Contraction spatio-temporelle

La contraction spatio-temporelle désigne la réduction du temps nécessaire pour franchir une portion de l’espace terrestre, par l’utilisation de modes de déplacement innovants qui baissent de manière notable la vitesse pratiquée jusqu’alors. L’espace géographique est ainsi relativisé par la vitesse des mouvements qui se déploient à une certaine époque entre les couples de lieux. L’espace et le temps sont également indissociables dans les travaux de mathématiciens ou physiciens tels que Minkowski et Einstein, au tournant des 19ème et 20ème siècles.
Cependant, ces travaux s’intéressent davantage à la relativité des référentiels pour les mesures et concernent des vitesses très élevées, sans commune mesure avec les celles des mouvements en géographie. Ils n’ont pas bouleversé les théories géographiques, qui se sont attachées à décrire les transformations de l’espace-temps dès le début du 19ème siècle, en lien avec la révolution des transports et de l’information. Même si la vitesse des diligences est multipliée par deux sur certains axes dès les années 1770, en France, c’est bien l’invention des transports par machine à vapeur qui ouvre le début d’une longue série de textes sur la contraction spatio-temporelle, avec des images très évocatrices : la « distance n’entre plus en considération » (Pecqueur 1839), « l’espace est anéanti, il ne reste plus que le temps » (Heine 1843). A partir des années 1950, l’utilisation de plus en plus massive de la voiture et de l’avion donne lieu à une deuxième vague de textes, centrés sur la « convergence espace-temps » (Janelle 1968, Figure 1) ou la « compression espace-temps » (Harvey 1969). Dans le domaine de l’information, l’invention du télégraphe électrique puis du téléphone est perçue comme une véritable révolution : pour la première fois dans l’histoire, l’intelligence n’est plus tributaire des «réseaux» de transport et se transmet désormais en simultané : le monde se couvre d’une « toile d’araignée » (MacKenzie, 1927). Les nouvelles technologies associées à l’informatique renforcent de manière drastique cette « contraction du globe par l’électricité » (Mac Luhan, 1964). Désormais, des communautés se construisent à partir d’une sociabilité en réseau (« webs of intimate contact ») rendant caduque la notion de proximité (Webber 1964).

L’apport des visions relativisant l’espace par la vitesse du mouvement est fondamental en géographie. La définition même des objets est concernée : dès 1915 Paul Geddes propose de délimiter la ville non plus comme une entité administrative mais comme un territoire que l’on peut franchir en une heure de temps pour se rendre au centre-ville. Les observations sur la constance du budget-temps, notamment par Zahavi, rendront cette approche féconde. A l’intérieur de l’isochrone d’une heure, on trouve les municipalités de l’époque pré-industrielle (« walking cities »), les agglomérations et leurs banlieues ferroviaires à la fin du 19ème siècle, puis les aires urbaines fonctionnelles dessinées par les navetteurs se déplaçant en voiture ou par trains rapides. Un autre jalon temporel fort est celui de la journée, utilisé pour suivre dans le temps l’évolution des régions fonctionnelles, définies par Christaller, Juillard ou Dickinson comme des aires d’influence pour se procurer certains biens ou services et accessibles, aller et retour, en moins d’un jour.
La contraction de l’espace-temps est aussi évoquée pour rendre compte de processus de « réorganisation spatiale » (Janelle). Une boucle de rétroaction positive est décrite entre centralité et «accessibilité» des villes : par la diffusion hiérarchique des innovations dans les transports, les grandes villes renforcent leur accessibilité aux dépends des petites, ce qui améliore en retour leur centralité dans les réseaux. La recherche de gains de vitesse entraîne une réduction progressive des nœuds dans les réseaux de transport et un court-circuitage des petites villes (effets-tunnels, F. Plassard). On observe ainsi une montée en échelle des territoires que les grandes villes peuvent faire fonctionner et un renforcement des inégalités (économiques, démographiques) entre les villes. Trois niveaux d’échelle sont notamment concernés, régional, national et mondial. A l’échelon régional, ce sont les aires d’influence des grandes villes dessinées par le jalon de la demi-journée (voir plus haut) qui s’étendent au détriment de celles des petites, notamment avec l’arrivée du chemin de fer et de la voiture. A l’échelon national, la trame pluri-séculaire dessinée par le rythme immuable du transport à énergie naturelle ou animal, avec des grandes villes espacées à une journée de voyage et servant d’étape pour la nuit (Reclus, Christaller), est bouleversée par l’apparition du chemin de fer puis de l’avion. Désormais, le jalon de la journée n’est plus aussi prégnant dans l’organisation de la trame urbaine des pays. A l’échelon des grandes régions du monde, la contraction spatio-temporelle est invoquée comme l’un des facteurs expliquant la« métropolisation», en lien avec la mondialisation. Dès la fin du 19ème siècle, les métropoles mondiales sont décrites comme des interfaces permettant, par leur accessibilité exceptionnelle (maritime, ferroviaire, fluviale…) d’étendre leur aire d’influence à des portées jamais atteintes auparavant. L’explosion des vitesses dans le transport aérien, qui n’ont plus rien à voir avec celles dans le transport terrestre, permet d’atteindre facilement dans la deuxième moitié du 20ème siècle le globe entier. Cette contraction nouvelle s’accompagne de l’émergence de territoires en archipels, centrés sur les villes mondiales (Veltz 1996).
Les processus de mondialisation sont aussi expliqués en partie par la contraction espace-temps. Comme le souligne Suzanne Berger (2003), la mondialisation tient autant aux politiques publiques de libéralisation et dérégulation qu’aux innovations technologiques ». La mondialisation des échanges et du système productif reposent notamment sur le transport maritime conteneurisé et sur le fret aérien. Depuis la construction du premier porte-conteneur en 1956, la capacité de fret et la vitesse ont été multipliées par deux, et la consommation d’énergie, rapportée à la tonne transportée, a été réduite de 90% (Bavoux et al. 2005). La globalisation financière a surtout profité des technologies de l’informatique, par exemple les systèmes de cotation électroniques dans les bourses et les transactions dématérialisées entre donneurs d’ordres. Par la contraction de l’espace-temps, la mise en concurrence des différentes parties de la planète concerne désormais non seulement les sites offrant les meilleures conditions de production industrielle mais aussi ceux offrant les meilleures conditions de réglementation libérales (paradis fiscaux, bourses).
Signalons enfin que la concomitance dans l’espace de phénomènes d’étalement ou dilatation, à l’échelle intra-urbaine, et de contraction, à l’échelle inter-urbaine, met l’accent sur les phénomènes de télescopages d’échelles (Offner 2000), où des villes comme Reims ou Lille sont à la fois des métropoles régionales mais aussi des lieux de résidence pour des navetteurs travaillant chaque jour à Paris.

Passer du discours descriptif à la mesure de la contraction spatio-temporelle est un exercice compliqué car il présuppose une simplification forte de la réalité : la variété des modes de transports, des comportements des usagers, des capacités d’assumer des modes généralement couteux car innovants est remplacée dans la mesure par un usage unique et indifférencié du nouveau type de transport. Notons en outre qu’il existe des phénomènes de « divergence espace-temps » (Janelle 1969, Forer 1974, Figure 2), désignant la diminution de la vitesse des transports par saturation de réseaux (automobiles dans les grandes villes) ou déclin technique de réseaux obsolescents (diligences, lignes secondaires de trains…).
Passé ces réserves, on peut souligner que ces mesures ont surtout pour but de sensibiliser les contemporains à la portée du changement occasionné par les nouvelles vitesses. Une première approche repose sur des comparaisons de vitesse. Donald Janelle propose ainsi un « taux de convergence » (1969), qui est le rapport entre la différence de temps de transport entre deux lieux à deux dates et la «distance» topographique entre ces deux lieux. L’indice mesure donc le temps gagné par unité de parcours. Une deuxième série de mesures concerne celles réalisées pour construire des graphiques, représentant l’évolution du temps de transport entre deux lieux. Une troisième série de mesures est utilisée pour la représentation cartographique, qui peut se décliner en deux grands types.
On trouve tout d’abord des cartes à métrique temporelle, représentant les durées de transport a) au départ d’un lieu (anamorphoses unipolaires, par exemple la France ferroviaire au départ de Paris par E. Cheysson en 1888, les quartiers de Christchurch au départ du centre-ville, par P. Forer en 1974, Figure 3), b) pour franchir un espace (par exemple le monde, voir l’anamorphose proposée par Peter Dicken en 1986) c) entre chaque couple de lieux (anamorphoses multipolaires, par exemple la ville d’Edmonton par J.-C. Muller 1979, Figure 4, ou l’Europe ferroviaire par C. Cauvin et al. 1995, Figure 5, mais aussi la carte en relief de la France ferroviaire et routière par A. Lhostis 2005, Figure 6). Le deuxième type de représentation repose sur l’utilisation d’isochrones (lignes d’égal temps de transport), au départ d’un ou plusieurs lieux. Des cartes utilisent l’isochrone de la journée pour représenter le monde accessible depuis Londres (F. Galton 1881, Figure 7). D’autres représentent les contours de villes au moyen de l’isochrone d’une heure, mettant en évidence les «discontinuités» de l’espace-temps (chapelets autour des gares près de Vienne, H. Hassinger 1910). Enfin, les limites des aires d’influence régionale des villes sont représentées au moyen de l’isochrone de la demi-journée (R. E. Dickinson pour l’Angleterre, en 1929) ou de deux heures (G. Chabot en 1961 ou E. Juillard en 1970 pour la France).

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Bibliographie (sélection)
-Bavoux J.-J., Beaucire F., Chapelon L., Zembri P. (2005), Géographie des transports. Paris, Armand Colin.
-Berger Suzanne (2003), Notre première mondialisation. Leçons d’un échec oublié, Seuil, La République des Idées.
-Bretagnolle A. (2005), « De la théorie à la carte : histoire des représentations géographiques de l’espace-temps », et « Les villes dans l’espace-temps : vitesse des communications et structuration des territoires », in Volvey (dir.), Echelles et temporalités. Paris, Editions Atlande, Collection Clefs Concours, Géographie Thématique.
-Bretagnolle A., Robic M.-C (2005), « Révolution des technologies de communication et représentations du monde », in L’Information Géographique, pp. 150-183 (vol. 69), et pp. 5-28 (vol. 70)
-Forer P. (1974), « Space through time : a case study with New Zeland airlines », in Cripps (ed.), Space-time concepts in urban and regional models. London, Pion, pp. 22-45.
-Harvey D. W. (1969), Explanations in Geography. London, Edward Arnold.
-Janelle D. (1968), “Central place development in a time-space framework”, The Professional Geographer, vol. 20.
-Janelle D. (1969), “Spatial reorganisation: a model and concept”, Annals of the Association of the American Geographers.
-Mac Luhan Marshall (1964), Pour comprendre les media. Paris, Seuil (trad. française de Understanding Media, 1968).
-MacKenzie Roderick (1927), « The concept of dominance and world-organization», The Americain Journal of Sociology, vol. 33 n°1 (juillet) pp. 28-42.
-Webber Melvin (1964), “The Urban Place and the Nonplace Urban Realm”, in Webber and alii (eds.), Explorations into Urban Structure. Philadelphia, University of Pennsylvania Press, pp. 79-153. Tr. fr. en 1996, L’urbain sans lieu ni bornes. Préface et annotations de F. Choay. Paris, Editions de l’Aube, Collection Monde en cours.