Décroissance urbaine
La décroissance urbaine est une notion importée du monde anglophone et germanique. Elle correspond à la traduction de l’anglais Urban shrinkage (renvoyant à l’expression couramment usitée de Shrinking Cities) et de l’allemand Stadtschrumpfung, dont elle tente de restituer à la fois l’idée de diminution et celle de rétrécissement (Florentin, Fol, et Roth 2009). Ces deux termes sont apparus à la fin des années 1970 aux États-Unis, et des années 1980 en Allemagne, pour désigner les processus à l’œuvre dans les grandes villes industrielles du Middle-West états-unien ou de la Ruhr. Ils ont essaimé dans les années 2000 dans le monde, particulièrement en Europe, pour désigner les dynamiques régressives qui caractérisent désormais des villes de toutes tailles et de spécialisations économiques diverses, et ne se contentent plus de caractériser un phénomène ancien restreint à certaines villes des bassins houillers dans les années 1960. A phénomène nouveau, étendu et complexe, correspond logiquement un vocable nouveau (Cunningham-Sabot 2012, Pallagst K., Wiechmann T., Martinez-Fernandez C., 2014).
Le succès de la notion s’explique par la (re)découverte de la non-universalité des processus de croissance urbaine, et par le défi que pose la décroissance aux aménageurs au sein d’un modèle culturel dominé par le paradigme de croissance.
Les études sur la décroissance urbaine ont été développées à partir de champs de recherche différents selon les pays. Aux États-Unis, les travaux sur la décroissance urbaine (ou déclin urbain) ont porté sur l’analyse des effets conjoints de la désindustrialisation et de la suburbanisation. Dans les années 1970, la crise du modèle fordiste sévit particulièrement dans les villes dont la croissance était fondée sur la grande industrie. Alors que ces villes perdent leurs industries et qu’une partie des nouvelles activités tertiaires se développe en banlieue, le processus de suburbanisation, qui s’accentue à cette époque, les vide d’une grande partie de leur population blanche et prospère. Ce processus d’urban decline (Beauregard, 2003) a touché particulièrement les grandes villes du Nord et de l’Est des États-Unis. Certaines sont toujours dans une situation critique (Detroit, Flint, Youngstown, etc.), accentuée par la crise des subprimes de 2008. En Allemagne, la thématique de la Schrumpfung a connu un développement spectaculaire à partir du constat, au début des années 2000, de l’effondrement démographique des villes de l’ex-RDA (Roth, 2011). Ce « choc démographique » a été attribué tout autant à l’émigration massive des populations les plus jeunes et les plus qualifiées vers l’Ouest, qu’aux effets conjoints des restructurations économiques et de la « seconde transition démographique » (Oswalt 2006).
Au Japon, c’est à partir de la thématique du vieillissement que la décroissance urbaine est abordée. Si la question du changement démographique est traitée depuis longtemps par la recherche japonaise, ses effets sur la croissance urbaine n’ont que récemment fait l’objet de travaux dans le champ de la géographie et des études urbaines. De fait, les effets spatiaux du vieillissement se sont d’abord fait sentir dans les zones rurales et les anciennes villes industrielles et minières, avant d’affecter progressivement les petites villes puis aujourd’hui, les banlieues lointaines des métropoles, dont les centres restent encore peu touchés par la décroissance urbaine (Buhnik 2010).
En géographie, un des principaux enjeux scientifiques réside dans la «mesure» de la décroissance urbaine, dans sa définition spatiale et temporelle et dans le choix de ses indicateurs. L’appréciation de l’ampleur, de l’intensité et parfois de la réalité même de la décroissance urbaine varie fortement selon le pas de temps considéré et selon le périmètre et l’échelle d’observation. Ainsi, les indicateurs peuvent suggérer une décroissance sur une courte durée sans qu’elle soit avérée sur une longue période – ou inversement. De même, une ville-centre peut être décroissante alors que ses environs périurbains s’enrichissent et gagnent en population – ou vice-versa. L’importance de la définition spatio-temporelle, comme du choix des indicateurs n’est pas que formelle. Son manque de considération initial dans les premières études a conduit à considérer comme « villes décroissantes » des espaces aux situations très différentes (du quartier d’une métropole en croissance à la ville en déclin dans une région en déclin), dont les enjeux en termes de développement territorial sont si variés qu’ils questionnent la cohérence scientifique de la notion de décroissance.
La décroissance urbaine ne peut être considérée de façon isolée. A travers différentes approches, elle est analysée dans ses relations avec d’autres «entités». Elle s’inscrit dans l’évolution des systèmes de villes, où les effets de taille et de spécialisation sont défavorables à la base de la hiérarchie urbaine (Paulus, Pumain, 2000). Elle renvoie donc au débat sur l’accentuation des inégalités spatiales dans le contexte de globalisation (Fol et Cunningham-Sabot 2010). Elle est aussi analysée à travers son inscription dans un système de relations de dépendance et de pouvoir, de sorte que, en Allemagne, le débat académique porte tout récemment sur la pertinence scientifique de la notion de décroissance, à laquelle les courants constructivistes préfèrent le concept plus relationnel de « périphérisation » (Bernt et Liebmann 2013).
Les débats scientifiques portent enfin sur les politiques urbaines dans les villes en décroissance. L’une des principales critiques de ces politiques concerne leur focalisation sur l’attractivité et la compétitivité des villes (Rousseau, 2010 ; Miot, 2012). La plupart des stratégies locales visent en effet à attirer les investissements mais aussi de nouveaux types de populations (comme les « classes créatives » de Florida), via des politiques plus ou moins affichées de «gentrification». Un autre débat, très animé dans des villes sinistrées comme Detroit, concerne l’allocation des rares ressources financières dans le cadre des politiques de régénération : faut-il intervenir partout, ou faut-il concentrer les interventions sur quelques quartiers susceptibles d’être plus réactifs aux investissements, au risque de laisser les autres à l’abandon ? Dans ces deux types de débat, c’est bien le sort des habitants les plus défavorisés des villes en décroissance qui est en cause, dimension souvent impensée des politiques de régénération.