Le terme de périurbain qualifie, en France, un type d’espace caractérisé par sa situation d’entre-deux, entre l’espace rural et la «
banlieue ». Caractérisé par une bonne «
accessibilité», ce type d’espace combine plusieurs caractéristiques singulières : des densités intermédiaires tant du point de vue de la population que des activités et de l’emploi, une imbrication des espaces bâtis et non bâtis incluant de nombreux espaces « naturels » et agricoles, une surreprésentation de l’habitat individuel, que ce soit sous la forme d’une urbanisation diffuse ou d’ensembles pavillonnaires, et des pratiques spatiales dominées par des déplacements motorisés, combinant des pratiques régulières à la fois de la ville et des espaces « naturels ».
Le périurbain est le produit d’un processus que l’on retrouve dans différents contextes géographiques correspondant au desserrement des populations et des activités, ainsi qu’à une densification de l’espace rural situé autour des agglomérations, principalement au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Il s’agit de la forme la plus récente d’un processus d’urbanisation à long terme, lié à l’accroissement de la population, qui a notamment donné lieu au cours des siècles passés au développement des faubourgs et des banlieues dans la continuité des villes. La périurbanisation contemporaine se différencie cependant par l’ampleur des surfaces concernées, par l’émergence de nouvelles formes spatiales en discontinuité avec les agglomérations, en lien avec la généralisation de l’automobile. Trois grands types de facteurs sont généralement mis en avant :
-les logiques de marché (rôle des banques, du secteur du bâtiment et des travaux publics…),
-les politiques publiques (soutien à la maison individuelle, construction d’infrastructures, protection des espaces « naturels »…)
-les choix résidentiels (quête d’espace et de « nature », accession à la propriété individuelle, proximité des aménités urbaines…).
Ce mouvement de desserrement a donné lieu à des formes spatiales variables d’un contexte géographique à l’autre : une urbanisation plus ou moins dense et dispersée, des activités (commerces, services, emploi, etc.) plus ou moins présentes, des polarités plus ou moins développées. Ces différenciations sont liées à la nature et au rythme des politiques publiques mises en œuvre, aux caractéristiques préexistantes de l’espace, aux imaginaires et aux modes de vie, etc. Cela se traduit par une grande variété de dénominations : périurbain en France, post-suburbs (Lucy et Phillips, 1997) en Amérique du Nord, Zwischenstadt (entre-ville) en Allemagne (Sieverts, 2004), citta diffusa (ville diffuse) en Italie (Indovina, 1990), etc. (voir tableau en annexe).
En France, le périurbain s’est construit à la fois comme catégorie statistique et comme catégorie spatiale. Depuis les années 1960, l’INSEE n’a eu de cesse de proposer des catégories de lecture pour appréhender un phénomène de plus en plus important et généralisé quelle que soit la taille de la ville. En effet, dans la plupart des régions, après une extension spatiale des villes particulièrement marquée au début des années 1970, on a observé une forte densification des couronnes périurbaines au début des années 1980. Ainsi, dès 1962 est créée la catégorie de Zone de peuplement industriel et urbain (ZPIU), qui inclut les communes « périurbaines ». En 1996, une nouvelle nomenclature est proposée, délimitant des « aires urbaines » constituées d’un « pôle urbain » et de « couronnes périurbaines ». Ces dernières sont définies par la dépendance fonctionnelle au « pôle urbain », mesurée par l’intensité des navettes domicile-travail (au moins 40 % des actifs résidents travaillent dans le pôle ou dans les communes attirées par celui-ci). Depuis, le rythme de la périurbanisation s’est ralenti, mais au début des années 2010, l’INSEE estime tout de même qu’environ 30 % de la population vit dans ces espaces périurbains.
Le périurbain s’est aussi imposé comme une catégorie spatiale (Vanier, 2000), pivot d’un champ de recherche important au sein de la géographie, en partie porté par la commande publique. La caractérisation du périurbain s’est progressivement modifiée, en lien avec l’évolution des territoires périurbains et leurs représentations. Initialement, le périurbain était considéré comme habité par des familles issues des classes moyennes et dominé par l’habitat pavillonnaire (Haumont, 1966 ; Mayoux, 1979 ; Jaillet, 1982). Mais depuis une dizaine d’années, de nombreuses études ont donné à voir la diversification sociale d’un périurbain où l’on ne trouve plus seulement des familles de classes moyennes, mais aussi des ménages pauvres, des ménages de personnes âgées, etc. (Berger, 2004 ; Cailly, 2008 ; Dodier et al., 2012). Nombre de chercheurs constatent également la diversité morphologique d’un périurbain qui n’est plus seulement dominé par le modèle du pavillon et du lotissement, mais comprend de plus en plus de l’habitat collectif. Par ailleurs, les chercheurs mettent désormais en avant non plus la dépendance vis-à-vis de la ville-centre, mais de plus en plus la relative autonomie du périurbain. Dans le cadre d’aires urbaines de plus en plus polycentriques, les déplacements domicile-travail ne se font plus seulement entre le cœur des agglomérations et le périurbain, mais s’articulent de plus en plus sur les pôles secondaires, situées en périphérie des agglomérations (Bonnin-Oliveira, 2013). Il en va de même pour les déplacements liés aux achats et aux loisirs. Il s’agit globalement d’un recentrage des pratiques spatiales sur la proximité. Les mobilités résidentielles reflètent aussi en partie ce recentrage, mais sont plus généralement marquées par une grande diversification (pas seulement centre-périphérie). Certains chercheurs parlent même désormais d’une « maturation » du périurbain (Berger et al., 2014), insistant ce faisant sur la production d’une territorialité périurbaine qui passe par un ancrage des habitants dans leur espace local. Cette autonomie et cette maturation s’appuient par ailleurs sur des structures spatiales préexistantes, souvent négligées jusqu’à peu : bourgs et petites villes, hauts lieux, espaces ouverts, etc. Polarisant de plus en plus les pratiques spatiales des périurbains, ces lieux acquièrent une nouvelle fonction et un nouveau sens dans des territoires en construction.
Depuis quelques années, en France, le périurbain n’est plus seulement un objet scientifique, il est aussi devenu un enjeu idéologique et politique. Les débats s’articulent en premier lieu autour du modèle de société auquel s’apparenterait le périurbain. De manière schématique, on trouve d’une part une vision plutôt optimiste du périurbain insistant sur l’émergence de nouvelles formes d’urbanité et sur les innovations multiples dont il serait porteur, valorisant tantôt la mobilité et la « ville à la carte » (Chalas, Dubois-Taine, 1997), tantôt les nouvelles formes de solidarité ou de rapport à l’environnement. On trouve d’autre part une vision plus critique dénonçant les logiques se séparation voire de
ségrégation à l’œuvre dans le périurbain, dont la forme la plus poussée est la communauté fermée «
communautés fermées», les logiques de privatisation des «
espaces publics », ou encore les inégalités face à la mobilité et à l’accès aux ressources urbaines. Récemment, la controverse s’est focalisée sur le vote des habitants du périurbain. Certains observateurs considèrent en effet qu’il y a une « spatialité du vote d’extrême droite » (Grésillon, 1998) et qu’il y aurait un vote périurbain tendant à favoriser le Front national, ce qui s’expliquerait par son inscription dans une « France périphérique » (Guilluy, 2014) ou bien par un déficit d’urbanité lié à des logiques de ségrégation et d’exclusion qui seraient l’apanage du périurbain (Lévy, 2013). De nombreux chercheurs s’opposent à cette vision considérée comme spatialiste et réductrice, rappelant la diversité des territoires, des habitants et de leurs modes d’habiter (Cailly, 2008), la position sociale apparaissant plus déterminante que la localisation résidentielle pour expliquer les choix électoraux (Charmes et al., 2013 ; Rivière, 2013).
En second lieu, le périurbain apparaît comme un problème en matière d’aménagement et de gestion des territoires. Il a longtemps été considéré sous l’angle de l’étalement urbain comme un espace peu aménagé et sans cohérence, « orphelin d’une pensée aménagiste » (Vanier, 2010), ou encore sous l’angle de la standardisation voire de la dégradation des paysages. Cette vision du périurbain se maintient et reste dominante aujourd’hui. Elle a même pris de l’ampleur ces dernières années avec l’affirmation des principes du développement durable, et leur corollaire de la « ville compacte », le périurbain apparaissant comme l’antithèse de la ville durable, forte consommatrice d’énergie et de ressources non renouvelables. Mais on observe aujourd’hui une tendance à la « réhabilitation du périurbain » (Rougé et al., 2013) insistant sur les processus de densification en cours, sur la part des pratiques de proximité polarisées par les bourgs et petites villes (Bonnin-Oliveira, 2013), ou encore sur le rôle des espaces « naturels » dans les modes de vie et sur le maintien d’une agriculture périurbaine favorisant les circuits courts (Poulot, 2013). Par ailleurs, même si, de manière générale, la mise en œuvre de stratégies d’aménagement demeure difficile dans un cadre institutionnel dominé par des intercommunalités de petite dimension et concurrentes et marqué par le manque d’ingénierie des petites communes (Vanier, 2010), des recherches récentes montrent la capacité d’innovation des acteurs locaux et l’émergence de véritables stratégies d’aménagement au niveau local (Rougé, Vidal, 2014).
Nombreuses sont les prises de position qui de fait survalorisent la ville dense, celle-ci apparaissant comme un espace de mixité, de rencontre, de durabilité auquel est opposé un périurbain marqué par un déficit voire une absence d’urbanité. Face à cette « vision à la fois nostalgique et déterminée par des enjeux idéologiques » (Genestier, 2007), il n’est bien sûr pas question d’adopter la position inverse en passant sous silence les problèmes posés par le périurbain d’un point de vue social, politique ou urbanistique. En revanche, si l’on veut mieux comprendre les dynamiques sociales et territoriales du périurbain, il convient aujourd’hui de sortir à la fois de cette idéalisation de la ville dense couplée à une vision dépréciative du périurbain, en le considérant comme l’une des formes contemporaines de l’urbanisation.
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