Développement durable
Le développement durable est pour l’économiste Catherine Aubertin « l’ambition normative d’écologiser et d’humaniser l’économie », c’est-à-dire de concilier la croissance économique avec des préoccupations sociales et surtout environnementales, qui permettent de préserver l’avenir et de mettre en œuvre un développement respectueux des «ressources» naturelles et des écosystèmes. Le développement durable garantit donc l’efficacité économique en la justifiant par des finalités sociales tout en assurant sa pérennité par le refus des externalités négatives.
Dès les années 1970, au moment de l’apogée de la croissance démographique des pays en développement et de l’essoufflement des Trente Glorieuses, apparaissent les premières préoccupations relatives à ce qu’on appelle encore l’éco-développement : le PNUE (programme des Nations Unies pour l’environnement) est créé en 1972, année où se tient à Stockholm le premier Sommet de la «Terre».
La première occurrence du terme apparaît dans un rapport produit en 1980 à l’initiative du PNUE, de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la Nature, créée en 1947) et du WWF (plus grande ONG environnementale mondiale, née en 1961) intitulé La stratégie mondiale de la conservation, sous-titre : pour une conservation des ressources naturelles au service du développement durable. En 1984, les Nations Unies créent une commission internationale chargée de réfléchir à l’impact des activités humaines sur la planète. Les « catastrophes industrielles » semblent se multiplier : naufrage de l’Amoco Cadiz en Bretagne en 1978, fuites de dioxine à Seveso en Italie en 1979, explosion de l’usine de pesticides d’Union Carbide à Bhopal en 1984, de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986….Les organisations écologiques dénoncent aussi la déforestation accélérée de la forêt amazonienne, les pluies acides en Europe du Nord, le trou dans la couche d’ozone, l’effet de serre, l’avancée des déserts et la pollution massive engendrée par les activités industrielles d’un Sud peu regardant sur les normes environnementales au nom de la priorité donnée au développement économique.
Une idéologie désormais universelle
Cette commission aboutit en 1987 au Rapport Brundtland, du nom d’une ancienne première ministre norvégienne. Il donne la première définition officielle du développement durable : « le développement durable est un «développement» qui s’efforce de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satisfaire ceux des générations futures ». Si le rapport Brundtland évoque la nécessité de partager la croissance mondiale avec les plus défavorisés et de réduire les inégalités, il insiste surtout sur le fait que les activités humaines menacent la Terre : les ennemis majeurs pour l’avenir de la « planète » que le rapport désigne sont les changements climatiques dus à l’accumulation de gaz dits à effet de serre et les atteintes à la couche d’ozone attribuées aux produits fluoro-chlorés. Les Nations Unies créent en 1988 le GIEC (Groupement intergouvernemental d’experts sur le climat) dont le mandat est d’étudier la responsabilité de l’homme dans le changement climatique.
Avec le rapport Brundtland, deux idées force de l’écologie font leur entrée officielle sur la scène internationale :
-1) la première priorité doit être de préserver de la planète, donc adopter des modes de production plus respectueux de l’«environnement» ;
-2) le mode de vie et de consommation de l’«Occident» ne peut pas être étendu au reste du monde sans menacer gravement l’avenir de la terre.
La décennie suivante voit cette conviction s’imposer. La Commission préconise en effet que se tienne dans les années à venir un grand « Sommet de la Terre » où les préoccupations du développement durable puissent être exprimées officiellement, à l’«échelle» de l’ensemble des nations. C’est le Sommet de Rio sur l’environnement et le développement, en juin 1992, le premier grand sommet de l’après guerre froide.
Une nouvelle vision du monde, de nouveaux acteurs
A côté des acteurs diplomatiques classiques, Etats et institutions, les mouvements issus de la société civile jouent pour la première fois un rôle essentiel. L’utilisation nouvelle d’Internet commence à permettre aux ONG de se constituer en «réseaux» et de lancer des mots d’ordre fédérateurs. A Rio, les ONG environnementales font de la question du réchauffement climatique et des gaz à effet de serre un des sujets de discussion principaux des négociations, suscitant la colère des pays en développement.
A l’issue de la conférence, 173 chefs d’Etat adoptent l’Agenda 21 (21 pour XXIe siècle) recueil de 27 engagements pour le développement durable, qui doit être décliné au niveau des «territoires» en « Agendas 21 locaux ». Tous les pays s’engagent à adopter une stratégie nationale de développement durable avant 1995. Le réchauffement climatique, la biodiversité et la désertification (ultérieure en réalité mais considérée comme émanant de Rio) sont l’objet de conventions internationales. Une déclaration sur les forêts est aussi adoptée. Ces orientations écologiques expliquent l’extrême réticence des pays en développement face au concept du développement durable, qu’ils perçoivent comme une machine de guerre dirigée contre leur croissance économique.
Pourtant, le développement durable se donne pour but de concilier l’économie (produire plus mais au service du plus grand nombre), le social (répartir mieux, lutter contre la pauvreté) et le respect de l’environnement (préserver l’avenir et les conditions de vie des générations futures). Une quatrième composante, transversale celle-ci, est celle de la solidarité entre les générations, présentes et futures.
Démocratie participative, mise en œuvre du principe de précaution et prise en compte croissante des questions environnementales dans les politiques d’«aménagement» du territoire sont les grandes caractéristiques du développement durable, devenu un mot d’ordre international, y compris pour les pays du «Sud», qui y voient un moyen d’exiger des pays du Nord, qui les ont précédés dans le développement industriel, le paiement d’une dette écologique.
Des priorités environnementales mais une obsession : la croissance économique
Au moment où va se tenir en juin 2012 à Rio le quatrième Sommet de la terre (après celui de Johannesburg en 2002) , on peut dire que les principaux champs de réflexion du développement durable tel que le définit la communauté internationale sont :
-la question de la gouvernance mondiale. Depuis les années 70 et la vision de la Terre de la lune s’est imposée la notion d’espace fini : les mesures prises à l’échelon local se reflètent forcément à l’échelon mondial. La France plaide pour une organisation mondiale de l’environnement
-la question du changement climatique, la communauté internationale a pris à Durban l’engagement (non contraignant) de limiter la hausse des températures terrestres à 2 ° par une action drastique contre les GES visant à maintenir la concentration de C02 de l’atmosphère en dessous de 450 ppm (380 aujourd’hui, 280 il y a un siècle), mais, dans les faits, la renégociation du Protocole de Kyoto piétine. Au-delà de l’action sur les causes du changement climatique (stratégies dites d’atténuation), on parle de plus en plus de la nécessité d’agir sur les conséquences en renforçant la résistance des territoires par des stratégies dites d’adaptation.
-la question de l’érosion de la biodiversité, avec la décision lors de la Conférence de Nagoya en 2010 de porter la part des aires protégées terrestres de 13 % aujourd’hui à 17 % d’ici 2020, celles des aires marines de 1 à 10 %.
-la question de l’«énergie», le développement durable ayant mis l’accent sur la raréfaction des ressources fossiles et la nécessité de recourir à des énergies renouvelables
-enfin les questions relatives aux Biens publics mondiaux, dans le domaine de l’environnement (qualité de l’air, de l’eau, des sols, mais aussi des «paysages»), comme dans celui du social (résorption des inégalités, justice et redistribution sociales, droit du travail, etc.)
Pour parvenir à ses fins, la communauté internationale tout comme les Etats nationaux peuvent choisir d’adopter de nouvelles normes, de créer une fiscalité écologique par des taxes, ou bien d’inciter aux comportements vertueux par la mise en place d’un marché (échanges de crédits carbone par exemple).
Très puissant dans les vingt ans qui ont suivi la fin de la Guerre froide, le développement durable semble aujourd’hui en perte d’influence, malgré les actions de lobbying des grandes ONG environnementales, en raison des préoccupations relatives à la crise économique et financière. Mais il reste toujours un mot d’ordre international dans les discours des pays du Nord comme dans celui des Emergents, qui y voient un moyen de conquérir de nouveaux marchés tout en allégeant leurs coûts de production, tandis qu’il prend figure de nouvelle rente pour les pays les plus pauvres, qui l’invoquent pour capter les crédits internationaux alloués aux nombreux fonds et mécanismes divers créés pour mettre en œuvre le développement durable, au point qu’on peut se demander si l’adaptation ne sera pas l’aide au développement du XXIe siècle. Dans la réalité cependant, la croissance économique reste toujours, pour les Etats, la priorité numéro 1, face au défi démographique et à la nécessité d’un développement humain mieux partagé.