Delta
Un delta est une forme d’accumulation construite par un cours d’eau à son embouchure. Les alluvions qui s’y déposent contribuent à construire un édifice deltaïque formant une protubérance plus ou moins marquée dans une étendue d’eau qui peut être la mer, un lac, une lagune ou même un autre cours d’eau. Le terme delta, du nom de la lettre majuscule de l’alphabet grec représentée par une figure triangulaire, aurait été utilisé pour la première fois par Hérodote au Vème siècle avant J.C. pour désigner la plaine alluviale de forme triangulaire à l’embouchure du Nil. En français, le mot delta a d’abord été utilisé comme nom géographique pour la région côtière du Nil, et ce n’est qu’au XIXe siècle qu’il a acquis son sens moderne de forme d’accumulation à l’embouchure d’un cours d’eau.
Tout comme un «estuaire», un delta est une forme de contact entre un cours d’eau et l’étendue d’eau qu’il rejoint, mais si l’estuaire est un milieu ouvert dans lequel les «courants marins» pénètrent largement, un delta est une construction sédimentaire qui tend à obstruer l’embouchure du cours d’eau en progressant dans un plan d’eau. L’ampleur des phénomènes de comblement de l’embouchure, qui conditionnent la taille et le volume de l’appareil deltaïque, dépend non seulement de la charge sédimentaire du cours d’eau (qui elle-même dépend de facteurs géologiques, climatiques, géomorphologique et hydrologiques propres au «bassin-versant»), mais aussi des agents hydrodynamiques du bassin de réception (houle, courants, marée) qui peuvent disperser plus ou moins efficacement les matériaux apportés. En raison de la grande variabilité qui existe dans la charge sédimentaire des cours d’eau et dans l’efficacité des agents de dispersion, on comprend que les deltas puissent être de tailles très diverses, les plus petits deltas n’occupant que des surfaces très restreintes alors que le plus grand delta du monde, celui du Gange-Brahmapoutre, s’étend sur plus de 90 000 km².
La morphologie des deltas est également très variable et dépend principalement de la nature des agents hydrodynamiques pouvant disperser les sédiments à l’embouchure. On distingue généralement trois grands types de deltas selon que dominent les agents fluviatiles, les vagues ou les courants de marée. Les deltas de type fleuve dominant ont une forme digitée, ou en patte d’oiseau, qui résulte de la formation de chenaux rectilignes qui se prolongent vers le large aux embouchures et qui se subdivisent en de nouveaux chenaux au fil du temps en raison de la formation de barres d’embouchure. Ces deltas dont l’exemple le plus représentatif est celui du Mississippi se forment lorsque les agents fluviatiles, responsables de l’apport de sédiments, l’emportent sur les agents de dispersion du bassin. Les deltas de type houle dominante sont soumis à l’action des vagues qui remanient les barres d’embouchures et redistribuent les sédiments le long du rivage pour former des plages, des flèches ou des cordons littoraux qui régularisent le rivage. Ces deltas possèdent une morphologie massive plus ou moins convexe vers le large, comme le delta du Rhône ou du Sao Francisco au Brésil. Lorsque ce sont surtout les courants de marée qui sont responsables de la dispersion des matériaux, les sédiments sont remaniés en barres d’embouchure parallèles aux courants de flot et de jusant qui forment dans le cas des grands deltas de véritables îles alluviales de plusieurs kilomètres de longueur. Parmi les exemples les plus caractéristiques des deltas de type marée dominante, on peut citer ceux du Gange-Brahmapoutre ou du fleuve Fly en Nouvelle-Guinée.
Quel que soit leur type morphologique, tous les deltas possèdent une partie subaérienne et une partie subaquatique. La partie émergée du delta est constituée de la plaine deltaïque qui est une étendue de terre quasi plane de très faible altitude, sillonnée par un réseau de chenaux plus ou moins dense selon le climat et le type de delta. Le dépôt d’alluvions entraîne la formation de bourrelets de berge et l’exhaussement du lit, ce qui favorise les phénomènes de défluviation lors des crues. Il en résulte des changements de cours qui peuvent devenir définitifs et entraîner la formation d’une nouvelle construction deltaïque active, d’autres zones de la plaine deltaïque devenant inactives et sujettes à l’érosion faute d’apports sédimentaires, comme cela s’est produit pendant les deniers millénaires dans le delta du Mississippi ou du Danube par exemple. Si la partie amont de la plaine deltaïque est exclusivement soumise aux processus fluviatiles, sa partie avale, qui s’étend jusqu’au front deltaïque, est aussi affectée, au moins épisodiquement, par des processus marins. Pour certains auteurs, il convient par conséquent de distinguer la marge deltaïque, qui forme une zone de transition avec la partie immergée du delta, du reste de la plaine deltaïque. La partie sous-marine d’un delta comprend le front deltaïque, partie peu profonde où les courants fluviatiles déposent leur charge la plus grossière, et le talus pro-deltaïque où s’accumulent des sédiments beaucoup plus fins transportés en suspension. La partie subaquatique d’un delta peut être immense et largement dépasser la taille de la plaine deltaïque, comme dans le cas du delta de l’Amazone qui est essentiellement sous-marin et couvre une superficie de près de 470 000 km².
Les deltas sont des milieux de très forte productivité biologique et sont généralement propices à l’agriculture. L’Homme s’est par conséquent installé très tôt sur ces espaces dont certains figurent parmi les plus densément peuplés au monde (1000 à 2000 habitants au km² en Asie du sud est ou dans le subcontinent indien). L’«anthropisation» des deltas est donc souvent ancienne et a surtout consisté à l’origine à mettre en culture ces espaces et à les protéger des inondations. L’exploitation et l’aménagement des deltas s’est accélérée pendant le XIXe et surtout le XXe siècle (construction de barrages hydro-électriques, dragage et extraction de granulats dans les chenaux ou sur les rives, endiguements,…), ces actions ayant résulté en une diminution de la charge sédimentaire qui a entraîné ou aggravé des phénomènes de recul du trait de côte. Certains deltas constituant d’importants gisements d’hydrocarbures (delta du Mississippi, du Niger, du Mackenzie,…), ils peuvent être le siège d’une exploitation pétrolière et gazière qui peut entraîner une subsidence de la surface du sol. En raison de la planéité de leur surface (les 9/10ème du Bangladesh sont à une altitude inférieure à 30 mètres), les deltas sont fortement exposés aux inondations, qu’elles soient d’origine fluviale ou marine. Leur très faible altitude au-dessus du niveau de la mer et leur tendance naturelle à la subsidence, en raison des quantités considérables de sédiments qui s’y accumulent, en font en outre des espaces menacés par la hausse contemporaine du niveau de la mer.
Voir aussi : «estuaire», «littoral»