Oasis
Le terme grec oasis, dérivé de l’égyptien a été utilisé par les géographes pour étudier des espaces situés sur la rive sud de la Méditerranée. On attribue d’ailleurs à Hérodote la première description d’une oasis, en Égypte. À l’image des travaux de P. George (1956) ou plus récemment d’A. Cariou (2017), c’est également sous cette appellation qu’ont été définis des espaces irrigués de l’Asie centrale. En Amérique latine, le terme est clairement utilisé pour les oasis Argentines du Cuyo en espagnol, anglais ou français (Zamorano, 1985), mais moins au Pérou par exemple (Mesclier et al., 2017). En revanche, si le terme est souvent associé à la vallée du Nil, la vallée du fleuve Orange qui s’y apparente pourtant, n’est pas qualifiée d’oasis mais de « Nil » (Blanchon, 2017). Au regard de la bibliographie, ce terme est très francophone voire français. Pour autant, les oasis s’inscrivent dans un champ thématique beaucoup plus large, avec des réflexions et des objets de recherche associés : foncier, ressources, climat (semi-)aride, urbanisme, etc.
La définition des oasis comme un espace d’agricultures irriguées rendues possibles par la présence d’eau dans un environnement aride, a donné un cadre géographique aux chercheurs et chercheuses, et a participé à la construction du « modèle oasis », développé lors de la période coloniale. Le modèle colonial de l’oasis est un paysage assez figé, un peu comme des îles dans le désert. R. Garcier et J.-P. Bravard (2014) expliquent par exemple que l’oasis de Kharga (Égypte) est un produit du développement colonial, qui s’appuie sur l’idée d’une stabilité de l’environnement au cours de la période historique. Or, toutes les recherches récentes s’accordent : « en naturalisant l’objet » oasis, les approches déterministes « ont fait de l’oasis le ‘cadre naturel’ de l’histoire politique plutôt qu’un objet d’histoire à part entière » (Ibid.).
L’image d’Épinal de l’oasis correspond à un paysage spécifique en rupture avec l’environnement désertique avoisinant, principalement composé de palmiers irrigués. Elle a été favorisée par de nombreux récits de voyageurs ou d’explorateurs, mais aussi été défendue par les scientifiques. Les géographes comme J. Brunhes (1925), P. George (1956) ou M. Mainguet (2003) ont en effet longtemps mobilisé dans leurs écrits cette description d’une opposition entre espace cultivé fragile et désert hostile. La plupart des typologies rédigées sur les oasis dans la seconde moitié du XXème siècle en géographie francophone ont été proposées sous ce prisme environnemental : l’oasis est vue comme un objet singulier typique des milieux arides, mais avec une approche sociale et agricole marquée (Troin, 2005). Leur rôle de caravansérail, pourtant majeur et témoignant de l’insertion de longue date des oasis dans des dynamiques d’échanges au moins continentaux, est demeuré, pendant longtemps, peu analysé dans la littérature. Ainsi, c’est souvent le type de ressource d’eau brute et le type d’irrigation gravitaire, qui justifient les typologies (Clouet, 1995) : on peut citer les oasis de montagne ou de piémont qui ont des formes d’éventail dont la pointe amont est un barrage dérivateur ; les oasis de plaine, un liseré rivulaire agricole à l’image du Nil ; les oasis intra-désertiques qui s’alimentent via la dérivation de sources, etc. Tous ces systèmes sont l’œuvre des sociétés qui ont construits des ouvrages hydrauliques comme des barrages, des canaux, des foggaras… Mais les nouveaux périmètres irrigués en marge des oasis historiques ou isolés au cœur des déserts, avec leur hydraulique de pointe gérée individuellement et de manière privative, sont aussi des oasis, les « oasis nouvelles » avec élaboration de produits spéculatifs présentées par Clouet (Ibid.).
Ce modèle colonial de l’oasis est donc un cadre théorique qui ne tient plus : « après la fin des temps coloniaux, et celui plus récent encore de l’ouverture économique générale, l’oasis se transforme rapidement » (Chaléard et al., 2013). Sans toutefois nier l’influence des variations climatiques de disponibilité de la ressource, les causes qui conditionnent la naissance, le développement ou le déclin des oasis sont multiples : historiques, politiques et sociales. Une oasis est née de l’intention, du travail, voire de projets politiques organisés (Garcier & Bravard, 2014) ; les sociétés de l’hydraulique sont (d’ailleurs) des sociétés au pouvoir fort. L’oasis est un territoire où les acteurs et actrices s’adaptent continuellement à un environnement changeant, en modelant ou en créant des paysages spécifiques (Marshall & Lavie, 2017). La transformation de ces territoires et notamment la croissance et la mutation de leurs villes ont amené des auteurs à s’interroger sur l’urbanité des oasis (Pliez, 2011).
Aujourd’hui encore, dans des pays où les libertés académiques sont moindres, on constate des recherches centrées sur l’architecture – par exemple dans le monde arabe – et/ou sur les questions d’environnement, notamment à partir de la télédétection – par exemple en Chine ou en Iran. Ailleurs pour autant, qu’elles utilisent ou non le terme oasis, des recherches récentes se sont émancipées de l’entrée environnementale, tout en ne niant pas les effets du climat ou de la disponibilité en eau sur les caractéristiques du développement. Ainsi, les travaux actuels en sciences humaines et sociales sur l’objet oasis sont variés. Certains proposent une typologie plus sociale et politique, plutôt axées sur les questions agricoles, foncières et/patrimoniale en sociologie, anthropologie, agronomie, histoire, archéologie géographie, et en géographie politique. Plus récemment, en relations permanentes avec les approches pré-citées, des études des espaces oasiens ont émergé dans le champ de la political ecology, en géographie sociale et sociologie, notamment sous l’angle de la gestion sociale des eaux (Ruf et Riaux, 2008), en géographie politique et géopolitique à propos d’enjeux globaux de gouvernance de l’eau ; et régionaux de concurrence et de conflits d’usages entre grands secteurs de consommation. Les travaux de l’équipe de R. Boelens sur les territoires hydrosociaux, très reconnus dans le champ des water studies, ont été appliqués aux oasis littorales péruviennes (Damonte et Boelens, 2019).
Les recherches actuelles s’accordent sur la conformité du modèle oasien avec des modèles de développement agricoles et urbains mondialisés. En effet, leur taille souvent circonscrite et leur insertion de longue date dans les réseaux d’échanges mondialisés, font des oasis des objets de recherches caractéristiques d’enjeux globaux :
– Les changements climatiques et la baisse quantitative et qualitative des ressources en eau avec l’aridification ;
– L’économie de marché globalisé des denrées agricoles ;
– La concurrence avec les espaces urbains en termes d’accès à l’eau ;
– Une concurrence pour l’accès au foncier avec la ville (urban sprawl), mais aussi avec les activités d’élevage, les nouveaux périmètres irrigués installés en marges des oasis étant souvent implantés sur des terres de pâturage, cela dans des contextes d’extension de la frontière agricole sur le désert.
Ainsi de nouveaux questionnements se posent, notamment sur le concept de territoire hydrosocial, sur l’accès au capital comme principe de base pour la « modernisation » technique hydraulique, ou encore sur les conflits sociaux et fonciers, d’accès et de disponibilités de la ressource. De façon plus critique, des recherches interrogent les modèles de développement – ici le modèle oasien – interrogeant sa durabilité notamment par les approches anthropocéniques (anthropocène) et les transferts induits de systèmes de valeurs culturelles, leurs impacts et aménités.
Emilie Lavie et Anaïs Marshall