Carte choroplèthe
La carte choroplèthe est le type le plus usuel de carte statistique. Il s’agit d’une «représentation» de quantités (plethos) relatives à des espaces, ou aires géographiques (khorê), par le moyen d’une «échelle» de tons gradués. Le procédé a été imaginé au début du XIXe siècle, par le français Charles Dupin (1784-1873). Ce polytechnicien, auteur d’ouvrages d’économie politique et de statistique sociale, présente la première carte choroplèthe en 1826, lors d’une leçon professée au Conservatoire des Arts et Métiers. Cette carte est publiée l’année suivante dans le traité Forces productives et commerciales de la France. Dupin illustre dans sa carte le thème de l’éducation primaire, qui témoigne selon lui du contraste de développement entre la France du nord et la France du midi, de part et d’autre d’une ligne Saint-Malo-Genève. Les départements, sur sa Carte figurative de l’instruction populaire, sont d’autant plus sombres qu’ils envoient moins d’enfants aux écoles. Le procédé se fonde donc à l’origine sur une conception métaphorique de l’instruction : les départements les plus instruits sont comme éclairés par la lumière de la connaissance, tandis que dans les parties sombres de la carte règnent les ténèbres de l’ignorance. Dupin ne désigne encore sa carte que comme une « carte teintée ». C’est n’est que beaucoup plus tard, dans un document de 1938, que le géographe américain John K. Wright propose l’adjectif « choroplèthe » pour désigner ce type de cartes.
La carte choroplèthe connaît une diffusion rapide, dans les cercles de statisticiens, puis après 1850 chez les géographes, notamment en Allemagne et en France. La méthode est vulgarisée à la fin du XIXe siècle : on retrouve ces cartes dans la presse ou les publications scolaires. Certaines sont présentées lors de débats parlementaires (sur la mortalité, l’alcoolisme) ou à l’occasion des expositions universelles.
La carte choroplèthe pose un problème à la fois mathématique et graphique. Sa réalisation repose d’abord sur le choix d’une méthode de discrétisation, c’est-à-dire de division de la série statistique que l’on veut cartographier en classes, ou intervalles. Il faut par ailleurs déterminer le nombre de classes retenues pour la représentation, qui correspond au nombre de paliers visuels à réaliser.
Ces questions ont fait l’objet de débats théoriques approfondis à deux reprises. Les statisticiens les abordent une première fois à l’occasion de leurs réunions internationales, entre les années 1860 et 1900. Leur projet général étant de standardiser les méthodes graphiques, quelques-uns en viennent à prôner une méthode unique de discrétisation et un nombre fixe d’intervalles numériques. D’autres pensent qu’une règle trop stricte ne peut être édictée. Au terme des débats, le projet de standardisation est écarté, lors du congrès international de statistique de Saint-Pétersbourg, en 1872, puis à nouveau en 1901, lors d’une réunion de l’Institut International de Statistique. Le mode de réalisation des cartes choroplèthes est alors laissé à l’appréciation de chacun.
Les aspects théoriques sont abordés à nouveau entre 1960 et 1980, principalement par les géographes et les cartographes anglo-saxons. Cette nouvelle phase est liée à deux évolutions essentielles : la place croissante de l’outil informatique dans les techniques cartographiques et le développement des recherches sur la cartographie cognitive. L’ordinateur permet une expérimentation sur les données (analyse de données) et une comparaison rapide des résultats graphiques obtenus selon diverses méthodes de discrétisation. Il offre aussi des capacités graphiques illimitées, par exemple pour la réalisation de trames. La recherche cognitive évalue à partir de tests psycho-physiques l’efficacité des éléments graphiques d’une carte, le décalage entre son information latente et l’information qu’elle transmet effectivement. Au cours de la période, plusieurs auteurs (Jenks, Monmonier) reviennent sur la question du découpage en classes et proposent des solutions nouvelles. D’autres (Olson, Muller) s’intéressent davantage aux aspects graphiques. Certains, comme Tobler, excluent toute discrétisation et proposent d’affecter une valeur grisée par donnée statistique, le lecteur effectuant alors spontanément les regroupements visuels.
La réflexion théorique s’est quelque peu éteinte sur le sujet et aujourd’hui encore, toutes les questions relatives à la carte choroplèthe n’on pas reçu de réponse consensuelle. Le nombre maximum de paliers de valeur (donc de classes de données) oscille par exemple entre 5 et 10, selon les auteurs. Il existe plusieurs dizaines de méthodes de discrétisation, qui peuvent être réparties en quelques catégories : méthodes mathématiques, reposant sur les valeurs des données, méthodes statistiques ou probabilistes, reposant sur les fréquences, méthodes graphiques, demandant la construction de diagrammes ou courbes auxiliaires. La plupart des logiciels de cartographie permettent de réaliser des représentations suivant les principales méthodes de base (classes d’égale étendue, classes standardisées, etc.) et génèrent automatiquement des séries de valeurs échelonnées. L’idée d’une méthode unique de discrétisation a été définitivement écartée en faveur d’une méthode adaptée à la distribution de la variable que l’on cartographie. Le choix de celle-ci n’est cependant en aucun cas univoque. La carte choroplèthe reste très présente dans la cartographie grand public (manuels, atlas, presse) aussi bien que dans les travaux de chercheurs, la cartographie en noir et blanc reculant toutefois au profit de gammes de couleur, simples ou doubles. L’éducation à la lecture de telles cartes est sans doute moins prioritaire aujourd’hui. Il reste à faire mieux comprendre les modalités de la construction des cartes choroplèthes et le traitement voire la manipulation des données qu’elles supposent.
Voir aussi:
statistique spatiale
variables quantitatives