce la définition initiale. Dans ce contexte, effectivement les parcs urbains, golfs ou parcs d’attraction, même s’ils sont végétalisés et très utiles au bien être humain, ne sont ni des espaces agricoles ni des espaces propices à la protection de la biodiversité. La façon de bien saisir la notion d’artificiel ou non artificiel est donc bien de se poser la question de la qualité du sol, de son occupation et de son usage et non uniquement de son usage à un instant t. Ainsi une ferme urbaine doit être considérée comme espace artificiel, même si elle participe à de la production agricole car ce n’est pas un champ agricole en pleine terre. Le sol artificiel est donc un sol à usage anthropique, pollué, dégradé, qui aurait perdu une part de sa biodiversité et donc son potentiel pour de l’agriculture en pleine terre ou pour la préservation de la biodiversité.
-Enjeux, débats et Champs de recherche
En suivant l’analyse détaillée proposée dans (Bechet et al., 2017) on peut décomposer les questions de recherche liées à l’artificialisation en quatre groupes de questionnements : Comment mesurer l’artificialisation et modéliser son évolution ? Quels sont les déterminants ? Quelles sont les conséquences ? Quels sont les leviers d’action pour limiter l’artificialisation ?
La mesure de l’artificialisation est un enjeu majeur parce que la France s’est engagée à limiter l’artificialisation, jusqu’à atteindre un ‘zéro artificialisation’, autant pour la préservation des terres agricoles que pour la préservation de la biodiversité. Le premier enjeu est donc d’être capable de la mesurer régulièrement pour suivre son évolution. La mesure de l’artificialisation est une question en soi, parce que les estimations de l’artificialisation des terres en France sont assez différentes d’une source à une autre même si les évolutions sont globalement cohérentes (9,3% du territoire en 2014 selon Teruti-lucas et 5,6% en 2012 selon CLC). Mais ces sources de données sont très différentes : la base de données Teruti-Lucas est statistique à partir de points sondés, elle ne peut donc pas être cartographiée, la base de données européenne Corine Land Cover permet une cartographie de l’artificialisation mais la sous-estime en raison de seuils de saisie géométrique un peu trop grands. Par ailleurs des observatoires régionaux produisent des bases de données d’occupation des sols en ayant chacun leur protocole de saisie et leur propre définition du terme. La principale difficulté est donc véritablement de s’accorder sur le sens du terme et de trancher sur la pertinence des seuils de saisie : qu’est ce qui est considéré comme artificiel et à partir de quelle surface artificielle du monde réel faut-il créer un polygone de type ‘artificiel’ dans une base de données ? Des difficultés apparaissent pour des terres ayant potentiellement une double fonction. Comment classer par exemple un champ en pleine terre recouvert d’éoliennes ou de panneaux solaires ? Faut-il ajouter un critère de densité d’équipements ou considérer que la production d’énergie à elle seule suffit à classer ces champs en espaces artificialisés ? Si on s’appuie sur la définition générale de Pinchemel, si les éoliennes et les panneaux solaires modifient sensiblement le fonctionnement du milieu, alors il faut considérer ces champs comme artificiels.
Au-delà de la définition et de l’organisation de la saisie, les questions de recherche liées à la mesure concernent d’une part l’aptitude des sources et méthodes pour le calcul de l’artificialisation et d’autre part la conception et pertinence de modèles de simulation de l’évolution de l’artificialisation. A niveau des sources et méthodes, on trouve de nombreux travaux visant à détecter la tâche urbaine à partir d’images et de méthodes de classification. Au niveau de la simulation, les modélisations d’automates cellulaires (Clarke et al., 2007), à base d’agents, de réseaux de neurones ou encore les modélisations fractales sont les modèles les plus utilisés au cours des deux dernières décennies pour simuler l’évolution d’un territoire urbain selon différents scénarios et horizons temporels. Ces modèles sont le plus souvent des modèles d’étalement urbain et non d’artificialisation. Lesmodèles de simulation peuvent être basés sur des statistiques d’évolution du passé ou sur la prise en compte de variables considérées comme des déterminants majeurs.
L’enjeu suivant est donc de comprendre les déterminants et la dynamique de l’artificialisation. C’est un phénomène mondial, moindre en Europe qu’en Asie ou aux Etats unis, et en Europe, la France se situe dans la moyenne européenne (Guérois et Pumain, 2017). Mario Polèse (2017) constate pour la France qu’entre 1954 et 2010, l’espace urbanisé a crû en moyenne quatre fois plus vite que la population, la raison principale étant la baisse de la taille moyenne des ménages, la croissance et l’augmentation du nombre de mètre carré par habitant en fonction du niveau de revenu. L’accroissement de l’habitat s’accompagne d’une augmentation des réseaux de transports et des zones commerciales et d’entrepôts qui participent à l’artificialisation des sols.
La limitation de l’artificialisation est également un sujet de recherche pouvant être étudié selon des points de vue économiques, juridiques ou urbanistiques, par la planification ou la fiscalité foncière. En effet différents leviers existent pour freiner l’artificialisation dont la revitalisation et végétalisation des centres villes, la rénovation des logements anciens, le conditionnement des aides d’accès à la propriété sur des critères urbains (localisation, densité), la limitation ou l’interdiction de construire sur certains espaces à l’aide de politique de zonage ou l’augmentation du prix des terres agricoles. Une autre piste serait de communautariser le sol pour permettre à l’Etat de préserver la capacité des services écosystémiques offerts par un sol non artificialisé de façon contraignante ou incitative (Billet, 2019).
Pour finir de nombreuses recherches étudient les conséquences de l’artificialisation telles que les inondations, la pollution de l’eau et des sols, l’augmentation de la chaleur provoquée par les surfaces minérales et les activités, la perte de biodiversité et la fragmentation des territoires (Bechet et al., 2017), rejoignant ainsi la définition plus large de l’artificialisation centrée sur la modification du fonctionnement des milieux.
voir aussi: espace rural
Anne Ruas