Paysage selon le laboratoire THEMA
Pour bien comprendre et mieux analyser le « paysage », le mot et le concept, il est indispensable de construire un «système» de définition dans lequel on va tenter de l’enserrer, pas trop étroitement cependant, de façon à pouvoir y donner place au plus grand nombre d’usages possibles :
– pour bon nombre de chercheurs, l’approche du paysage est d’abord celle des conditions de sa production,
– à l’opposé, un groupe encore plus important insiste sur la perception que les individus et les groupes en ont, très fréquemment dans une perspective esthétique.
– entre ces deux points de vue et les associant souvent de façon variée, c’est l’«utilisation du paysage», faite ou souhaité, qui prime,
– enfin, quelques-uns s’intéressent à la façon dont des objets produits, disposés dans l’espace, forment des images potentiellement perceptibles, un paysage visible.
Bien évidemment, nombreux sont ceux qui s’intéressent à plusieurs de ces thèmes, dans des proportions qui varient selon les individus et, pour chacun d’eux, selon le moment.
Ainsi conçu le système de définition est d’abord contenu dans une enveloppe conceptuelle. Quatre boîtes y sont en «interaction» :
– un système « Production du paysage »
– un système « Paysage visible »
– un système « Perception des paysages »
– un système « Utilisations des paysages »
La figure « Le système de définition du paysage » montre l’organisation de ces boîtes.
On y voit aussi qu’il suffit d’appliquer le système conceptuel de définition à une portion d’espace terrestre pour que l’enveloppe en devienne géographique.
Pour appréhender plus complètement le concept de paysage – et sans doute mieux apprécier les paysages ! – il faut encore prendre en compte plusieurs autres de ses propriétés :
– les paysages sont inscrits dans l’espace. Pour parler du «statut spatial des paysages», il est indispensable de partir d’une pétition de principe : le paysage est partout, en tous points de l’espace géographique, du moins comme paysage visible là où il n’a encore jamais été perçu : ses rapports précis à l’espace doivent être définis.
– les paysages évoluent avec le temps. Ils ne sont pas vivants au sens biologique du terme, les paysages changent sans cesse, en totalité ou dans telle ou telle de leurs parties : il est donc important d’examiner les divers aspects du statut temporel des paysages.
– la saisie des paysages privilégie un des cinq sens, la vue : qu’il s’agisse de la «Montagne» Sainte Victoire de Cézanne, du panorama de la baie du Mont Saint Michel vu depuis le cloître de la Merveille ou de la plaine Saint Denis depuis le R.E.R, c’est notre œil qui nous met du paysage plein la tête. Cependant les autres sens peuvent participer aussi à son appréhension. Les bruits du «Quartier» Latin et de Neuilly, des villes françaises et suisses romandes de part et d’autre de la frontière jurassienne, saisis bien sûr dans des conditions comparables, dressent plusieurs paysages auditifs. Les yeux et les oreilles fermés, on sent quand on quitte les plateaux du Jura, boisés en feuillus, pour atteindre les premiers chaînons, où les résineux dominent. Le toucher et le goût peuvent même avoir un rôle, mineur certes : le froid sur la peau du temps anticyclonique d’hiver en Alsace ou le goût des embruns au Nez de Jobourg contribuent à renforcer les impressions paysagères.
– Toute réflexion sur le paysage qu’elle se veuille scientifique ou non, conduit à s’interroger sur la qualité de l’information qu’il apporte sur ce qui le compose, sur l’espace géographique qui le supporte (bien des démarches pédagogiques sont fondées sur sa « lecture »…) mais aussi sur ceux qui le regardent, en le percevant, le construisant et, parfois, en le mythifiant.
– Enfin, la notion de paysage a une histoire. Selon les sociétés et les époques le phénomène est nommé ou seulement ressenti ; il en va de même dans le champ scientifique.
Est-il possible de rassembler tout cela en une définition ? Essayons.
Le paysage est apparence. Il présente une infinité d’images du monde qui nous entoure, saisies en collections ou en séquences et n’incluant ni le très proche ni le trop lointain. Il montre, en vue tangentielle, le spectacle offert par les combinaisons variées d’objets agencés partout à la surface du globe. Il est produit par des systèmes de forces complexes et évolutifs activés par la Nature et les hommes. Potentiellement visible en tout point de l’espace, le paysage n’existe vraiment que lorsqu’il est considéré comme tel, au terme d’une démarche le plus souvent artialisante, par ceux qui le perçoivent, le vivent et l’utilisent. Il n’est pas plus réductible à sa matérialité produite qu’à son idéalité issue des regards de ceux qui le voient ; la vue peut, d’ailleurs, être aidée par les autres sens. Le paysage évolue sans cesse, aussi bien dans sa production physique que dans la perception qu’on en a, soumise aux mythes et aux modes. Enfin, la diversité des approches induit la variété des définitions fréquemment partielles que l’on rencontre : le terme paysage est fortement polysémique.
Illustration :
le système de définition du paysage