Interface

 

Une interface est le « support des contacts et des échanges entre deux ensembles juxtaposés » (Bavoux & Chapelon, 2014), un « plan ou une ligne de contact entre deux systèmes ou deux ensembles distincts » (Brunet, 1993). Dans son acception la plus large, le terme interface, de l’anglais interface, « surface formant frontière », couvre l’intégralité des adhérences entre ensembles connexes. On parle d’interfaces entre milieux océanique, atmosphérique et surface continentale mais aussi entre recherche scientifique et société, entre grands domaines de connaissances ou entre champs disciplinaires : « la géographie n’en reste pas moins stratégiquement bien placée pour se doter d’une interface avec les sciences de la terre » (Bertrand, 1995).

Issue de la physique, la notion d’interface a progressivement été appropriée par d’autres disciplines. En géographie, où le terme s’est répandu au début des années 1980, l’interface caractérise à la fois la limite où s’opère le changement et le lieu où se matérialisent certaines interactions spatiales (Ullman, 1954). La notion d’interface porte ainsi simultanément en elle l’idée de séparation et l’idée de mise en relation ; toutes deux découlant de la différenciation spatiale. Interfacer c’est mettre en contact deux entités contiguës et/ou interreliées, et rendre possible le passage de l’une à l’autre. L’interface est bien, en cela, « l’une des interspatialités caractérisée par la mise en contact de deux espaces » (Lévy & Lussault, 2003).

De nombreuses interfaces structurent l’espace géographique. Cela tient à la diversité des ensembles concernés : milieux, aires, réseaux, etc. L’interface peut être de nature purement physique comme c’est le cas entre la lithosphère, l’hydrosphère et l’atmosphère ou, plus généralement, être la conséquence d’une intervention humaine comme dans la délimitation des frontières étatiques (Raffestin, 1974). L’interfaçage implique donc une action humaine volontariste mais toutes les interfaces ne sont pas d’origine anthropique.

Certaines (sahels, piémonts) caractérisent de forts contrastes entre milieux distincts. D’autres (ville/campagne, pavillonnaire/grands ensembles) reflètent la diversité des modes d’occupation humaine et les différenciations socio-spatiales. La caractérisation des interfaces dépend ainsi de l’échelle à laquelle le phénomène étudié se déploie. Les littoraux illustrent toute la complexité d’une interface physico-humaine aux multiples enjeux : écologiques (préservation des écosystèmes terrestres et maritimes et des ressources halieutiques), économiques (activité portuaire, tourisme balnéaire, pêche, aquaculture, saliculture, maraîchage…), politiques (surveillance des frontières et régulation des flux migratoires), culturels (fort ancrage identitaire), urbanistiques et circulatoires (coexistence de flux portuaires transversaux et de flux maritimes et terrestres longitudinaux).

Dans l’espace, les interfaces sont déterminées par les propriétés de chacun des deux ensembles qu’elles mettent en contact. « Certaines, nettes, séparent des entités très différentes, peu miscibles et qui n’échangent que très peu (certaines frontières), tandis que d’autres, moins perceptibles, correspondent à de fortes pénétrations (par exemple entre deux aires culturelles), jusqu’à n’être que des transitions douces, difficiles à définir et à circonscrire » (Bavoux & Chapelon, 2014). Les interfaces peuvent ainsi relever du sensoriel, de la perception et des pratiques spatiales, ce qui complexifie leur identification et leur caractérisation (Lynch, 1960).

Les interfaces s’inscrivent sur les discontinuités spatiales (Brunet, 1967 ; Gay, 1995). C’est parce qu’il y a discontinuité qu’il y a intérêt à échanger, communiquer, partager et que des mécanismes de régulation se mettent en place au niveau des interfaces. C’est l’existence de différentiels (économiques, sociaux, culturels…) entre systèmes interfacés qui déclenche les mécanismes de valorisation ou de protection. Par l’intérêt qu’elles suscitent, les opportunités qu’elles offrent ou les craintes qu’elles inspirent, les discontinuités favorisent le développement des interfaces. Ces dernières découlent ainsi de formes d’appropriation des discontinuités par les acteurs territoriaux.

La fonction de mise en relation se double d’une fonction de régulation issue de l’interface elle-même ou des centres des systèmes territoriaux interreliés. Lieux d’expression de complémentarités, les interfaces sont également des lieux où se matérialisent des différences, des concurrences et, dans certains cas, des tensions entre modes de régulation différents. Les frontières de l’espace Schengen en sont le reflet.

Les fonctions d’échange et de régulation des interfaces dépendent de processeurs qui influencent directement la nature et l’intensité des flux et, plus largement, les structures et les dynamiques des espaces interfacés. Les travaux du groupe « interfaces » de l’UMR ESPACE ont permis d’identifier quatre grands types de processeurs (Chapelon & Emsellem, 2008) : l’attracteur (captation), le sélecteur (filtrage), l’adaptateur (modification) et le commutateur (distribution). Ils rejoignent en cela la position de Jean-Louis Le Moigne (1994) qui, s’inspirant de la membrane cellulaire, caractérise l’interface comme « un sous-système doté d’une structure, réseau de processeurs, et assurant des activités spécifiques ».

L’action de ces processeurs explique la plus ou moins grande perméabilité des interfaces. Certaines n’opèrent quasiment aucune régulation alors que d’autres ont tendance à se fermer complètement. Les différents murs construits sur de nombreuses frontières afin de bloquer les flux migratoires et les échanges sont le symbole et l’une des formes de la matérialisation de cette fermeture. L’Histoire a cependant montré à maintes reprises qu’aucune frontière n’est totalement imperméable comme en témoignent les tunnels servant à ravitailler clandestinement la population palestinienne de Gaza en biens et denrées depuis l’Égypte.

Ainsi, le fonctionnement des interfaces explique-t-il, partiellement ou totalement, de nombreux effets territoriaux de coopération, concurrence, concentration, développement, marginalisation, paupérisation, etc. L’interfaçage de systèmes spatiaux est un puissant outil de transformation de l’espace géographique. Il est souvent source de collaborations nouvelles entre acteurs territoriaux, de nouvelles formes d’action. Des mutualisations de moyens et de compétences se font jour. Des processus innovants de décision et des formes originales de gouvernance se dessinent.

Par exemple, le domaine du transport de voyageurs est passé en quelques années d’une approche principalement sectorielle, où chaque mode opérait indépendamment des autres, à une approche plus intégrée privilégiant l’articulation des solutions de mobilité dans des chaines intermodales multiscalaires (Chapelon, 2016). Les acteurs du transport ont davantage collaboré, des interfaces ont été créées spécifiquement (pôles d’échanges multimodaux), d’autres ont été renforcées (gares, aéroports), les services ont été coordonnés, les politiques tarifaires ont été harmonisées, des solutions billettiques innovantes et des systèmes d’information multimodaux ont été déployés (Chapelon, 2010). Les bénéfices de l’interfaçage des systèmes de transport sont nombreux. Ils se mesurent en termes de cohésion sociale et spatiale, d’intégration des différents niveaux de la hiérarchie urbaine, de renforcement des échanges et des coopérations économiques, etc. D’autres domaines comme celui de l’information et de la communication ont enregistré, ces dernières années, des progrès encore plus spectaculaires grâce à l’interfaçage de solutions technologiques innovantes.

Il en ressort que les interfaces sont des objets géographiques à part entière, dotés de propriétés spécifiques et disposant d’une capacité d’action issue de processeurs contrôlés par des acteurs plus ou moins enclins à tirer profit des différentiels territoriaux. Dans certains cas, les interfaces s’auto-organisent et donnent naissance à des entités territoriales nouvelles (régions transfrontalières).

Les interfaces possèdent leur propre dynamique. Leurs fonctions et leur influence évoluent au fil du temps. Certaines disparaissent, d’autres se créent et acquièrent de nouvelles fonctionnalités. Le renforcement des postes-frontières aux limites de l’espace Schengen, conséquence de l’ouverture des frontières internes de l’Union européenne et de l’évolution de la pression migratoire, est le reflet de cette dynamique.

L’approche par les interfaces éclaire ainsi l’analyse des systèmes spatiaux en plaçant la focale sur les mécanismes relationnels et leurs implications territoriales. Elle repositionne les espaces périphériques, souvent considérés à tort comme de simples marges, au centre des interactions spatiales. Elle révèle toute la richesse économique, sociale, culturelle, ethnique de ces espaces. Enfin, en mettant en évidence les lieux saillants d’échange et de régulation, elle est source de gains substantiels d’efficacité des politiques d’aménagement de l’espace et d’urbanisme.

Laurent Chapelon

 

 

 

 

Bibliographie

-BERTRAND C. & G., 1995, La géographie et les sciences de la nature in BAILLY A., FERRAS R., PUMAIN D. (dir.), Encyclopédie de géographie, Paris : Economica, 1167 p.

-BAVOUX J-J., CHAPELON L., 2014, Dictionnaire d’analyse spatiale, Paris : Armand Colin (Coll. Dictionnaires), 608 p.

-BRUNET R., FERRAS R., THERY H., 1993, Les Mots de la géographie, Paris, Montpellier : La Documentation française, 518 p.

-BRUNET R., 1967, Les Phénomènes de discontinuité en géographie, Paris : Editions du CNRS, 117 p.

-CHAPELON L., 2016, « Evaluation de la performance des chaînes intermodales de transport par les mesures d’accessibilité » in Transports et intermodalité, Londres : ISTE, p.107-136.

-CHAPELON L., 2010, Les pôles d’échanges, des interfaces au service de l’intermodalité in « Géographie des interfaces », Versailles : Quae, p. 89-104.

-CHAPELON L., EMSELLEM K. (coord.), Groupe de recherches « Interfaces », UMR ESPACE, 2008, L’interface : contribution à l’analyse de l’espace géographique, L’Espace géographique, Tome 37, n°3, p.193-207.

-GAY J.-C., 1995, Les Discontinuités spatiales, Paris : Economica, 212 p.

-LE MOIGNE J.-L., 1994, La Théorie du système général, Paris : Presses Universitaires de France, 338 p.

-LEVY J., LUSSAULT M., 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris : Belin, 1033 p.

-LYNCH K., 1960, The Image of the City, Cambridge : Massachusetts Institute of Technology Press, 194 p.

-RAFFESTIN, C., 1974, Eléments pour une problématique des régions frontalières, L’Espace géographique, Tome 3, n°1, p.12-18.

-ULLMAN E. L., 1954, Geography as spatial interaction, Interregional Linkages (Proceedings of the Western Committee on Regional Economic Analysis), Berkeley, p. 63-71 (chap. 1, Boyce ed., 1979).