Cadastre

Le cadastre est un registre des parcelles d’une zone, avec une évaluation de leur valeur dans le dessein de permettre le calcul de l’imposition. L’objectif du cadastre est donc d’abord fiscal. Cela sous-entend que le calcul de l’impôt est pensé en fonction des surfaces, ce qui peut bien correspondre à des sociétés rurales. A minima, la description contenue dans les cadastres prend la forme d’un tableau qui associe à chaque parcelle une valeur pouvant être perçue par une autorité quelle qu’elle soit. Cette valeur est le plus souvent associée à une forme d’exploitation qui peut être plus ou moins détaillée de façon à affiner l’évaluation des sommes à percevoir. Ce tableau peut s’enrichir d’une description de la parcelle plus ou moins large, par exemple, l’exploitation pour la culture agricole, jusqu’à la forme de la parcelle qu’elle soit à déterminer par le voisinage des parcelles qui la bordent, ou par une description de nature géométrique de ses limites. Dans certains cas ce tableau peut être accompagné de figures, qui représentent soit chaque parcelle séparément, soit plusieurs parcelles ensembles. Le cadastre peut indiquer les formes de la possession qui correspondent à la parcelle. On peut alors y trouver des indications sur les statuts des différents individus étant en relation avec ces parcelles : aujourd’hui on parlerait aisément de propriété. Le cadastre est donc à voir comme une source majeure des relations que les sociétés qui les utilisent entretiennent avec les régions dans lesquelles elles vivent. Par métonymie, le cadastre peut être l’institution fiscale en charge de l’élaboration, de la mise à jour, et de la conservation des cadastres.

Dans le cas de la France, le cadastre le cadastre connaît deux périodes, le cadastre dit « napoléonien » qui correspond à la première moitié du XIXe siècle, et le cadastre moderne, principalement après le premier tiers du XXe siècle. Pour chaque commune comprend :

Un plan parcellaire par section de commune, originellement établi à une échelle qui varie selon les densités entre le 1/5000 et le 1/1250e et un tableau d’assemblage qui permet la réunion des plans de section. S’y ajoute un recueil, sous forme tabulaire, donnant un état des sections par ordre topographique, et parcelle par parcelle, les noms des propriétaires en possessions au moment de l’exécution de la mise à jour, la nature de culture, la contenance et diverses indications de nature fiscale. S’y ajoute une matrice par ordre alphabétique des propriétaires (Bloch, 1929).

 

L’étymologie du terme cadastre montre combien l’évidence du plan dans certaines zones ne s’est imposé que tardivement « Emprunté au provencal, attesté sous la forme cathastre (libre del) en 1525 […], cadastre, emprunté lui-même à l’italien. catasto, catastro […] issu du vénitien catastico dès 1185 « liste de citoyens possédant une propriété imposable » […].), lui-même emprunté au grec byzantin (VIIIe-XIe s.) « compte [ : ligne par ligne] des taxes tenu par un collecteur. » (CNRTL https://www.cnrtl.fr/definition/cadastre ) La première utilisation connue d’un cadastre dans le bassin méditerranéen serait due à l’un des Sesostris, lignée de souverains égyptiens auquel Hérodote attribue l’invention. « Ce roi, d’après les prêtres partagea le sol entre tous les Égyptiens, attribuant à chacun un lot égal aux autres, carré, et c’est d’après cette répartition qu’il établit ses revenus, prescrivant qu’on payât une redevance annuelle. S’il arrivait que le fleuve (le Nil) enlevât à quelqu’un une partie de son lot […], lui, envoyait des gens pour mesurer de combien le terrain était amoindri afin qu’il fût fait […] une diminution dans le paiement de la redevance. […]. » (Hérodote, trad. 1948). Mais la lecture du fameux pétroglyphe de Bedolina dans le Val Camonica (province de Brescia, Italie), par certains spécialistes permettrait de déplacer les premiers cadastres parcellaires entre l’âge de Bronze et l’âge du Fer (Brocard, 2005). Quant à la répartition dans le monde, l’exemple du « Plano de papel de Maguey » montre que des cartographies de ce type existaient avant la conquête espagnole dans la vallée de Mexico (Mundy, 1998). Il ne s’agit ici que des cadastres avec plan, quant aux registres ils existaient probablement dans d’autres lieux même si les archives n’en n’ont pas toujours conservé la trace. De ce point de vue, le cadastre est à voir comme l’un des éléments probablement constants de la structuration des relations entre sociétés, appropriation et exploitations des sols.

Si l’on tente une rapide histoire du cadastre en Europe, la première difficulté vient d’un autre usage métonymique du mot cadastre qui fait de certains parcellaires organisés, au sein desquels on trouve des régularités des cadastres. On aurait dans ce cadre des cadastres dès le VIe siècle avant notre ère (par exemple Galina, 2006), mais la relation avec un document de l’époque n’est avérée que lors de rares cas, comme celui du cadastre d’Orange découvert au XXe siècle et qui daterait de 72. En occident, on garde la trace de documents ecclésiastiques permettant le recouvrement de l’impôt, ou au moins la bonne gestion d’un domaine sous la forme de polyptyques ou de censiers, dès l’époque carolingienne. Ceux-ci pourraient dériver, selon Robert Fossier, du cadastre romain (Fossier, 1978). Dans la France du Moyen Âge naissent de nouvelles typologies telles que compoix (ou compoids) et estimes au sud et terriers au nord (Abbé, 2017 ; Rigaudière, 2006). Si la cartographie fiscale existe auparavant, elle ne se déploie réellement qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles en se concentrant principalement dans une zone qui couvre Suède, Finlande États Allemands, Pays-Bas, Royaume-Uni, France, Autriche, Hongrie, Italie (Touzery, 2007 ; Verdier, 2015). L’un des plus beaux exemples de cadastre de cette période est le cadastre savoyard de 1738 dont les planches sont bien connues. C’est entre le second tiers du XVIIe et la première moitié du XIXe siècle que la question du rôle juridique du cadastre est posée. L’explication est probablement double, d’un côté la période est celle ou s’opère une grande mutation agraire dans certaines régions d’Europe, sous la forme du passage de champs ouverts à un système d’enclosure. D’un autre côté la période voit se façonner le concept moderne de propriété avec une remise en cause des équilibres sociaux issus de systèmes communautaires anciens. Au total, le cadastre va, dans certains pays devenir en plus de ses fonctions fiscales le lieu d’enregistrement de la propriété. Ce moment, qui voit se mettre en place un cadastre à l’échelle du pays est aussi celui de l’unification des formes par la puissance publique. Dans les pays où le cadastre était conçu comme devant lier registres et figuration cartographique, le projet de cadastre national fut parfois, comme dans le cas de la France au XIXe siècle ou celui de l’Espagne au XXe siècle, conçu comme devant participer à un projet plus vaste de cartographie précise du pays (Por-Juiz, 2008).

La question de la projection des planches du cadastre a été, au début du XIXe siècle en France, une question vive. Décidé par la loi du 15 septembre 1807 le cadastre « napoléonien » va devoir, entre 1821 et 1824 tenter de s’intégrer à un projet plus vaste de carte de France dont l’objet est de réduire les coûts tout en satisfaisant différents besoins (armées, cadastre, ponts et chaussées…). L’une des raisons de l’échec du projet réside dans le fait que les géomètres du cadastre ne sont pas à l’époque capable de raccrocher leurs levés à la triangulation effectuée par les ingénieurs militaires. Dans les faits, bien plus simplement les planches du cadastre ne tiennent pas compte de la rotondité de la terre : ce sont des plans à projection orthogonale. Leur réunion pour façonner un plan est donc extrêmement difficile et, dès 1825, le ministère de l’Intérieur en interdit l’usage pour fabriquer des cartes (Verdier, 2019). Le passage du plan à la carte pour le cadastre correspond à une histoire longue, commencée par le retour de l’Alsace Moselle à la France à la fin de la première guerre mondiale. Les planches du cadastre dressées en Allemagne tiennent compte de la rotondité de la terre, et l’Alsace Moselle a vu son cadastre révisé sous administration allemande par la loi du 31 mars 1884 – en 1891, l’Alsace Moselle passe par ailleurs au livre foncier (Maurin, 1991). Pour l’ensemble de la France, c’est surtout, à partir de 1998 que des collectivités locales commencent à insérer les feuilles du cadastre dans des systèmes d’information géographiques, avec un recalage à partir d’orthophotographies. Ces initiatives locales ont été intégrées au projet national de dématérialisation des 602188 feuilles du cadastre lancé par la Direction Générale des Finances Publiques en 2002. La numérisation s’est donc accompagnée d’une projection des planches. Depuis 2007, le cadastre dans son ensemble est accessible sur internet.

La question des mutations foncières est l’une des difficultés majeures des vastes enquêtes cadastrales. En effet, à partir du moment ou le cadastre décrit les propriétés, il doit non seulement tenir compte des changements de propriétaires, mais également des différents redécoupages des parcelles. Or, les planches du cadastre « napoléonien » élaborées entre 1807 et 1850, puisqu’elles sont fixes, perdent rapidement en précision. La loi du 7 aout 1850 prend acte de cette situation en autorisant, aux frais des communes, le renouvellement du cadastre dans les communes dans lequel il est dressé depuis 30 ans. L’aspect facultatif réduit cependant l’efficacité du texte. Il faut attendre la loi du 16 avril 1930 pour que la révision soit à la charge de l’État. Encore ne s’agit-il que des communes dans lesquelles il pouvait être établi que la modification était indispensable. La politique du remembrement, décidée par la loi du 9 mars 1941 amplifie les résultats de la loi de 1930. En outre, à partir de 1955 (art. 25 du décret du 30 avril 1955) « tout changement de limite de propriété, notamment par suite de division, lotissement, partage doit être constaté par un document d’arpentage […] soumis au service du cadastre », ce sont donc toute les micro-modifications qui sont maintenant prises en compte lors des rénovations parcellaires. De ce point de vue, la numérisation récente rend possible les mises à jour à la volée.

Longtemps les planches du cadastre ont été à dessinées à des échelles spécifiques, qui tenaient compte de la densité de l’information. C’est ainsi que dans le cas de la France, les échelles vont du 1/5000 pour les zones les plus simples, au 1/2500e pour les zones plus complexes, et peut atteindre le 1/1250e pour les parties urbanisées des communes (Hennet, 1811). Depuis la vectorisation des cadastres, la question de l’échelle a perdu de son importance. Les possibilités d’impression fournies par le site du cadastre offrent d’ailleurs un large éventail de possibilités.

Les usages du cadastre dans le cadre de travaux de géographies ou proches de la géographie :  l’une des premières théorisations sur l’intérêt des plans parcellaires semble avoir pour origine les travaux d’August Meitzen, un administrateur prussien de la fin du XIXe siècle s’étant intéressé aux livres terriers anciens. Il posait alors l’intérêt des plans parcellaires pour connaitre le passé, affirmant que l’antique parcellaire de la Prusse était lisible dans les plans cadastraux modernes (Meitzen, 1895). On retrouve une sensibilité proche, aussi bien dans les travaux de Jean Bruhnes dans sa Géographie humaine en 1910, ou chez Pierre Lavedan, dès 1926 pour des aspects urbains. Ce dernier propose d’ailleurs une « loi de la persistance des plans » (Brunhes, 1910 ; Lavedan, 1926). En 1929, dès le premier numéro des Annales d’histoire économique et sociale, Marc Bloch dépeignait tout l’intérêt de l’enquête à l’échelle européenne tout en insistant sur la grande complexité des transmissions dans le temps. Ces réflexions seront par la suite reprises par Roger Dion pour les aspects ruraux (Dion, 1934). Pour l’urbain, ce type de travaux se retrouve chez Bernard Rouleau dans ses travaux sur la croissance de Paris (Rouleau, 1985). Par ailleurs, les cadastres napoléoniens font aujourd’hui l’objet d’un investissement fort, tant du côté des historiens (Noizet, 2006), que de celui des archéogéographes, d’abord autour des travaux de Gérard Chouquer, puis aujourd’hui de ceux de Sandrine Robert et de Magali Watteaux (Chouquer, 2011 ; Robert, 2003 et 2011 ; Watteaux, 2009). Récemment, du fait de la numérisation et de la vectorisation des planches du cadastre celui-ci est devenu une source particulièrement utile à la géographie. La récente thèse de Thibaut Le Corre sur les dynamiques du marché immobilier résidentiel en Ile de France a pu croiser des données de prix avec cette carte à très grande échelle (Le Corre, 2019).

Nicolas Verdier

 

 

 

 

 

-Abbé Jean-Loup (dir.), Estimes compoix et cadastres. Histoire d’un patrimoine commun de l’Europe méridionale, Toulouse, Le Pas d’Oiseau, 2017.

-Bloch Marc, “Les plans parcellaires », Annales d’histoire économique et sociale, 1929, n°1, pp. 60-70.

-Brocard Marlène, « Les gravures rupestres à parcellaire », Études rurales, 2005, n° 175-176, pp. 9-28.

-Bruhnes Jean, La géographie humaine, Paris, Félix Alcan, 1910.

-Chouquer Gérard (ed), Les formes du paysage. Paris, Errance. 3 vol. 1996-1997.

-Dion Roger, Essai sur la formation du paysage rural français, Tours, Arrault, 1934.

-Fossier Robert, Polyptyques et censiers, typologie des sources du Moyen-âge occidental, Brepols Turnhout, 1978.

-Galina Nikolaenko, « The Chora of tauric Chersonesos and the Cadastre of the 4th-2nd Cenntury BC », Surveying the Greek Chora, Black Sea in a comparative perspective, Aarhus, Aarhus Univesity Press,; 2006, pp. 131-144.

-Hennet Albert, Recueil méthodique des lois, décrets, réglemens, instructions et décisions sur le Cadastre de la France, Paris, Imprimerie Impériale, 1811.

-Hérodote, Histoires, (traduction par Philippe Legrand, Paris, éditions les belles lettres, 1948k, vol. II, p. 109.

-Lavedan Pierre, Histoire de l’urbanisme, Antiquité, Moyen Âge, Paris, H. Laurens, 1926 ; Lavedan Pierre, Qu’est ce que l’urbanisme ? , Paris, H Laurens, 1926..

-Le Corre Thibault, Paris à tous prix : analyse des inégalités par une géographie de l’investissement sur le marché immobilier résidentiel en Ile de France, Paris, Doctorat de l’université Paris I, 2019.

-Maurin André, « Un inventaire cadastral (ou la grande illussion de l’ambiguïté », La revue administrative, 1991, vol. 42-262, pp. 360-367.

-Meitzen August, Siedlungen und Agrarwesen der Westgermanen und Ostgermanen, der Kelten, Rômer, Finnen und Slaven, 4 vol., Berlin, 1895.

-Mundy Barbara E., « Mesoamerican Cartography », in Woodward David et Lewis Malcom G., The history of Cartogrtaphy. Vol 2, book 3, Cartography in the traditionnal African, American, arctic, Australian, and Pacific Societies,Chicago, Univeristy of Chicago Press, 1998, pp. 183-256

-Noizet Hélène, « Méthodologie des SIG appliqués à l’histoire urbaine », Le médiéviste et l’ordinateur, Paris, Editions du CNRS, 2006, http://lemo.irht.cnrs.fr/44/histoire-urbaine.htm

-Pro Juiz Juan, « Les conditions historiques de production du cadastre en Espagne, 1800-2000 », in Bourillon Florence, Clergeot Pierre et Vivier Nadine (dir.), De l’estime au cadastre en Europe, les systèmes cadastraux aux XIXe et XXe siècles, Paris, Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France, 2008, pp. 351-368.

-Rigaudière Albert (dir.), De l’estime au cadastre en Europe, le Moyen Âge, Paris, Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France, 2006.

-Robert Sandrine, « Comment les formes du passé se transmettent-elles ? », Études rurales, 2003, n° 167-168, pp. 115-131.

-Robert Sandrine, Sources et techniques de l’archéogéographie planimétrique, Presses Univ. de Franche-Comté, Besançon, 2011.

-Rouleau Bernard, Villages et faubourgs de l’ancien Paris : histoire d’un espace urbain. Paris, Le Seuil, 1985.

-Touzery Mireille (dir.), De l’estime au cadastre en Europe, l’époque Moderne, Paris, Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France 2007 ; Verdier Nicolas, La carte avant les cartographes, l’avènement du régime cartographique en France au XVIIIe siècle, Presses de la Sorbonne, Paris, 2015.

-Verdier Nicolas, “Courte histoire d'un échec : le mariage de l'armée et du cadastre dans le premier quart du XIXe siècle", La Revue Cartes & Géomatiques, 2019, n°236, pp. 11-24.

-Verdier Nicolas, “Courte histoire d'un échec : le mariage de l'armée et du cadastre dans le premier quart du XIXe siècle", La Revue Cartes & Géomatiques, 2019, n°236, pp. 11-24.

-Watteaux Magali, La dynamique de la planimétrie parcellaire et des réseaux routiers en Vendée méridionale. Etudes historiographiques et recherches archéogéographiques, Paris, Doctorat de l’Université Paris 1, 2009.