Edge city
Ce terme d’abord employé aux Etats-Unis par les chercheurs en sciences sociales et par les professionnels de l’aménagement urbain désigne un pôle suburbain où se concentrent bureaux et équipements divers (dont loisirs). Il est difficilement traduisible en langue française même si certains proposent l’expression de ‘ville lisière’. Il a été inventé par le journaliste/sociologue Joël Garreau qui lui a consacré un ouvrage il y a environ 20 ans, à l’issue d’un travail de terrain mené dans plusieurs métropoles. Il a été largement diffusé au-delà de la tradition scientifique anglo-américaine en tant que concept faisant référence à l’émergence d’une «centralité» périphérique et à la structuration polycentrique du territoire métropolitain.
Dès sa publication, l’ouvrage Edge City : Life on the New Frontier connut un vaste succès dans la mesure où son auteur fut le premier à identifier le processus de restructuration économique et de diffusion des activités économiques en dehors de la ville centre. L’Edge city localisé à proximité d’un nœud autoroutier et incluant un mall de taille régionale indique que la« banlieue» n’est plus essentiellement résidentielle comme elle l’avait été et qu’elle s’urbanise. Le sous-titre (la vie sur la nouvelle frontière) se comprend comme une réplique à la thèse de l’historien Kenneth Jackson qui avait assimilé la suburbanisation à l’émergence d’une frontière constituée par l’appropriation d’une maison entourée d’une pelouse par une majorité de citadins. Dans l’historiographie américaine la « frontière » représente l’équivalent de « front pionnier » et de « lieu d’émergence de nouveaux modes de vie ».
L’Edge city ne rivalise pas avec le CBD (central business district) –ou financial district – même si le nombre de mètres carrés de plancher de bureaux peut y être équivalent. Il inclut peu de services destinés aux firmes globales et tous les deux sont pensés sur le mode de la complémentarité. Les paysages se différencient : le gratte-ciel demeure la figure symbolique de la centralité de la ville — globalisée et financiarisée– à l’échelle mondiale. Se rendre dans une Edge city exige de se déplacer en voiture en raison de l’absence de transports en commun. Au fil du temps, des responsables d’entreprises réussissent à se mettre d’accord avec les autorités locales pour financer une navette reliant certains lieux du pôle à une station de métro ou de train.
A Chicago pour prendre un exemple, l’activité économique ne se concentre pas uniquement dans le Loop et concerne des pôles suburbains comme Schaumburg, une municipalité localisée dans le comté de Cook à 45 km au nord-ouest de la ville et à 16 km de l’aéroport international O’hare. Ce territoire avait accueilli dès la fin des années 50 de vastes lotissements suburbains ainsi qu’un centre commercial (Woodfield Mall inauguré en 1971) avant de recevoir, à partir des années 1980, des emplois relevant d’industries légères et de services.
Une dizaine d’années après l’invention du concept, le sociologue Robert Lang –travaillant aussi sur la «métropolisation»– a inventé l’expression edgeless cities pour mettre en évidence un autre phénomène, la localisation diffuse d’emplois en milieu suburbain et périurbain, c’est-à-dire en dehors de l’Edge city. Une vingtaine d’années après un économiste de Harvard, Edward Glaeser, prend à rebours la thèse de Garreau pour affirmer la prééminence de la ville sur les pôles suburbains. Il ne remet pas en cause le principe de l’Edge city mais souligne le défi que représente la rivalité intramétropolitaine entre deux espaces, l’un localisé au centre et l’autre en périphérie.