Quartier
Aujourd’hui, le « quartier urbain » est utilisé dans quatre grandes acceptions :
-par sa situation (quartier central, quartier de banlieue) ; -par sa fonction lorsqu’elle est dominante et structurante en en faisant un espace aux caractéristiques génériques (quartier d’affaires/CBD, quartier de gare) ; -par sa composition sociale et par l’image ou la symbolique qui lui est conféré dans les représentations collectives souvent en lien avec sa fréquentation ou ses habitants (quartier mal famé, quartier bourgeois, quartier populaire, etc.). L’Ecole de Chicago, dans les années 20 du XXe siècle, a mis en évidence le rôle des quartiers dans l’accueil, le regroupement et l’intégration dans la vie urbaine des communautés issues des migrations, tandis que ces groupes influent en retour sur l’aspect physique et social des quartiers (quartier italien, quartier chinois). -par sa morphologie : une relative homogénéité de bâti, généralement lié au moment de sa construction ou de son intégration dans le tissu urbain (quartier de Belleville, quartier de grands ensembles, quartier pavillonnaire). Ses dimensions sont très variables (de quelques îlots à plusieurs dizaines d’hectares). Cet usage, y compris par des professionnels de l’aménagement, n’a fait que renforcer l’usage du terme dans sa deuxième acception. Le quartier peut aussi désigner un échelon ou un «territoire» de gestion de la ville. De dimension tout aussi variable que dans la précédente acception, il est cependant borné par des limites institutionnalisées. Sous l’Ancien Régime, territoire d’une corporation, il avait aussi une fonction militaire, fiscale et de lutte contre l’incendie (Pinol, 1996). Aujourd’hui, il renvoie à une action sociale et/ou urbanistique : secteurs d’action sociale (notamment les régies de quartier – associations d’économie mixte qui ont pour but d’améliorer les services, de favoriser l’insertion sociale d’habitants en difficulté sur son territoire) ; cités d’habitat social (groupe d’immeubles géré par un bailleur unique). Des opérations d’aménagement (par exemple, en France, ancienne zone à urbaniser en priorité, zone d’aménagement concertée, grand projet de renouvellement urbain, zones de requalification urbaine, etc.) concourent à former des ensembles souvent qualifiés de « quartier ». Il est alors un schéma technique d’organisation de l’espace urbain pour beaucoup de professionnels ou d’élus (Gérard, 1983). Certains types d’aménagement reprennent d’ailleurs ce terme, comme les « quartiers verts » à Paris (aménagements locaux de la voirie pour réduire la circulation automobile de transit). Les quartiers de la Politique de la ville en sont un cas particulier. Le départ des classes moyennes, dans les années 1970, de grands ensembles construits dans les années 1950 et 1960, précipite, dans un contexte de crise économique, une dégradation socio-économique et urbanistique de certains ensembles de «banlieue». Des émeutes médiatisées popularisent l’idée de quartiers « sensibles », « dégradés » ou « en difficultés » (Tissot, 2007). Une « Commission nationale des quartiers » se tient dès 1981, puis est créée la politique de Développement Social des Quartiers de 1982 à 1988, prélude à la Politique de la ville de 1989 à 1994, qui se prolonge aujourd’hui sous la forme des ZUS (zone urbaines sensibles). Cette politique privilégie donc une gestion par quartiers identifiés et délimités sur la base d’indicateurs de précarité, constituant ainsi une des premières formes de territorialisation de l’action publique. Or cette territorialisation institutionnelle peut ne pas correspondre à d’autres formes de territorialité de quartier.
En effet, le quartier peut aussi désigner un territoire de convivialité ou de sociabilité, voire de communauté (quartier gay). Il est alors défini comme un espace vécu ou seulement représenté, une structure territoriale produite et imaginée par l’individu, mais néanmoins intelligible pour la collectivité, car imprégnée d’informations et d’apprentissages sociaux, par la fréquentation régulière d’«espaces publics» et/ou par des relations de voisinage (Di Méo, 1994; Noschis, 1984). Dans cette acception, le quartier est souvent qualifié de « village », cadre de vie supposé susciter une sociabilité spontanée. « C’est la représentation choyée et indéfiniment vantée et vendue du « comme autrefois », […] avec les vertus positives de communauté, rapportées contradictoirement soit aux solidarités d’un groupe social homogène, soit à l’équilibre organique du mixage » (Coste et Roncayolo, 1983). De nombreux travaux remettent en cause cette vision du quartier (cf. Débats). C’est pourtant sur cette base que le quartier a récemment été considéré comme l’échelon idéal pour une démarche participative et une gestion de proximité.
Dans une dernière acception, le quartier peut désigner aujourd’hui un territoire de démocratie participative. On retrouve cet usage en Europe, en Amérique du Nord (sous les termes de « neighborhood district » ou de « community board ») et dans les pays du Sud (Legros, 2003; Navez-Bouchanine, 2007). En France, la loi dite de démocratie de proximité (2002) contribue à faire du quartier une maille politique de gestion de l’espace municipal. Elle encourage fortement ou impose, dans les communes de plus de 80 000 habitants, la création de « quartiers de démocratie locale”. Ce sont des subdivisions institutionnalisées et clairement délimités du territoire communal, à la fois support et cadre de conseils réunissant le plus souvent des associatifs, des habitants et des élus. Ces conseils sont appelés à se prononcer principalement sur les aménagements locaux ; ils sont éventuellement habilités à proposer des projets. Cette territorialisation institutionnelle d’une démocratie participative pose le problème de leur découpage (au risque par exemple de renforcer des logiques d’entre soi), d’une territorialisation peut-être trop étroite de l’action publique au sein des métropoles, d’une appropriation par les acteurs parfois conflictuelle (Humain-Lamoure, 2010).