Zones humides
Les zones humides sont des zones de transition, des lisières entre le milieu terrestre et le milieu aquatique. Cette position d’interface engendre des variations constantes de ces zones dans l’espace et le temps, mais aussi une infinité de types selon les milieux terrestres et aquatiques concernés. Leurs caractéristiques majeures sont la présence d’eau, au moins une partie de l’année, la présence de sols hydromorphes et la présence d’une végétation hygrophile, adaptée à la submersion ou à des sols saturés d’eau. Il existe de multiples classifications des zones humides. Les zones humides font l’objet d’une attention croissante depuis la seconde moitié du XXe siècle, notamment pour leur grande biodiversité. Ne couvrant que 6,4 % de la surface des continents, elle hébergent environ 12 à 15 % de la faune mondiale. En France, sur 3 % du territoire, elles accueillent approximativement 30 % des espèces végétales remarquables et protégées et la moitié des espèces d’oiseaux.
Au-delà d’une description strictement physique, les zones humides ont fait l’objet de qualifications successives et évolutives. Les zones humides ont été définies pour la première fois à l’échelle mondiale dans la Convention internationale de Ramsar de 1971. Cette première définition, d’orientation naturaliste, était largement centrée sur l’avifaune fréquentant ces milieux. En France, il faudra attendre 1992 pour qu’une référence explicite soit faite aux zones humides dans le droit de l’«environnement», avec la loi sur l’eau qui les définit, et les protège en partie face à des travaux d’assèchement et de drainage. Un premier inventaire en 12 types a été réalisé dans le cadre des SDAGE ; la classification plus récente de l’IFEN et de l’Observatoire national des zones humides propose 11 types de zones humides en milieu doux et 6 en milieu salé ou saumâtre . Les anciennes zones humides transformées, tels les «polders», ne sont plus considérées comme telles.
Mais ce n’est qu’au début du XXIe siècle que le statut de ces zones sera clarifié : la Loi sur le Développement des Territoires Ruraux (LDTR) de 2005 reconnaît en effet la préservation et la gestion durable des zones humides comme d’intérêt général et leur confère divers fonctions : patrimoniales (biodiversité), paysagères, hydrologiques (prévention des «risques» d’inondation et préservation de la qualité de l’eau) et économiques (richesse de leurs «ressources» animales, végétales et minérales). De surcroît, la LDTR énonce des critères aidant à mieux faire appliquer la loi sur l’eau, en rapport avec la présence de sols hydromorphes, de plantes hygrophiles et de niveaux de submersion. Dans le même élan, la LEMA (loi sur l’eau et les milieux aquatiques) pousse, depuis 2006, à la préservation, la restauration et l’amélioration de la gestion des milieux aquatiques et humides. On est ainsi passé en trente-cinq ans d’une reconnaissance de la valeur écologique des zones humides – en tant qu’habitats des oiseaux d’eau – à une reconnaissance de leur valeur générale et, par conséquent, de la pluralité de leurs fonctions. Ce passage d’une définition naturo-centrée à une reconnaissance plus anthropocentrée devrait a priori conduire à une préservation plus opérationnelle.
Depuis les années 1960/70, les scientifiques suivent de près ces milieux dans l’ensemble du monde et dénoncent leur régression généralisée, sous l’effet notamment des transformations anthropiques : les zones humides auraient reculé de moitié au cours du XXe siècle. En France, les scientifiques ont lancé un cri d’alarme en 1990 – montrant que 9 zones humides sur 10 avaient été détruites ou dégradées depuis 1960 –, ce qui a poussé l’état français à agir tant dans le domaine scientifique (« plan national de recherche sur les zones humides ») que législatif (évolution de la législation, déjà mentionnée) et pratique (création de « pôles-relais » d’étude et de suivi). Les atteintes aux zones humides ont légèrement diminué ultérieurement, les pertes et dégradations de ce milieu étant passées à 56 % entre 1990 et 2000 et à 48 % entre 2000 et 2010, selon une enquête nationale à dire d’experts. Toutefois, on observait, en 2000, que la pression exercée sur les zones humides par les activités et les implantations humaines restait forte à très forte dans plus de la moitié des cas, notamment dans les zones humides méditerranéennes, très touchées par le tourisme, et dans les zones humides des vallées alluviales, en proie à l’urbanisation. De façon générale, les zones humides de milieux doux étaient en 2000 en moins bon état que les zones humides salées et saumâtres, du fait d’assèchements, de modifications dans la gestion des eaux et d’une altération de la qualité de l’eau. Dans la décennie 2000-2010, le littoral atlantique a été particulièrement fragilisé sous l’effet d’une intensification de l’agriculture et de l’urbanisation et de nombreuses tempêtes et inondations.
En réponse à ces pertes et dégradations pérennes de zones humides et au fil des avancées législatives, 70 % de la surface des zones humides ont été progressivement protégés en France. Les zones humides de vallées alluviales restent les moins bien protégées au contraire des zones humides littorales, notamment méditerranéennes. Les mesures de protection de niveau international (site Ramsar) ou européen (les ZPS et ZSC de Natura 2000) y couvrent des surperficies plus importantes que les mesures de niveau national (propriétés du Conservatoire du littoral, réserve naturelle, parc naturel régional, parc national etc.). Les protections contractuelles de zones humides couvrent par ailleurs des superficies plus importantes que les mesures réglementaires et foncières. In fine, des faiblesse demeurent dans la protection de ce milieu : la voie contractuelle de gestion des sites Natura 2000 ne leur est pas la plus favorable, de même que l’application peu contraignante de la Convention de Ramsar ou le poids des grands enjeux économiques (extensions portuaires par exemple), même en Zone de Protection Spéciale (Directive européenne Oiseaux de 1979). Le dernier « plan national d’action » en leur faveur considérait que les zones humides demeuraient, en 2010, parmi les milieux naturels les plus dégradés et les plus menacés de France.
De nos jours, leur protection s’opère de plus en plus dans le cadre de politiques générales concernant le développement durable, la biodiversité, les trames verte et bleue ou le changement global. C’est par exemple comme fournisseurs de services écosystémiques que celles-ci sont désormais étudiées : l’acquisition et l’entretien de 20 000 ha de nouvelles zones humides proposés par les experts du Grenelle de l’Environnement se justifierait ainsi par la valeur des fonctions et bénéfices rendus par ces milieux, valeur de 2 à 4,5 fois supérieure à leur coût d’achat. Au plan économique, une forte évolution des regards s’est en effet opérée : par exemple, les zones humides «littorales» sont moins transformées que dans les siècles précédents, en même temps que se développent des actions de valorisation à travers le renouveau de la saliculture ou des élevages rustiques, l’essor du tourisme de nature ou du tourisme patrimonial. Ce changement de regard tient entre autres à la multiplication des évaluations économiques de ces milieux : à l’échelle mondiale, les valeurs les plus élevées ont été conférées aux fonctions récréatives et défensives des zones humides et, globalement, aux zones humides littorales (vasières, mangroves, schorres).
Ainsi, après des siècles de représentations négatives, les regards portés sur les zones humides ont radicalement évolué depuis les années 1970, sous un angle initialement écologique mais de plus en plus global et sociétal : autrefois simple «milieu», les zones humides sont devenues des «territoires».