Espace transfrontalier

L’idée d’un espace traversé par une frontière n’est pas pertinente en soi : elle suppose une surimposition d’une frontière dans un espace a priori continu et elle sous-estime les effets– frontière. Reconnaître un espace transfrontalier suppose qu’au préalable existent des espaces frontaliers, que nous désignons comme une partie d’un territoire national bordée par une frontière d’État. L’espace frontalier (région, agglomération, «zone») se trouve en situation de périphérie, de confins dans un contexte national et fait l’objet d’une gestion spécifique de la part des États en raison de la présence de la frontière, de cette limite bornée de son «territoire». Or cette situation diffère selon la taille des États, l’éloignement des «lieux» de pouvoirs (au sens propre et au sens figuré), l’intérêt stratégique de cet espace pour l’État, le degré d’ouverture des frontières. L’adjectif transfrontalier traduit la traversée, le passage, la transgression : il s’applique a priori à tout mouvement, toute relation à travers une limite politique entre deux États. Cependant, la notion de transfrontalier est profondément liée à celle de proximité, les relations entre deux États relèvent en règle générale du transnational. Les relations transfrontalières s’établissent entre des unités spatiales appartenant à deux «régions» contiguës, séparées par une limite d’État. Dès lors se pose la question des distances (distance kilométrique, distance-temps, etc.) sur lesquelles les effets de proximité se font sentir. Or, ces effets varient en fonction du degré d’interrelations existant entre les espaces et les lieux en présence. Parler d’espace transfrontalier suppose que la frontière présente un certain degré de porosité (l’ouverture l’emporte sur la fermeture), qu’elle est reconnue par les États (ligne stable) et que les «conflits» y ont disparu (frontière apaisée). Le passage du frontalier au transfrontalier renvoie à l’idée que le lien l’emporte sur la séparation et que des échanges structurés, organisés et durables s’effectuent sur de courtes distances de part et d’autre de la frontière (distincts des échanges transnationaux). Certains échanges se développent en raison de l’existence de différentiels (de coûts, d’offre, de structure par âge, etc.). La porosité de la frontière permet également la diffusion de certains caractères d’un territoire à l’autre. Dans les deux cas, une certaine durée est nécessaire pour identifier de véritables échanges transfrontaliers. Nous formulerons l’hypothèse que les dévaluations des frontières sont propices aux recompositions spatiales. Les relations transfrontalières sont en mesure de croître sans contraintes : les contrôles deviennent sporadiques et le nombre de points de passage augmente. La croissance de la perméabilité et de la connectivité instaure une meilleure accessibilité entre les lieux séparés par la frontière. De nouvelles opportunités s’ouvrent aux acteurs économiques (les différentiels deviennent plus lisibles). L’enjeu sur le long terme consiste à dépasser les relations basées sur l’exploitation de ces opportunités en développant des relations durables (tant sur le plan économique que sur le plan institutionnel, aux niveaux locaux et régionaux) en s’affranchissant de la tutelle des États. La réciprocité des relations n’est pas la règle générale du fonctionnement des espaces transfrontaliers. En fait, quatre cas de relations sont envisageables. -La domination : en règle générale, elle repose sur l’existence de forts gradients de (population, coûts salariaux, différences juridiques, etc.). Les échanges sont inégaux entre régions contiguës. Ils révèlent en fait une capacité d’organiser et de structurer en exploitant au mieux les différentiels frontaliers ; -La dissymétrie : des relations bilatérales existent, mais elles ne possèdent pas la même intensité de part et d’autre et ne portent pas sur les mêmes caractères ; -La complémentarité : les échanges ne portent pas sur les mêmes aspects, mais chaque région a besoin de l’autre. La domination n’est jamais absolue et peut déboucher sur une certaine forme de complémentarité. Chaque région peut être considérée comme un entre-deux, un sas entre deux systèmes territoriaux ; -L’autonomie : les relations transfrontalières sont faibles alors que les relations transnationales sont élevées. Cette situation révèle l’existence d’un effet-tunnel et est observée le plus souvent dans des régions de faible «densité». L’enjeu pour ces espaces transfrontaliers consiste à développer des échanges qui ne reposent pas simplement sur le différentiel entre les systèmes nationaux. Dans un contexte de frontières ouvertes et apaisées, les villes sont susceptibles d’exercer un rôle intégrateur. Cela suppose également une bonne connaissance du fonctionnement des systèmes territoriaux, voire un certain rapprochement dans leur fonctionnement de part et d’autre (correspondance entre «maillages», entre systèmes culturels, etc.).

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