La géographie s’est donné pour objet la description et l’interprétation de l’organisation de la surface terrestre (ou, dans une formulation plus précise et plus récente, de l’interface terre-atmosphère) par les sociétés humaines. La discipline a produit des concepts originaux, ou enrichi des notions empruntées à d’autres sciences, pour analyser les formes produites par cette organisation, tels milieu, paysage, Oekoumène, région, territoire, réseau urbain, géosystème, système spatial,… mais aussi les processus qui les engendrent, comme le genre de vie, l’artificialisation, l’aménagement, la centralité, la polarisation, la concentration, la territorialité, la différenciation, la ségrégation ou la diffusion spatiales. Elle a spécifié pour son usage des concepts généraux qui prennent un sens particulier lorsque l’adjectif géographique leur est accolé (espace géographique, échelle géographique, maillage ou découpage géographique, système géographique).
La question centrale de la géographie est ambitieuse, il s’agit de comprendre la diversité des systèmes géographiques et de formaliser les processus qui expliquent cette différenciation de la surface de la terre. Cette question en fait une discipline qui peine à définir sa place dans une classification des sciences, entre les sciences de la nature et les sciences sociales. Selon l’attention plus ou moins grande qu’elle a portée aux composantes naturelles ou aux facteurs sociaux pour expliquer la diversité des systèmes qu’elle étudie, la géographie s’est inspirée tantôt des sciences naturelles et tantôt des sciences sociales. Certaines de ses branches ont évolué vers l’étude exclusive de composantes naturelles des systèmes géographiques (géomorphologie, biogéographie, climatologie, océanologie), d’autres vers leurs composantes sociales (géodémographie, géographie sociale, culturelle, et des représentations).
La question géographique est en effet d’une grande difficulté, car elle concerne des systèmes complexes, dont les composantes, naturelles ou sociales, évoluent selon des temporalités très différentes, si bien qu’il est très difficile d’une part de démêler quelles sont les interactions significatives dans l’émergence et l’évolution des systèmes, et d’autre part de hiérarchiser les facteurs explicatifs tout comme les bifurcations successives de leur genèse. En outre, ces systèmes sont évolutifs, si bien que les relations qui les entretiennent, qui les construisent ou qui les détruisent, se modifient au cours du temps. Historiquement, deux points de vue ont guidé les recherches : le premier interprétait la diversité des paysages ou des régions, par les différences du milieu naturel (d’après les relations établies par les sociétés avec leur environnement local), le second attribuait l’essentiel de l’explication des inégalités régionales aux relations établies entre les lieux par les sociétés elles-mêmes, selon des portées variables. Ces deux explications, « verticales » par les relations société/environnement ou « horizontales » selon les spatialités des sociétés, doivent évidemment être combinées lorsqu’il s’agit de comprendre et d’analyser ce qui fait la spécificité d’un lieu, d’une région ou d’un territoire. Les premières prévalent dans un monde cloisonné de systèmes sociaux principalement agraires, tandis que les secondes s’imposent dans une terre mondialisée parcourue de multiples réseaux, sans jamais effacer totalement les premières, voire en les recréant sous d’autres formes. L’évolution des entités géographiques se construit ainsi à partir de l’observation d’interactions entre des entités d’échelles différentes et de leurs relations. Dans tous les cas, la complexité de la question tient aussi à la nécessité d’articuler des représentations idéelles et des objets matériels. La géographie tente en effet de comprendre comment se construit le rapport au monde des personnes et des groupes, à travers les représentations cognitives et les relations sensibles qui fondent des territorialités, structurent des discours et des actions géographiques. Sémantisation, imagination, valorisation, sont aussi des processus qui différencient des territoires, façonnent des identités et donnent sens à la géographicité des systèmes sociaux. Face à la complexité des systèmes qu’ils étudient et des questions qu’ils posent, les géographes sont tantôt amenés à rechercher des lois, et tantôt à documenter la diversité, à toutes les échelles, de celle de l’individu à celle du monde.
Les méthodes de la géographie s’appuient sur le traitement d’informations localisées dont on étudie les répartitions, les distributions géographiques. La carte, puis ses formes dérivées complexes tels les systèmes d’information géographique, sont des outils de base. Que l’on formule comme premier axiome de la géographie « est géographique tout objet qui différencie la surface terrestre » (Georges Nicolas) ou bien comme première loi de la géographie « tout interagit avec tout, mais deux objets proches ont plus de chance de le faire que deux objets éloignés » (Waldo Tobler), il faut ensuite préciser par rapport à quel référentiel, à quelles valeurs, sont mesurées les ressemblances ou les différences et les interactions. Des référentiels de valeurs sont utilisés pour mesurer des inégalités ou pour caractériser la diversité, pour repérer des zones homogènes, établir des limites à partir de discontinuités, discerner des ruptures dans des gradients, produire divers découpages dans des territoires ou dans des réseaux, autrement dit, pour analyser ce qui constitue la géodiversité. Longtemps cantonnée à des portions contiguës de la surface terrestre (paysage, région, domaine), l’analyse géographique s’intéresse davantage aux réseaux. Elle intègre de plus en plus souvent de multiples échelles, de celle de l’acteur individuel à celle du système monde, en passant par différents niveaux d’organisation spatiale que construisent les interactions d’entités localisées.
Avec les problématiques de l’environnement et du développement durable, mais aussi du fait de l’attention nouvelle portée aux configurations spatiales par diverses disciplines, de l’archéologie à la psychologie, de l’astronomie à l’architecture, de la physique à la biologie, la géographie se retrouve en position de dialogues multiples et dans un processus mutuel d’enrichissement conceptuel. En donnant un point de vue sur les aménagements de la surface de la terre, elle partage des concepts avec les sciences sociales et des questions ou des méthodes avec les spécialistes d’autres systèmes complexes. La diversité des pratiques et des théories est grande parmi les géographes, mais les interrogations « où » et « pourquoi ici et pas ailleurs » (François Durand-Dastès), dans leur sens de localisation absolue comme dans celui de localisation relative, de situation géographique, demeurent au centre de leur questionnement commun.