Gouvernance territoriale
Si l’on considère que le « gouvernement » désigne le fonctionnement d’un pouvoir politique organisé selon des institutions publiques, des règles et des procédures administratives, la gouvernance, quant à elle, désigne des formes de coordination, de régulation et de contractualisation, entre des acteurs et des instances, qui transcendent la hiérarchie classique des pouvoirs. La déclinaison de cette approche au niveau des territoires correspond au concept de gouvernance territoriale. La gouvernance ainsi qualifiée vise à la fois la gouvernance interne à chaque territoire et les rapports entre les territoires situés à différents niveaux.
Ainsi, la gouvernance territoriale peut désigner les modalités internes de gestion des territoires (gouvernance horizontale) et les relations qu’entretient chaque territoire à l’échelle qui est la sienne avec les autres entités d’action publique, de niveaux différents, selon un principe de subsidiarité (gouvernance verticale). Elle peut alors s’analyser à travers l’organisation et le fonctionnement des institutions territoriales dans le cadre d’un SCOT à l’échelle locale ou entre les différents niveaux de l’Union européenne et l’échelon communal pour la mise en place d’une directive.
La gouvernance territoriale peut également désigner la capacité à réguler (Torre et Beuret, 2012) un territoire dans le cadre d’un système partenarial avec des acteurs multiples en mobilisant les ressources humaines du territoire en question. Elle apparaît alors à la fois comme un processus qui permet de fonder les priorités politiques, sociales et économiques sur un large consensus social et comme le résultat de ce processus qui instaure, dans le temps, des mécanismes de réponse aux enjeux auxquels le territoire se trouve confronter. Comme processus et comme système, la gouvernance territoriale implique des manières d’organiser les relations entre acteurs institutionnels et non institutionnels qui se réfèrent à la transparence des délibérations et des processus de mise en œuvre des actions.
L’origine anglophone du terme gouvernance semble aujourd’hui établie. La première occurrence serait due à John Fortescue, légiste anglais du XVe siècle, dans son livre The Governance of England (Marcou 2006), dans lequel il prescrit que le roi doit gouverner « politiquement » (dominium politicum et regale), c’est-à-dire en appliquant au peuple des lois auxquelles celui-ci a consenti et reposant sur l’idée de contrat. Le terme réapparait au XXème siècle lorsque la Banque mondiale (Gaudin, 2002) se saisit de la gouvernance, comme alternative face aux dérives du clientélisme et au gaspillage dus à des systèmes politiques nationaux sclérosés. La gouvernance s’impose alors comme synonyme d’une gestion efficace et moderne. L’idée sera reprise et appliquée comme remède à la crise de l’État-providence et pour l’affirmation des collectivités locales. Cette approche de la gouvernance se manifestera particulièrement sur la scène politique britannique via les propositions du New Labour et l’idée de troisième voie.
Des travaux de sciences politiques (Le Galès et Leresche, 1995) ont ensuite utilisé la notion de gouvernance pour rendre compte de la complexité organisationnelle grandissante des pouvoirs locaux, autour des notions de partenariat public-privé, de délégation et de contractualisation des engagements. Cette approche s’intéresse à la modification des canaux, des réseaux et des alliances par lesquelles les autorités locales sont liées aux citoyens et aux entreprises sans que les mécanismes mis en place soient imposés de l’extérieur.
L’intérêt croissant porté aux questions de gouvernance territoriale s’expliquerait aussi par la redistribution des pouvoirs entre l‘État-nation et les niveaux infranationaux et supranationaux, par la dynamique changeante des économies locales confrontées à la mondialisation, et par les changements dans les attentes sociales concernant les programmes politiques et leurs mises en œuvre locale (Lascoumes, Le Galès, 2007). De plus, les théoriciens de la régulation ont cherché à évaluer dans quelle mesure les changements dans les processus de gouvernance urbaine reflétaient un changement des « régimes d’accumulation » (Jessop,, 2002). La question de la gouvernance urbaine serait ainsi concomitante du débat sur le « re-scaling » territorial (Brenner, 1999).
Devenue un objet d’analyse pour la recherche en sciences sociales et en aménagement du territoire, la gouvernance a été l’objet de travaux autour de deux aspects principaux, l’un descriptif et l’autre normatif. Ce qui revient à distinguer d’un côté l’analyse de ce qui se passe en un lieu, et pourquoi cela se produit, et de l’autre, des évaluations normatives, à savoir la manière dont les prises de décisions et leur mise en œuvre devrait se dérouler (Bonérandi, Santamaria, 2011).
En tant qu’outil conceptuel descriptif, la gouvernance territoriale correspond à l’étude d’un type de territoire spécifique, tel qu’un espace urbain ou un EPCI, et permet de mettre en lumière l’existence de différents « modèles » de gouvernance fondés sur l’observation empirique de cas concrets.
En tant qu’outil conceptuel prescriptif, la gouvernance territoriale devient une manière de statuer sur la qualité des relations entre acteurs au sein d’un territoire et entre territoires institutionnels. Elle permet d’identifier de « bonnes pratiques » en matière de gestion des affaires publiques à partir de dispositifs d’évaluation permettant d’en mesurer l’efficience, c’est-à-dire le rapport entre leur coût pour la collectivité et les effets produits. Le domaine du développement durable a, entre autres, fait l’objet de tels diagnostics (Jordan , 2008). En se plaçant en position d’experts, quelques programmes de recherche européens (ESPON TANGO, 2013 et ESPON COMPASS en 2018) ont ainsi mis au point des grilles d’indicateurs afin d’évaluer, par une note globale, les éléments constitutifs de ce que doit être une « bonne gouvernance ».
Majoritairement, la gouvernance territoriale, du fait des mécanismes concrets qu’elle met en jeu est analysée à l’échelle de territoires locaux. Cependant, la référence au territoire conduit également à considérer la gouvernance dite « territoriale » du point de vue de l’articulation des différents niveaux de territoires, d’où l’apparition d’une approche d’une gouvernance territoriale dite « verticale » qui prend en compte la variété des échelons politico-administratifs dans lesquels s’insère un territoire (Farinos-Dasi, 2006). Ainsi, ont été forgées récemment, à propos de l’Union européenne les expressions de «multilevel governance », gouvernance à niveaux multiples, ou encore de gouvernance polycentrique, (Hooghe et Marks, 2001) Chacun de ces termes a ses propres particularités, mais tous font référence à la diffusion de l’autorité d’un gouvernement central vers le niveau supranational, ou vers les juridictions infranationales et, dans le cas de l’Union européenne, à l’articulation visée entre les compétences partagées entre différents niveaux d’action publique.
La nature et la signification des différentes formes de gouvernance suscitent de nombreuses controverses. En abordant la question de la gouvernance territoriale à travers le prisme des actions et des projets d’aménagement ou d’urbanisme, on observe que la question de la participation citoyenne dans le processus d’élaboration et de réalisation des projets d’aménagement constitue un enjeu et un élément clivant. Or, le constat est souvent fait qu’en dépit de la multiplication de dispositifs législatifs et institutionnels 1 visant à réguler les débats autour des questions d’aménagement, les conflits dans ce domaine n’ont cessé de croitre sous des formes diverses, parfois violentes (Subra, 2014).
Allant dans ce sens, de nombreux acteurs de la société civile considèrent que l’exercice d’un pouvoir partagé entre plusieurs juridictions est à la fois plus efficace et normativement supérieure à celle du schéma hiérarchique de l’organisation bureaucratique traditionnelle. Ce type d’approches valorise la participation de nombreux acteurs bien au-delà des sphères du pouvoirs politiques et remet en cause la conduite des politiques publiques par les seuls appareils politico-administratifs. Du point de vue spatial, la mise en œuvre des politiques publiques aurait besoin de configurations à géométrie variable (des espaces et des acteurs) ce dont témoigne la notion de «soft spaces » invoquée par des publications anglophones (Stead, 2014, Walsh, 2012) pour faciliter la mise en œuvre des actions d’aménagement et de développement des territoires et pour s’affranchir d’approches trop sectorielles de l’action publique.
L’omniprésence du « territoire » et la remise en question des traditions profondément ancrées des politiques sectorielles des gouvernements est devenue également un important gisement d’analyses autour de la question de l’intérêt général (Gaïti, Jobert, Valluy, 1998. Les études se sont déplacées sur le terrain des stratégies en matière de légitimité et sur la place occupée par les questions de démocratie participative dans les procédures de gestion des territoires.
voir aussi: territorialité, développement local
Bernard Elissalde et Frédéric Santamaria