Estuaire

1. L’estuaire est une forme de contact entre un cours d’eau et l’étendue d’eau dans laquelle il se jette, généralement le lieu où le fleuve rejoint la mer (éventuellement le lac). Traditionnellement on appelle embouchure l’ensemble des formes de passage du cours d’eau à la mer et on en distingue deux types : le «delta» et l’estuaire (on a là un des couples de vocabulaire canonique à l’école comme fleuve/rivière, plaine/plateau, etc.). On parle de delta quand l’accumulation l’emporte visiblement : basse plaine alluviale importante traversée par un fleuve ramifié en bras, souvent ponctuée de lacs et de lagunes. Inversement, lorsque le tracé fluvial reste nettement perceptible, même lorsque la vallée s’évase et que l’influence de la marée se fait sentir, on parle plutôt d’estuaire. Mais outre que la distinction n’est pas toujours convaincante dans l’analyse des faits naturels (il existe des deltas sous-marins au fond d’estuaire, des estuaires à plusieurs bras, d’autres bordés de marais maritimes…), l’opposition gomme le fait essentiel : le lieu de contact entre un axe fluvial (et donc une vallée) et un espace liquide ouvert, lac, mer ou océan, peut représenter une situation de rupture de charge et de concentration d’activité.

2. Entre terre et mer, l’estuaire est un type majeur de synapse, un site de port. Comme les contraintes naturelles sont, autrefois comme aujourd’hui, plus favorables au trafic des bateaux dans les estuaires stricto sensu que dans les deltas, cela explique que cette notion de lieu de contact entre un arrière-pays drainé par une vallée fluviale et un espace maritime d’échange utilise ce terme de façon préférentielle. On à là un glissement d’une définition par le milieu naturel (type d’embouchure non deltaïque) à une acception relevant surtout du champ économique et social. En effet, un estuaire permet aux bateaux de mer, aidés par la marée, de pénétrer à l’intérieur des terres, parfois fort loin. Les fonds d’estuaires de cours de fleuves traversant des arrière-pays denses sont des sites classiques de ports (Londres, Buenos Aires, Rostow, Hambourg…). Si l’on pousse au bout cette évolution de sens, toute embouchure devient un estuaire : Rotterdam, qui est sur un faux delta (au sens de milieu naturel, comme ceux du Gange ou de la Rivière des Perles), mais au débouché d’une vraie vallée économique majeure, et même Fos-Marseille, qui ne se comprend qu’au bout de la vallée du Rhône, relèveraient alors de notre catégorie de lieu.

L’espace estuarien est généralement marqué par une descente vers l’aval des installations portuaires. De la présence d’une population importante liée à ces activités découle également d’autres usages des berges estuariennes ou du littoral immédiat (stations balnéaires). La récurrence de tels usages de l’espace estuarien est aisée à modéliser. Le chorotype général de l’estuaire (R. Brunet) s’articule avec des formalisations plus régionales (M. Brocard).

Dans un monde où les échanges maritimes ne cessent de prendre de l’importance, où les grandes vallées représentent des axes de plus en plus encombrés, où les littoraux périurbains sont de plus en plus disputés, on ne sauraient s’étonner que des embouchures soient le site de villes parmi les plus grandes du Monde (Shanghai, Rangoon, Calcutta, Londres, New York…).

3. Les estuaires représentent des milieux naturels instables, riches et fragiles, du fait de leur caractère très récent (transgression flandrienne) et de l’interpénétration des caractères marins et hydro-continentaux. La difficulté de gestion de ces milieux complexes est rendue d’autant plus nécessaire et difficile qu’ils représentent des site préférentiels d’activités économiques majeures. La contradiction entre la pression qu’exerce l’importance économique de la situation et les particularités naturelles du site peuvent produire d’importants conflits d’usage.
L’estuaire est caractérisé par l’alternance et le mélange des eaux continentales douces et des eaux marines salées ainsi que de leurs charges : invasion de l’eau marine à marée haute (flot), parfois spectaculaire (mascaret), et écoulement de l’eau fluviale à marée basse (jusant). Il se produit donc chaque jour des variations chronologiquement et spatialement complexes de la salinité, des courants et des processus de dépôt/érosion. On à là, en particulier, un contexte favorable à l’atterrissement des charges solides et à la floculation des troubles colloïdaux (formation de bouchons vaseux), ainsi qu’à la remise en mouvement fréquente de ces dépôts (barres). Ces envasements nécessitent de fréquents dragages pour maintenir la circulation des bateaux.
De tels milieux sont riches en potentialités biotiques. La variété floristique et faunistique y est naturellement considérable. Comme beaucoup de milieux amphibies, les estuaires sont aussi des étapes privilégiées des oiseaux migrateurs. Ce sont également des lieux de passages essentiels pour les poissons de mers qui frayent en eau douce.
Ce caractère constamment intermédiaire, mixte entre terre et mer, permet d’exclure de la catégorie d’estuaire l’aval envahi par la mer des vallées où s’écoule un cours d’eau à très faible débit : on parle alors de ria (et d’aber pour une ria en entonnoir largement ouvert vers le large). On utilise également un autre terme, celui de liman, pour désigner un large estuaire, presque totalement fermé par une flèche sableuse, une forme intermédiaire entre la lagune et l’estuaire donc.

Dans un monde où les littoraux et les vallées des pays densément occupés deviennent des enjeux spatiaux de plus en plus importants, rien d’étonnant que leur articulation que représentent les estuaires soient essentiels.

voir aussi: littoral, maritimité