Historique du territoire
Depuis son apparition dans la langue française au XIIIème siècle et avant l’inflation des usages contemporains, le mot territoire a sutout été utilisé, à partir du XVIIème siècle dans un sens politico-administratif. Issu des termes latins territorium et terra le mot territoire évoque l’idée d’une domination et d’une gestion d’une portion du substrat terrestre par une puissance qui, elle-même assoit son autorité et sa légitimité sur ce contrôle, qu’il s’agisse d’une collectivité territoriale ou d’un Etat. Le substantif territoire et le qualificatif territorial dans ce champ sémantique, sont censés évoquer l’idée d’une intervention de la puissance publique sur une portion de la surface terrestre au nom d’intérêts supérieurs comme dans le cas de l’«Etat-nation». A contrario, toute réduction de cette soumission a pu faire émerger l’idée d’une « fin des territoires » (Badie, 1995). Des limites (découpage territorial, maillage), dont l’emboîtement hiérarchique peut être dominé par des frontières nationales, matérialisent la pérennité du territoire.
Le caractère interventionniste de la puissance publique se retrouve dans les opérations et le fonctionnement de l’aménagement du territoire en France. A partir de la création en 1950 d’un « Comité de l’«aménagement» du territoire » puis de la DATAR en 1963, les gouvernants successifs ont tenté de remodeler, rééquilibrer, ou moderniser l’hexagone, en associant l’action publique et l’initiative privée.
La revitalisation de l’usage du terme territoire dans la géographie universitaire est postérieure au années 1980 (ce mot ne figure pas en tant que définition dans le dictionnaire de Géographie dirigé par P.George, paru en 1970) et s’accompagne d’un élargissement considérable de son champ sémantique. C’est aux publications issues de la thèse d’Etat de Jean Paul Ferrier « La géographie çà sert d’abord à parler du territoire » (1981) que l’on doit la réorientation de l’usage de ce terme dans la géographie française, allant dans le sens d’un approfondissement et d’un dépassement du mot espace.
Dans leurs synthèses respectives, Maryvonne Le Berre et Roger Brunet reprennent les idées de reproduction et surtout d’appropriation, et insistent sur certaines finalités consubstantielles à l’idée de territoire: La première le considère comme « la portion de la surface terrestre, appropriée par un groupe social pour assurer sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux » et R.Brunet (Mondes nouveaux, p35) le définit de manière analogique: « le territoire est à l’espace ce que la conscience de classe, ou plus exactement la conscience de classe conscientisée est à la classe sociale potentielle: une forme objectivée et consciente de l’espace » Cette idée d’interventions conscientes des acteurs et des agents qui contribuent à façonner le territoire est également soulignée par. Guy Di Méo (1998) qui adopte une posture, que l’on peut qualifier de syncrétique, du fait de sa tentative d’associer l’objectivisme et le subjectivisme: « On retiendra deux éléments constitutifs majeurs du concept territorial; sa composante espace social et sa composante espace vécu« .
Une filiation issue de l’éthologie animale assimile le territoire à l’aire d’extension, de domination d’un groupe, d’un clan. Il s’agit de la prise de possession par un individu ou un organisme vivant d’une portion de surface et sa défense contre d’autres organismes, appartenant ou non à la même espèce. L’étude du territoire s’apparente ici à analyser un système de comportement et la «territorialisation», à la conduite d’un organisme pour prendre possession d’un territoire et le défendre. Défendant une spécificité de l’espace social, c’est à dire le primat des échanges sociaux dans les constructions territoriales, M.Roncayolo (1990) a indiqué les risques que contient le réductionnisme éthologique dans certains transferts en géographie sociale : « Il reste à juger si l’on peut établir un continuum entre les espéces, traiter dans les mêmes termes de tous les niveaux de la territorialité, de l’«environnement» immédiat aux constructions politiques les plus audacieuses, et ,enfin ramener les phénomènes sociaux, collectifs qui supportent à la fois la division de l’espace et les sentiments d’appartenance soit à des exigences biologiques communes à des séries d’êtres vivants, soit à la psychologie individuelle.«
La conception actuelle du territoire remet en cause l’idée de « territorium » d’autrefois, ensemble monoscalaire conçu comme une aire délimitée et étanche, animé par des acteurs inclus dans ses limites. Si l’approche territoriale a connu un renouveau, c’est également parce que les relations sociétés/territoire invalident l’approche par le ou/ou (analyse d’un ensemble géographique selon une individualisation et une séparation des niveaux d’«échelle») et consacrent le passage à un schéma de type et/et. Dans un territoire co-existent à la fois du local et du global, du spécifique et de l’universel. Un pan de l’analyse géographique demeure pourtant souvent négligé. La plupart des études sur la territorialisation privilégient avant tout la mise à jour des logiques de fonctionnement internes d’un territoire, auquel s’adjoint parfois des emboîtements multiscalaires. Tout se passe alors comme si elles reposaient sur un implicite qui est celui du fonctionnement autonome du «lieu» étudié, en laissant souvent de côté les réactivités induites par les «interactions» avec des ensembles spatiaux voisins et de même niveau.