-Un dôme sur la ville
L’îlot de chaleur urbain (ICU) renvoie schématiquement au
gradient de température existant entre les stations urbaines et rurales (Oke, 1987) en saison chaude comme en saison froide. Oke (1995) rappelle que la qualification d’îlot s’explique par le dessin des isothermes à l’approche de la ville qui ressemblent aux contours d’une île dans la « mer » d’une campagne voisine plus fraîche. Comme le montre la baisse graduelle de la température du centre-ville vers la périphérie, l’artificialisation du substrat – couplé à la modification des propriétés atmosphériques accompagnant le bâti – entraine un phénomène de surchauffe responsable de la formation d’un véritable dôme de chaleur sur la ville. Seuls les secteurs végétalisés fonctionnent comme des régulateurs thermiques (Fig. n°1).
Cet îlot de chaleur urbain est le résultat d’une combinaison entre le contexte climatique régional, les saisons et leurs types de temps, la topographie du site et les caractéristiques de la ville étudiée en terme de mode d’occupation du sol (Cantat, 2004). Cantat (ibid) énonce également une combinaison de facteurs météorologiques aboutissant à un type de temps favorisant la formation de cet îlot (conditions anticycloniques, vents faibles, cieux clairs) et avance même en ce sens des éléments chiffrés sur deux « conditions requises » favorisant de forts ICU : insolation > 50% et un vent moyen < 3.m.s. Les mécanismes physiques de formation d’un ICU sont désormais très bien documentés. Les matériaux constitutifs des secteurs urbains (asphalte, béton, toitures) ont une plus forte capacité thermique (capacité à emmagasiner de la chaleur) que les secteurs végétalisés. Sous la pression démographique, ces secteurs végétalisés ont tendance à voir leurs superficies diminuer au profit de bâtiments toujours plus nombreux engendrant une modification du bilan radiatif par une rétention différentielle du flux d’énergie incident en fonction du substrat. Les espaces verts sont ainsi repoussés toujours plus loin des centres villes. Ces modifications vont favoriser la formation des ICU : les secteurs construits vont littéralement emmagasiner une grande quantité d'énergie thermique en journée pour ensuite la restituer sous forme de chaleur, à la manière de briques réfractaires, au cours de la nuit suivante (Stone Jr et Rodgers, 2001). Cette libération de chaleur peut également être le fait des activités humaines (déperdition énergétique liée au chauffage, aux transports, aux activités industrielles…). La baisse des surfaces végétalisées au profit des surfaces bâties contribue doublement à l’accroissement de ce phénomène en augmentant mécaniquement les possibilités de rétention de chaleur tout en amoindrissant, de facto, celles d’un rafraichissement par évapotranspiration. Sakhy et al. (2011) reprécisent en ce sens les bases thermodynamiques de ce phénomène en rappelant que l’imperméabilisation entraine les eaux de ruissellement directement vers les réseaux souterrains aboutissant à un déficit en eau pour le flux de chaleur latente. Associé à l’excédent du flux de chaleur sensible (surface bâtie vers atmosphère), il conduit à un réchauffement progressif de l’atmosphère à mesure que le soleil s’élève dans le ciel : la somme de ces différents flux de chaleur constitue le bilan thermique. Ce réchauffement provoque finalement la création de cellules convectives responsables de la formation d’un véritable dôme de chaleur lors de conditions de vent faible. La compacité des villes, la densité d’habitants et certaines formes urbaines (canyons urbains par exemple) sont donc des paramètres importants jouant sur l’intensité des ICU qui – à conditions météorologiques équivalentes – serait moindre dans une ville plus étendue. Enfin, certains paramètres favorisant les ICU peuvent varier de manière zonale. Ainsi, en été aux basses latitudes, les dégagements de chaleur issus de la généralisation des climatiseurs dans les grandes métropoles contribuent à l’accroissement de l’intensité de l’ICU.
-Deux enjeux de santé publique associés à l’ICU
ICU et vagues de chaleur. Bien que l’îlot de chaleur urbain ne soit pas associé à une saison donnée, on comprend malgré tout que ses impacts – notamment en terme de risques sanitaires – soient décuplés lors de vagues de chaleur estivales engendrant même des situations de canicule dans les centres villes en réduisant le rafraichissement nocturne. Une littérature abondante renvoie au lien causal entre chaleur excessive et excès de mortalité à partir de nombreux cas d’études : Athènes à la fin des années 80, Chicago au milieu des années 1990 et Europe de l’Ouest en 2003. Le coup de chaleur peut être la cause directe du décès : le corps n’est plus capable de réguler son homéothermie ce qui peut engendrer des complications neurologiques sévères et aboutir parfois à la mort. On entrevoit dès lors certains facteurs de
vulnérabilité associés comme l’âge des victimes. Laaidi et al. (2012) ont pu, dans le cadre de la canicule de 2003 à Paris, confirmer l’impact de l’îlot de chaleur urbain sur la mortalité. Les auteurs rappellent que les ICU sont responsables d’une forte surmortalité lors des épisodes caniculaires expliquée principalement par l’affaiblissement progressif de personnes vulnérables incapables de connaître un repos nocturne réparateur durant plusieurs nuits. Ils démontrèrent notamment la formation d’un ICU nocturne sur le centre de l’agglomération parisienne expliqué par la densité urbaine opposé à un ICU diurne plus diffus lié aux propriétés thermiques des matériaux de surface.
-ICU et pollution atmosphérique
Bien que la pollution atmosphérique constitue un facteur de
risque supplémentaire associé aux épisodes caniculaires, l’accroissement de celle-ci en situation d’ICU s’observe aussi bien en saison chaude qu’en saison froide. Lors des situations hivernales d’air calme, l’air pollué a tendance à être plaqué au sol. L’ICU vient alors aggraver cette situation en instaurant un régime de brise de campagne, phénomène fort bien documenté pour l’agglomération parisienne dès les années 1980 (Escourrou, 1986) : les vents qui convergent vers le centre-ville où s’accumulent les polluants (APUR, 2017). En été, lors de conditions météorologiques radiatives (ciel dégagé, peu de vent), un mécanisme relativement comparable peut se mettre en place et aboutir à des conséquences similaires. L’échauffement du centre-ville induit la création de cellules convectives responsables de l’instauration d’un régime de brises thermiques de la périphérie vers le centre et engendre, de la même manière, une accumulation des polluants. En saison chaude comme en saison froide, les ICU associés à une augmentation de la concentration en polluants s’observent principalement au cours de situations anticycloniques persistantes (Roussel, 1998). Bien entendu, des éléments propres aux différents sites (topographie, proximité du littoral) jouent un rôle important dans les possibilités de formation de ICU et dans la dispersion des polluants : nous distinguons ainsi, dans le cas français, les villes situées dans des cuvettes (stagnation), celles proches du littoral atlantique (ventilation), et celles situées sur le littoral méditerranéen à proximité de reliefs générant des brises thermiques (transport des polluants sur de courtes distances mais non chassés donc accumulation) (Michelot et Carrega, 2014).
-Réflexions autour de parades architecturales pour atténuer les ICU
Considérant l’impact en termes de santé publique des ICU, dans un contexte probable de hausse du nombre d’épisodes caniculaires combiné aux nécessités d’une transition vers un modèle énergétique plus sobre, de nombreuses réflexions sont d’ores et déjà menées pour atténuer ce phénomène (Rizwan, Dennis & Liu, 2007). Plusieurs pistes sont généralement mises en avant : abaisser les dégagements de chaleur d’origine anthropique, mettre en place des îlots de fraîcheur, éclaircir les revêtements. Le premier point aurait un impact direct sur l’apport de chaleur lors des ICU aussi bien en saison froide qu’en saison chaude. La baisse du trafic routier, et le dégagement de chaleur associé, permettrait par exemple de diminuer l’effet d’ICU en hiver en facilitant le refroidissement nocturne radiatif (APUR, 2012). A l’inverse, en été, une raréfaction des climatiseurs (principalement installés côté cours et générant un apport calorique considérable) améliorerait les possibilités de ventilation naturelle nocturne des logements du fait du gradient thermique entre les cours et les rues : l’ensemble irait de pair – en saison chaude comme en saison froide – avec une meilleure isolation thermique des bâtiments (isoler les immeubles pour ne pas chauffer l’air des rues). La création d’îlots de fraîcheur passe généralement par des aménagements générant une évaporation voire une évapotranspiration : création d’une lame d’eau et végétalisation. Enfin, l’éclaircissement des teintes employées sur les revêtements (augmentation de l’albédo) permettrait de réduire l’absorption diurne en renvoyant plus de rayonnement le jour pour in fine en restituer moins la nuit.
Benjamin Lysaniuk (B.L.) – UMR PRODIG
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