Biosphère

La biosphère peut se définir « de la façon la plus simple, comme la «région» de la planète dans laquelle la vie est possible et qui renferme l’ensemble des êtres vivants », écrit François RAMADE (2002). Le concept, comme celui d’écosystème, a donné à l’écologie sa dimension de science globale de l’«environnement». Les géographes s’en sont, eux, curieusement peu saisis, en dehors du cercle des biogéographes (BRAQUE, 1988, ROUGERIE, 1988). Encore cette attention a-t-elle été peu reprise dans la période récente. Ainsi du Dictionnaire de l’Environnement écrit par les géographes et coordonné par Yvette VEYRET, 2007 : plusieurs entrées sont consacrées à la biodiversité, mais la biosphère est, elle, absente. Le terme est pourtant de ceux qui ont aujourd’hui pris toute leur place dans le débat social autour des enjeux environnementaux, débat dont la discipline entend ne pas être absente.

-La biosphère, concept central des approches globales en écologie
La biosphère renvoyait, chez le géologue autrichien Eduard SUESS (1875) qui forgea le terme, aux notions complémentaires de lithosphère, d’atmosphère et d’hydrosphère, mais elle restait statique. Le terme n’est vraiment conceptualisé qu’avec la publication en 1926 de La biosphère du géochimiste Vladimir Ilitch VERNADSKY (DROUIN, 1993). Il y souligne, dans une perspective évolutionniste, la « biologisation » de la planète «Terre», le développement de la vie rendant celle-ci de plus en plus « habitable ». Prenant en compte les «interactions» entre les êtres vivants et les composantes physico-chimiques du «milieu» dans lequel ils vivent, VERNADSKY met l’accent sur le fait que la biosphère constitue un système dynamique dans lequel les organismes vivants, considérés comme des « transformateurs qui changent les rayonnements cosmiques en «énergie» terrestre active » (cité par MATAGNE, 2002), jouent un rôle pivot. Ainsi a-t-il montré, de façon pionnière, la fonction essentielle jouée par la couverture végétale dans le climat et son évolution, soulignant l’importance des formations forestières.
La perspective tracée par VERNADSKY a beaucoup inspiré les scientifiques et les philosophes qui ont promu les approches globalisantes de l’écologie, approches dans lesquelles l’environnement physique, les êtres vivants et l’homme ont parties liées. Au moment où se constitue la question sociale de l’environnement, le concept de biosphère a été adopté dans les approches holistes qui considèrent le «système» complexe ainsi reconnu comme supérieur à la somme des parties qui le constituent. Ainsi chez le philosophe Jacques GRINEWALD (2006) qui fond l’histoire de l’humanité dans celle de la biosphère dans un article au titre évocateur : « la révolution industrielle à l’«échelle» de l’histoire humaine de la biosphère ». Dans ces perspectives, d’autres termes ont parfois été préférés à celui de biosphère comme l’écosphère ou encore le très discuté concept Gaia du géophysicien James LOVELOCK et de la microbiologiste Lynn MARGULIS. Ces derniers vont plus loin encore en considérant la biosphère comme vivante.
En 2010, année de la biodiversité, recentrant le débat sur l’avenir de la co-évolution de l’humanité et de la biosphère, l’UICN, Union mondiale pour la nature, souhaite promouvoir une « éthique de la biosphère ». Celle-ci serait fondée, d’après Patrick BLANDIN (2010), sur « l’exigence de rechercher les meilleurs moyens d’assurer la soutenabilité et l’adaptabilité de la biosphère ». « Dans ce but, et pour renforcer sa propre capacité d’adaptation », ajoute l’auteur, « l’humanité doit prendre soin de maintenir son potentiel de diversification culturelle ».

-La question de l’organisation spatiale de la biosphère
Dans ces débats, la géographie peut apporter sa capacité à rendre compte de l’agencement de la diversité biologique, des modulations spatiales des changements qui affectent la biosphère. Classiquement, la végétation qui constitue l’essentiel de la biomasse (l’autre partie étant la faune) a été utilisée comme indicatrice de cette géographie de la biosphère. La géographie botanique, la « géographie des plantes », discipline dont Alexandre DE HUMBOLDT disait dans son discours de 1805 qu’il n’en existait jusqu’alors « que le nom » a eu son heure de gloire en donnant naissance tout à la fois à la géographie moderne et à l’écologie. Tout se passe comme si, aujourd’hui, la question de la répartition spatiale de la végétation n’avait plus qu’un intérêt secondaire, puisque les grands traits et les grandes règles en seraient connus. Les divers systèmes de classification décrivent ainsi la végétation comme une mosaïque d’unités homogènes discrètes coïncidant aux stations dont elles sont censées refléter les caractéristiques écologiques, et se rassemblant, par emboîtement d’échelles, en unités de plus grande taille, jusqu’aux «biomes» et à la biosphère elle-même. Or ces grands traits s’avèrent plus incertains qu’il n’y paraît et les modèles spatiaux hérités, pris au pied de la lettre, sont sources d’imprécisions, voire de contresens.

Etablis dans d’autres contextes, avec d’autres schémas de pensée et d’autres objectifs que ceux que nous poursuivons en ce début du XXIe siècle, ces modèles spatiaux méritent d’être sérieusement dépoussiérés, adaptés ou transformés pour répondre aux questions sur lesquelles nous sommes interpellés depuis que l’inquiétude a saisi nos sociétés sur l’état de l’environnement terrestre. On peut par exemple sérieusement s’interroger sur l’utilité de conserver en l’état un planisphère des grands biomes terrestres qui n’est ni plus ni moins qu’un mythe puisqu’il représente les «paysages» végétaux tels qu’ils auraient existé si l’humanité n’avait pas été là … et si le climat était resté fixe depuis qu’elle est apparue … et si la liste de ces paysages végétaux avait été arrêtée une fois pour toutes il y a quelques milliers d’années. Les études de paléobiogéographie disent avec certitude que ce passé mythique n’a pas existé et, à l’avenir, quand bien même l’humanité disparaitrait, jamais la biosphère ne prendra ce visage.
La végétation n’est pas un simple décalque du milieu : la combinaison d’écosystèmes qui constituent la biosphère ne coïncide pas nécessairement et dans le détail avec la structure spatiale de la végétation, qu’il s’agisse de celle qui est directement perceptible dans la physionomie de la végétation ou bien celle, plus subtile, qui surgit du relevé précis des espèces de la flore. Les deux structures ne sont, le plus souvent, pas de même échelle et les «processus» qui les mettent en place et les font évoluer ne sont que partiellement de même nature. La correspondance végétation – milieu, cette « théorie du reflet » (la végétation est le reflet du milieu, reflet d’autant plus fidèle que l’on aura pris en compte l’ensemble des espèces qui la constitue), ne va ainsi pas de soi. Plus modestement, on peut énoncer que les variations observées dans le tapis végétal sont révélatrices de certains processus biologiques et écologiques d’’échelles et de temporalités variées (processus dont l’ensemble constitue les écosystèmes), comme elles sont révélatrices des pratiques des sociétés humaines sur le milieu (ALEXANDRE et GENIN, 2010). Ses règles ainsi redéfinies, la géographie du couvert végétal peut encore contribuer utilement à dresser le tableau géographique en perpétuelle redéfinition de la biosphère.

-Les réserves de biosphère, «territoires» d’expérimentation du développement durable
La notion de biosphère a, par ailleurs, été popularisée par la mise en place à partir de 1976 par la création par l’UNESCO du réseau des « réserves de biosphère ». Celles-ci occupent une place originale dans la géographie des espaces naturels protégés (DEPRAZ, 2008) dans la mesure où elles peuvent être définies comme des territoires d’expérimentation des idées développées par la communauté scientifique regroupée dans les organismes ou les programmes internationaux de protection de la nature. Elles résultent de la réflexion lancée par la conférence organisée par l’UNESCO avec la collaboration de l’UICN en septembre 1968 à Paris sur les « bases scientifiques de l’utilisation rationnelle et de la conservation des ressources de la biosphère », réflexion prolongée à partir de 1971 dans le cadre du programme Man and Biosphere (MAB-UNESCO).
L’objectif central du programme MAB-UNESCO a été la création de réserves de biosphère qui ne seraient pas des ensembles de nature « mis sous cloche », mais des espaces où les activités économiques seraient conciliées avec la renouvelabilité des ressources naturelles, (même s’il est concédé aux tenants d’une nature mise à l’abri des perturbations humaines la nécessité d’une zone « centrale », strictement consacrée à la protection et à la recherche). Cette conciliation serait le gage de l’amélioration du bien-être des populations locales. On reconnaît là ce que l’UICN a désigné en 1980 sous l’expression de développement durable, expression qui a connu depuis lors le succès que l’on sait dans le double contexte des remises en cause idéologiques liées à l’effondrement du bloc soviétique et de la montée des inquiétudes environnementales.

 

Références bibliographiques :
-ALEXANDRE F., GENIN A., 2010. - Les niveaux d’organisation du couvert végétal, question géographique et écologique. Géopoint 2010 : Les échelles pour les géographes et pour les autres (Groupe Dupont et UMR ESPACE, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse : 3 et 4 juin 2010) , 6 p. (à paraître : 2012)
-BLANDIN P., 2010. – Biodiversité. L’avenir du vivant. Paris : Albin Michel (coll. Bibliothèque Sciences), 260 p.
-BRAQUE R., 1988. - Biogéographie des Continents. Paris : Masson, 470 p.
-DEPRAZ S., 2008. – Géographie des espaces naturels protégés. Genèse, principes et enjeux territoriaux. Paris : Armand Colin (coll. U), 320 p.
-DROUIN J.-M., 1993. - L’écologie et son histoire. Paris : Flammarion (coll. Champs), 213 p. [Texte publié en 1991 sous le titre Réinventer la Nature aux éditions Desclée de Brouwer].
-GRINEWALD J., 2006. – La révolution industrielle à l’échelle de l’histoire humaine de la biosphère, Revue européenne des sciences sociales, Tome XLIV (2006), 134 : 139-167.
-MATAGNE P., 2002. - Comprendre l’écologie et son histoire. Paris / Lausanne : Delachaux et Niestlé, 208 p.
-RAMADE F., 2002 (2e édition). - Dictionnaire encyclopédique de l’Écologie et des Sciences de l’Environnement. Paris : Dunod, 1075 p.
-ROUGERIE G., 1988. – Géographie de la biosphère. Paris : Armand Colin (coll. U), 288 p.
-SUESS E., 1875.- Die Entstehung der Alpen. Vienne : W. Braumüller, 168 p.
-Vernadsky W.I., 1926 ; 2002 pour l’éd. française (poche).- La biosphère. Paris : Le Seuil (coll. Points Sciences), 277 p
-VEYRET Y. éd., 2007. - Dictionnaire de l’Environnement. Paris : Armand Colin, 404 p.