Etat
NB cet article « Etat » sera complété par un article « Etat-nation » et par un article « Etat et espace géographique »
Le mot État proviendrait du latin stare qui renvoie à la notion de stabilité, de permanence, ou, plus clairement du terme stato utilisé par Machiavel pour désigner les cités-États d’Italie. En français, le terme apparaît à l’époque moderne, mais il désigne alors plutôt la situation de la personne dans la société et, au-delà, sa condition politique (ex : le tiers état)
Un État est une construction à la fois institutionnelle et politique fondée sur des assises sociétales et territoriales qui se manifeste selon une triple dimension. C’est :
-un ensemble d’institutions caractérisées par la détention du monopole de la promulgation de la règle de droit et de l’emploi de la force publique.
-une totalité souveraine dont le territoire et les frontières sont reconnus par les institutions internationales.
-un mode d’organisation et une intervention dans le fonctionnement de l’espace géographique sur lequel s’exerce son autorité.
En tant que législateur l’Etat promulgue et, en théorie, garantit l’application des lois, lorsque l’on est dans une configuration qualifiée d’Etat de droit. Il représente la seule entité juridique à posséder une plénitude de compétences, et ce qui en découle : un pouvoir politique officiel. Ainsi défini, l’État moderne (Machiavel), se présente comme un pouvoir central souverain qui, au nom d’un intérêt supérieur, soustrait l’action politique de considérations morales et religieuses. Ce pouvoir s’exerce sur un «territoire» où cette entité est responsable de l’ordre public, pour des populations dont il assure la cohésion et dont il doit assurer la défense vis-à-vis de l’extérieur selon un schéma contractuel théorisé par Th. Hobbes, dans le Léviathan (1651). En justifiant son existence par la garantie de l’ordre social, l’émergence des États marquerait le passage de l’état de nature, caractérisé par la guerre de tous contre tous, à l’état civil, dans lequel chacun est libre en obéissant à la loi de tous.
Fortes de cette légitimité contractuelle, les prérogatives organisationnelles et territoriales d’un Etat se matérialisent autour de l’idée de souveraineté. Définie pour la première fois par Jean Bodin (1529-1596), la souveraineté permet à l’Etat d’exercer son autorité à l’intérieur aussi bien que vis-à-vis de l’extérieur. Cette idée de souveraineté se manifeste par un certain nombre d’exclusivités des fonctions régaliennes et/ou de leurs symboles (la monnaie, les forces armées , le drapeau, l’hymne national, la fiscalité, etc). On remarquera que l’importance accordée à ces prérogatives régaliennes varie fortement d’un Etat à un autre. Certains très sourcilleux face à tout abandon de souveraineté (ex :la monnaie) tolèrent, néanmoins, à leurs portes la présence de « paradis fiscaux » qui défient leur souveraineté fiscale.
S’écartant de ce schéma théorique, la réalité du fonctionnement d’un certain nombre d’Etats leur vaut d’être qualifiés de « faibles » (expression initiée dans les années 1960 par G.Myrdal pour alerter sur la situation réelle des pays nouvellement décolonisés) ou de défaillants (« failed states », Helman, 1993 ou « collapsed states », Zartmann, 1995) lorsque l’appareil d’Etat ne remplit plus ses missions premières (sécurité, justice, éducation, etc). On sait que dans ce cas le vide ainsi laissé est comblé par d’autres entités : milices privées, groupes d’autodéfense, crime organisé, etc.
Les relations entre les Etats et l’espace terrestre
Les «frontières» sont les marqueurs de la souveraineté des Etats dans l’espace. L’importance accordée à la pérennité de ces délimitations a souvent conduit les autorités étatiques à chercher à les arrimer à des repères naturels (Vauban, P.Buache). On sait néanmoins depuis longtemps (L.Febvre) qu’il ne s’agit, en l’espèce, que d’éléments de justification, et que l’affirmation d’un assemblage de territoires fondé sur la contiguïté et la clôture (D.Nordman) a pu jouer un rôle aussi bien dans la sécurisation que dans la conflictualité des relations inter-étatiques (M.Foucher).
Cette importance accordée à l’assise spatiale a conduit F.Ratzel à développer une théorie de l’Etat organique, considérant que la vie des Etats et des nations est similaire à celle des êtres vivants. Conçue comme un «organisme ancré au sol » la puissance des Etats est associée à leur superficie, d’où il fut déduit que la croissance spatiale des Etats s’accroit parallèlement à son développement, justifiant ainsi les conquêtes territoriales et la hiérarchie des puissances. La délimitation de vastes zones coloniales ou de sphères d’influence géographiques entre les puissances européennes furent des applications de cette conception du monde . Le lien entre l’ancrage terrestre des Etats et son rôle géographique a été pensé différemment par J.Gottmann, selon une dialectique entre le mouvement de cloisonnement du monde et celui de la circulation. La recherche de la stabilité pour organiser politiquement des espaces se combine avec le principe de la circulation, qui affecte aussi bien l’organisation interne des États que leurs relations externes. Si la «mondialisation» contemporaine tend à valoriser de vastes Etats très peuplés dénommés « Etats-continents », la superficie ne constitue plus, a contrario, un élément totalement discriminant. Un certain nombre d’entités qualifiées de micro-états (Le Vatican : 32 hectares, Monaco : 1,2 km², Singapour: 616km²) soulignent l’absence de corrélation entre la superficie et le rayonnement. A l’inverse l’immense territoire Antarctique ne porte aucun Etat sur son sol.
L’Etat dans le système des relations internationales.
On considère que depuis les traités de Westphalie (1648), que les relations internationales sont organisées autour d’un système d’Etats souverains qui repose, depuis 1945 sur l’égalité en droit entre les Etats, même si ce système se fonde et agit selon une hiérarchie établie de puissances. Cette égalité juridique entre les Etats se concrétise, en apparence, au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui regroupe 193 membres en 2014 alors qu’ils n’étaient que 51 lors de sa fondation en 1945 . La question de la reconnaissance internationale des Etats par des pays tiers est centrale dans l’existence d’un Etat. L’apparition de nouveaux Etats résulte soit de l’accession à l’indépendance de territoires colonisés ou dominés, soit d’un processus de scission ou de sécession. Plusieurs territoires ont récemment proclamé leur indépendance et revendiquent le statut d’Etat (Chypre du Nord, l’Abkhazie, ou le Somaliland) sans que la communauté internationale ne reconnaisse ladite indépendance. Cet acte irrévocable de reconnaissance demeure un élément central des relations internationales (problème de la non reconnaissance de Taïwan par la R.P.Chine, d’Israël par certains pays arabes, ou de la reconnaissance du Kosovo par les trois quart seulement des Etats membres de l’UE). Cette multiplication des entités indépendantes conduit plusieurs auteurs (P.Boniface, S.Rosiére) à parler de « prolifération étatique » dont le nombre grandissant serait un élément d’instabilité internationale.
Un recul apparent du poids des Etats ?
La caractéristique contemporaine du système international est la multiplication de nouveaux acteurs faisant concurrence aux Etats. Des entités juridiques dérivées des Etats, telles que les organisations intergouvernementales (ex : l’Union européenne), produisent des avis, des résolutions ou des normes qui peuvent s’imposer aux Etats membres (ex : les réglements de l’Union européenne). Même si, à l’instar de la Charte de l’ONU, ce sont les Etats qui officiellement demeurent les maîtres du jeu, certaines institutions internationales (Cour pénale internationale) remettent en question le droit des Etats. Rompant avec les conceptions « réalistes » (Waltz, 1979) de la géopolitique, J.Rosenau, (Rosenau, 1979) avait proposé dans les années 80 d’abandonner une compréhension du monde uniquement « stato-centrée », en y adjoignant les acteurs non étatiques. Dans le système international, cette approche « transnationaliste » tente de prendre en compte la multiplication et l’influence grandissante de ce type d’acteurs (ONG, médias, firmes transnationales, réseaux criminels, etc), dont les moyens financiers peuvent, pour certains, être supérieurs aux budgets de nombreux Etats. Dans les faits, ces nouveaux acteurs cohabitent, concurrencent et d’une façon générale interagissent avec les Etats dans les évènements internationaux. On constaterait donc (N. Brenner, ou R.Cox ) une adaptation, volontaire ou subie, des Etats à la mondialisation, qui produirait une « internationalisation de l’Etat » en les orientant vers de nouvelles priorités imposées par la « compétitivité mondiale « , telles que la création d’un climat favorable aux investissements transnationaux. Sur le plan des relations interétatiques, on assiste à un redimensionnement de l’Etat lui-même avec de nouvelles échelles de régulation prenant la forme de blocs supranationaux (U.E., ASEAN, G7, etc). Dans le cadre des G7 ou G20, l’autorité de chaque Etat semble, en effet, se dissoudre quelque peu dans une gouvernance planétaire, à moins que la mise en scène de ces conférences ne serve qu’à soustraire lesdits Etats des pressions des autres acteurs. Car, par delà, l’émergence de nouveaux pouvoirs, le système international continue de fonctionner de façon oligarchique ( cf le conseil de sécurité de l’ONU).