Système morphogénétique
Ensemble formé par la combinaison des différents agents d’érosion présents en un lieu et qui jouent un rôle dans la genèse des formes de «terrain».
Le premier terme a été défini par A. Cholley en 1938 dans ses cours, en 1950 dans Morphologie structurale et morphologie climatique, Ann. Géo., le second et le troisième par J. Tricart en 1962 (dans Tricart et Cailleux, Traité de Géomorphologie, SEDES), et ils marquent la première apparition d’un raisonnement véritablement systémique en géographie. L’émergence de ces deux concepts très voisins dans la pensée géomorphologique a été le résultat de l’avancée des recherches menées dans les années 50 dans et hors de la «zone» tempérée, qui ont conduit à critiquer la notion d’érosion dite normale, rapportée en première et dernière instance à l’action des eaux courantes, à la suite des travaux de W. Davis et H. Baulig. Les géomorphologues ont alors pris conscience que, d’une part, il fallait faire intervenir plusieurs processus et facteurs combinés entre eux pour expliquer l’attaque des roches et la genèse des formes de «relief» (échelles hectométriques et supérieures) et des formes de modelé (échelles décamétriques et inférieures), de la désagrégation par le gel au transport et au dépôt par les eaux ou par le vent ; et que d’autre part, la combinaison des processus en jeu, leur poids relatif, variait selon les «lieux», les époques et les échelles considérés.Comme ces processus sont régis, entre autres, par les variations de température et par l’action des eaux sur des versants dont la protection par la végétation dépend aussi des températures et de l’eau disponible, c’est-à-dire à des éléments caractéristiques des climats, les «systèmes» d’érosion et les systèmes morphogénétiques ont été répartis en quelques grands types étroitement liés aux grands climats zonaux, appelés par J. Tricart des systèmes morphoclimatiques. Les géomorphologues des années 60 ont divisé la surface de la «Terre» en grands systèmes morphoclimatiques zonaux, qui étaient les supports et les composantes fondamentales d’une géographie zonale illustrée par les ouvrages de la collection U et de la collection Fac-Nathan, sous la direction de P. Rognon et X. de Planhol, S. Daveau et O.Ribeiro, G.Viers, M. Benchétrit, J.Cabot, F. Durand-Dastès.
Mais les recherches ultérieures ont montré que les formes du relief et du modelé d’une portion de la surface de la Terre ne peuvent pas s’expliquer par les seuls processus physiques et biochimiques actuellement en jeu. Les climats et leurs composantes, températures, précipitations, vents, les couvertures végétales, l’écoulement des eaux, les sols ont subi au cours du temps de profondes modifications, qui ont altéré, renforcé ou atténué les processus de désagrégation et de décomposition des roches, de transport et de dépôt des produits de l’érosion. Lorsque ces modifications se traduisent par une accentuation brutale de l’attaque des versants et une transformation importante des formes de la surface du sol, modelé ou relief, il y a destruction du système morphogénétique jusq’alors en place et remplacement par un autre ; on parle de crise morphoclimatique ou crise d’érosion. L’ère quaternaire a vu ainsi se succéder plusieurs crises morphoclimatiques provoquées par une accentuation du froid et du gel dans les «régions» polaires et tempérées (périodes dites glaciaires) ou une accentuation de la sécheresse dans les régions subtropicales et tropicales (périodes dites interpluviales). Une crise morphogénétique peut être provoquée aussi par un soulèvement local ou général ou par un abaissement du niveau de base qui relance l’érosion linéaire liées aux cours d’eau ; ou bien par le défrichement des versants par une société (crise d’érosion anthropique). Les crises morphogénétiques correspondent aux phases de rhexistasie (de rhexein, rompre) du pédologue H. Ehrard (la genèse des sols en tant que phénomène géologique, Masson,1956), phases pendant lesquelles les équilibres biopédologiques antérieurs se rompent, la disparition du couvert végétal entraînant celle des sols et l’attaque brutale des versants par les eaux courantes et par le gel, qui fournissent des débris grossiers. Au contraire, pendant les phases de biostasie (de bios, la vie), des températures plus douces et une humidité suffisante permettent la croissance d’une végétation dense, la formation de sols plus ou moins épais qui limitent l’attaque des versants et la production de débris grossiers. Les formes de relief et de modelé et des dépôts corrélatifs témoignent de la succession de ces systèmes morphogénétiques.
Une démarche pleinement systémique conduit aujourd’hui à intégrer les sociétés humaines, leurs actions et leurs traces concrètes dans les systèmes morphégénétiques. D’une part, les sociétés doivent tenir compte dans leurs projets et leurs actions des risques plus ou moins graves que représentent les systèmes morphogénétiques et leurs composantes, la distinction essentielle étant entre les versants à morphogenèse peu active, dits versants stables, et ceux qui sont marqués par une grande intensité des processus de désagrégation des roches, des mouvements de terrain ou de l’apport de matériel alluvial ou colluvial, les versants instables. D’autre part, les activités des sociétés modifient le jeu des agents physiques et des processus biologiques dans les espaces qu’elles utilisent et aménagent, elles modifient leur poids relatif dans les systèmes morphogénétiques, devenus des systèmes anthropisés. Si certains «seuils» sont dépassés, la végétation disparaît, les roches sont plus facilement désagrégées, une crise morphogénétique peut survenir, comme en France sur les versants des Alpes déboisés au XIX° s., ou dans les hautes vallées des montagnes mahgrébines, mises en culture après 1860 lorsque les tribus berbères ont perdu leurs basses terres, confisquées par les colons français, et ont dû se replier sur les hautes pentes. Les spécialistes discutent alors de la part de l’évolution spontanée des climats et de la végétation et de celle des sociétés dans la transformation des systèmes morphogénétiques locaux et régionaux (cf R. Neboît, L’homme et l’érosion, Public. Fac. Lettres Clermont , 1991).
Voir aussi : anthropisation, érosion, système, environnement