Télédétection
L’histoire de la télédétection commence en 1858 quand Gaspard Félix Tournachon dit Nadar (1820-1910) prend la première photographie aérienne à partir d’un aérostat au dessus du «quartier» du Kremlin Bicêtre à Paris. Si l’usage de la télédétection a longtemps été cantonné surtout au domaine militaire, l’offre et la demande ont explosé notamment dans le domaine civil faisant ainsi écho à l’avènement de la société de l’image. Aujourd’hui, l’imagerie spatiale s’est largement diffusée et vulgarisée (navigation sur Internet possible sur une couverture d’images spatiales continue : http://earth.google.com/ ). Cette diffusion est concomitante au basculement vers le format numérique : la donnée est dorénavant un fichier grille (matrice) où chaque carré, appelé pixel (pour picture-element), représente l’espace élémentaire au sol sur lequel un enregistrement est effectué et sa taille varie selon la résolution spatiale. Le pixel porte un code de la «mesure» du signal électromagnétique enregistré et ainsi l’ensemble des pixels constitue l’image. Ce format ouvre le champ à de nombreux traitements numériques qui ont contribué à leur tour à la multiplication des applications de la télédétection.
Les images se sont diversifiées par la finesse du grain (résolution spatiale) et par l’élargissement de la partie du spectre électromagnétique utilisée. Les premières images étaient acquises dans le seul domaine du visible (VIS) soit dans des longueurs d’onde calquées sur la vision humaine. Bientôt on a pu disposer d’images dans des domaines spectraux de plus en plus éloignés du VIS : le proche infrarouge (PIR), le moyen infrarouge (MIR), l’infrarouge thermique (IRT) et seulement très récemment dans le civile, le radar. Le VIS et le PIR enregistrent le rayonnement solaire réfléchi par les surfaces terrestres donnant une image proche de la vision humaine. Au-delà, l’IRT met en image le rayonnement terrestre émis autorisant une lecture imagée des températures de surface. Au-delà encore, les images radar relève de ce qu’il est convenu d’appeler la télédétection active puisque le rayonnement est d’abord émis par l’instrument embarqué à bord du satellite avant l’enregistrement de la partie du signal retournée vers le capteur. Il ne s’agit plus comme pour les domaines précédents du seul enregistrement d’un rayonnement extérieur (Soleil, Terre) ce qui relève de la télédétection passive. Cette spécificité du radar associée à la transparence de l’atmosphère à ces longueurs d’onde présente l’avantage sur les précédents domaines spectraux de permettre l’acquisition de données de jour comme de nuit et par temps couvert/pluvieux. Les images radar donnent à voir la rugosité des surfaces terrestres et leur hygrométrie. La télédétection élargit donc le champ sensible de la réalité matérialisée et détectable de l’espace.
La télédétection dans le VIS et le PIR est la plus ancienne et la plus répandue. Elle repose sur un modèle interprétatif bijectif éprouvé par de nombreuses applications. Chaque surface terrestre (sol, pelouse…) selon sa composition physico-chimique et son état de surface (teneur en eau…), a, pour chaque longueur d’onde, une réflectance et une seule. La courbe de réflectance de chaque surface en fonction de la longueur d’onde est donc unique ce qui conduit à parler de signature spectrale. Le modèle consiste alors à retrouver le signifiant géographique à partir des réflectances codées (radiométries) de l’image. Cependant, s’il existe de grands types de signatures (couvertures végétales, surfaces en eau, substrats rocheux), les déclinaisons sont infinies et une bonne interprétation exige une bonne connaissance du terrain. Pour l’interprétation de quelque image, il est entendu que ce n’est pas chacun des pixels de l’image avec sa mesure physique qui fait sens géographique mais des ensembles contigus de pixels qui composent des formes et agencements spatiaux. L’information est ici tant géométrique que spectrale. L’imagerie spatiale renouvelle la vision du paysage par des vues synoptiques, fidèles et diachroniques grâce aux observations à intervalle temporel régulier. Parce qu’il n’y a pas de paysage sans société pour le façonner, l’image donne à lire celle-ci, ses choix, son organisation, ses évolutions et permet d’appréhender des faits et phénomènes sociétaux. L’usage de la télédétection est tout particulièrement apprécié – 1) pour de très grands espaces permettant une vue globale et une économie sur la collecte des données par d’autres méthodes – 2) pour des régions difficiles d’accès ou dangereuses pour l’observateur (hautes latitudes, Amazonie…), et 3) pour de petites zones (urbaines) qui requièrent elles de très hautes résolutions spatiales (THR). Les méthodes d’extraction de l’information géographique sont nombreuses. Tout d’abord, si l’image peut occuper une place centrale dans le corpus des données, elle n’est jamais seule et s’allie toujours à d’autres sources (terrain, cartes, textes, enquêtes, statistiques…). La reconnaissance des objets géographiques, suppose un savoir-faire, une maîtrise du raisonnement, de la problématique et du terrain. Or, ces derniers guident les choix de la chaîne de traitement de l’image, il y a donc une boucle d’«interaction» au cœur de la télédétection entre thématique, méthodes de traitements d’images et documents produits. La première méthode, largement utilisée par les militaires, est la photo-interprétation laquelle demeure très répandue, faisant appel aujourd’hui à la numérisation. Les méthodes de traitements informatiques de l’information spectrale, texturale et structurale ont pris une place importante depuis que l’image est devenue surtout numérique et que les logiciels de traitements d’images se sont diffusés. Ces méthodes ouvrent la voie de l’«analyse spatiale» des objets extraits et des phénomènes interprétés. Du reste, si l’image fait généralement l’objet d’un travail thématique bien cadré, elle permet, en tant que représentation fidèle et globale, une vision intégrée du «système spatial» via les configurations qu’il engendre. Le premier intérêt de la télédétection est de fournir des images de l’espace géographique. Elle fournit des documents pour la ‘simple’ illustration pour des régions et villes qui se vendent sur des affiches publicitaires, des images pour s’orienter aussi et établir des cartes topographiques, et des images pour mener des inventaires de la plupart des ressources. A un autre niveau d’utilisation, la télédétection est un puissant outil cartographique pour appréhender des questions extrêmement variées et toujours plus nombreuses relevant entre autres, de la géographie rurale (ex : société rurale appréhendée par ses composantes paysagères comme le parcellaire ou la pratique du brûlis), de la géo-archéologie, de l’«aménagement», de la géomorphologie, de la géographie urbaine depuis la possibilité de la très haute résolution visible (ex : relation entre architecture et composantes socioculturelles et socioéconomiques), de la démo-géographie (ex : évaluation de la population par les densités de bâti), etc. Par la répétitivité des acquisitions, elle autorise une analyse diachronique (ex : impacts d’une sécheresse, rythme et forme de l’urbanisation ou de la déforestation). D’une façon générale, elle permet de dater l’inscription d’un fait dans le paysage, d’en apprécier le contenu, la forme, le sens et le rythme d’évolution. A un autre niveau encore, la télédétection peut être utilisée afin de nourrir un débat conceptuel. Par exemple, les concepts d’étalement et de compacité de la ville peuvent être discutés sur un corpus comparatif d’images satellitales. Finalement, parce que l’image suscite l’interrogation, les applications de la télédétection illustrent la pluralité des courants géographiques et questionnent le positionnement de la discipline par rapport aux sciences de l’observation.