Ecole de Los Angeles
L’école de Los Angeles s’inscrit dans la foulée du modèle paradigmatique de l’école de Chicago. Ses textes fondateurs affichent une sorte de mimétisme à l’endroit de ceux des précurseurs des années vingt. Le titre emblématique du maître ouvrage de Chicago The City (Park, Burgess et McKenzie, 1925) est même copié (Scott et Soja, 1996). L’intention est clairement affirmée dans le recueil de textes rassemblés par Michael Dear : From Chicago to L.A. (Dear, 2002). Les thématiques anciennes sont ainsi reprises et actualisées. L’école de Los Angeles oppose au modèle urbain de la métropole industrielle type qu’était Chicago, organisée par un centre attractif, la métropole postmoderne fragmentée, décentrée et étalée par la mobilité exacerbée des individus (Fogelson, 1967; Dear, Schockman et Hise, 1996). La refonte proposée de la théorie urbaine prend trois directions.
-En premier lieu, Los Angeles est décrite comme l’idéal-type de la nouvelle économie postfordiste, globalisée et financiarisée, riche des innovations technologiques et d’une économie du travail flexible ainsi que de partenariats dominés par le secteur privé (Soja et Scott, 1996). Le fameux modèle de Burgess (1979) qui a traversé le temps et impulsé autant d’approfondissements que de critiques est revu. Le centre n’organise plus la périphérie, c’est le contraire. Los Angeles exemplifie ainsi le débat entre les tenants de la thèse du déclin des centres-villes et du choix rationnel des individus en matière de localisation et de mobilité, d’une part, et les tenants de la critique de l’étalement urbain favorables au réinvestissement public dans la relance des centres-villes au nom du développement durable urbain, d’autre part (Gordon et Richardson, 1996; Ewing, 1997).
-En second lieu, le modèle de la métaphore écologique n’est pas abandonné, mais les communautés y sont enfermées dans une logique sécuritaire, dont les membres se déplacent dans un espace métropolitain sans frontières réelles, mus par des comportements aléatoires. Un tel développement urbain est qualifié d’urbanisme postmoderne et son modèle est le keno capitalism (Dear et Flusty, 2002). Ainsi, la métropole est représentée par des cases juxtaposées sur une grille aux lignes floues, l’une loge une edge city, une autre un theme park, une autre encore une gated community ou une ethnobrub pour ne nommer que ceux-là, le tout bridé par les autoroutes urbaines et l’autoroute de la désinformation (ibid., p. 80). Une autre représentation de la morphologie de Los Angeles est largement inspirée de celle de Burgess. Elle en reprend l’organisation par cercles concentriques, avec des secteurs sous l’emprise de la violence, des gangs de rue, du trafic de drogue. Le centre est la zone de confinement des sans-abri. D’autres secteurs sont réservés aux classes privilégiées qu’elles transforment en forteresse. Le modèle écologique de la peur représente des espaces ségrégués, certains aux marges de l’aire métropolitaine, tous sous haute surveillance, ratissés par des policiers et décrits comme concentrationnaires (Davis, 1999; 1992).
L’image postmoderne est reflétée autant par son architecture que par sa forme dispersée et fragmentée. L’architecturale hétérogène témoigne de l’hybridation des genres et des formes, des constructions des années 90, un peu comme l’école d’architecture de Chicago de Louis L. Sullivan marquant l’élan moderniste des villes américaines de l’époque industrielle (Jencks, 1996). La postmetropolis est aussi une affaire de discours. Une nouvelle façon de parler de la ville et de la métropole, et incidemment de reconnaître les formes qui la constituent, traduisant les crises actuelles de la globalisation de l’économie. Six discours sont affectés à décrire la nouvelle géographie du pouvoir, des inégalités et de l’imaginaire carcéral, nommément les discours postfordist industrial metropolis, cosmopolis, exopolis, fractal city carceral archiplago et simcities. (Soja, 2000). Le vocabulaire de la métropole postmoderne prend une ampleur inattendue chez Dear et Flusty, avec des termes comme global latifundia, holsteinization, cybergeoisie, cyburbia, cyberia, pollyannarchy, pour ne nommer que ceux-là, énoncés comme des pastiches propres à souligner l’orientation critique de la proposition face aux conditions imposées par le capitalisme globalisé (Dear et Flusty, 2001).
-En troisième lieu, l’école de Los Angeles reprend par mimétisme les sujets d’étude emblématiques de l’école de Chicago : la question raciale (Ong et Blumenberg, 1996), les sans-abri (Stoner, 2002; Wolch, 1996), les gangs de rue (Maxson et Klein, 2002), l’approche écosystémique (Vasishth et Sloane. 2002). Une autre dimension est ajoutée aux structures écologiques, celle de l’orientation sexuelle et des genres, avec les réseaux internet de la communauté gay dans la ville (Dishman, 2002). Dishman montre que l’espace virtuel des gays est à la fois le produit d’une stratégie de protection de ses membres et un nouveau mode de relation entre eux. Le thème de la nature préfigure les nouvelles préoccupations environnementales urbaines, notamment la présence des non-humains (les animaux) dans la ville; plus encore, on conçoit que la nature urbaine structure la morphologie métropolitaine, induit des luttes citoyennes pour sa protection et ce, dans l’optique de la justice environnementale (Wolch, Pincetl et Pulido, 2002).
L’école de Los Angeles a permis de renouveler les grandes thématiques urbaines amorcées par l’école de Chicago, en les inscrivant dans une approche critique, du fonctionnalisme notamment, et de ses orientations descriptives, sans toutefois atteindre un même statut programmatique dans l’évolution des études urbaines depuis 2002.
Gilles Sénécal