Communauté transnationale
La notion de communauté transnationale renvoie à « des communautés composées d’individus ou de groupes établis au sein de différentes sociétés nationales, qui agissent à partir des intérêts et des références communs (territoriales, religieuses, linguistiques), et qui s’appuient sur des réseaux transnationaux pour renforcer leur solidarité par-delà les frontières nationales » (R. Kastoriano, 2000, 353). Elle apparaît postérieurement à la formation de l’État-nation. Ce phénomène est présenté comme post-colonial et post-national, parce qu’il résulte de l’émigration à partir d’État-nations territorialisés, qu’ils soient centralisés comme la Turquie ou fédéraux comme le Mexique. Il remet en cause les rapports entre territoire et État-nation, le concept même de citoyenneté et le principe de l’allégeance unique exigée des membres d’une même communauté politique. On se trouve en présence d’un « nouvel espace de socialisation » basé sur des réseaux transnationaux qui relient pays d’origine et «pays» de résidence, favorisant la participation des immigrés à la vie des deux espaces nationaux. La communauté transnationale se structure par une action politique dans les deux pays. Elle fait circuler les idées, les comportements, les identités et autres éléments du capital social. Elle construit une identité qui lui est propre. « Le transnationalisme fait du pays d’origine un pôle d’identité, du pays de résidence une source de droits et du nouvel espace transnational un espace d’action politique associant ces deux pays et parfois d’autres encore » (R. Kastoriano, 2000, 358). La dimension associative, organisationnelle en réseaux est fondamentale.
On est en présence de «processus» grâce auxquels les immigrants construisent et maintiennent des rapports sociaux multiples entre leur société d’origine et celles de leur installation. Les transmigrants maintiennent ces relations multiples par-dessus les frontières, et leur situation ne peut être pleinement définie, ni dans le pays d’installation, ni dans celui d’origine, mais dans le champ social formé entre les deux. Dans cette optique, les citoyens d’un État-nation vivent dispersés à l’intérieur des frontières de divers autres États, mais lui appartiennent toujours socialement, politiquement, culturellement, et souvent économiquement. Ces rapports se situent dans un espace associant des États centraux, capitalistiquement hégémoniques, et des États périphériques dominés. Les réseaux en toile d’araignée relient ces transmigrants dans le champ d’une construction de domination hégémonique entre ces divers États. L’identité des différents groupes sociaux doit être reconsidérée, dans la mesure où ils ne sont plus territorialisés ni inclus dans des espaces clairement délimités par des frontières, espaces qui ne sont pas culturellement homogènes. Les concepts de nation et de groupe ethnique dans ce cas ne se réfèrent plus à des entités stables, clairement délimitées. Les identités se définissent de plus en plus par rapport à des pouvoirs dominants et en opposition à eux, avec des frontières non strictement définies. Elles se configurent en fonction de catégories hégémoniques, telles que la race ou l’ethnicité, et sont profondément impliquées dans les processus de constitution de ces États-nations. Il faut donc se situer dans une perspective de dépassement des catégories nationales et ethniques dominantes, puisque ces populations transmigrantes ont commencé à bâtir des État-nations déterritorialisés, ce qui suppose une construction sociale différente de celle d’une diaspora.
Aux espaces de diasporas, centrés ou non, on peut comparer les espaces des communautés transnationales. Ils se sont constitué, dans la seconde moitié du XXe siècle, à partir d’un champ migratoire construit en rapport avec un État-nation récent, tel que la Turquie, la Colombie, Grenade, le Mexique, les Philippines, l’Algérie… Leur principale caractéristique est d’être très lié à cet État qui cherche à utiliser son champ migratoire pour devenir un État transnational, c’est-à-dire à avoir la plus forte «interaction» possible avec ses migrants qu’il s’efforce de conserver comme citoyens, même s’ils sont dotés d’un statut particulier. Ces espaces transnationaux n’ont pas la profondeur historique des espaces de diaspora. Ces derniers ne doivent pas leur existence ou leur organisation à tel ou tel État-nation, mais souvent préexistent à ces formes étatiques, parfois les ont créées. Il y a bien des tentatives faites par tel ou tel État-nation pour maîtriser ce qu’il considère comme sa diaspora, mais le propre d’une diaspora, plus ou moins ancienne, est de vouloir conserver son organisation propre, son autonomie, même si elle a des rapports privilégiés avec un État-nation.
Telle est la différence essentielle entre une diaspora et une communauté transnationale. La première a une existence propre, en dehors de tout État, s’enracine dans une culture forte (religion, langue…) et des temps longs ; elle a créé et développé ses réseaux communautaires et associatifs. La seconde est née de migrations de travailleurs qui conservent leurs bases familiales dans l’État-nation d’origine et circulent entre cette base et un ou plusieurs pays d’installation. Ils conservent un ancrage fort sur leur «lieu» même d’origine et aussi un lien de citoyenneté ou institutionnel avec leur pays d’origine. Dans une diaspora, cet ancrage et ce lien fort ont très souvent disparu à la suite d’une «catastrophe» ou bien ont été entièrement recréés longtemps après. Le transmigrant est beaucoup trop dépendant de son État-nation d’origine et de celui de son pays d’accueil pour s’autonomiser et devenir créateur comme le « diasporé ». Le groupe social auquel il appartient se limite le plus souvent à sa communauté d’origine et au réseau transnational de ses migrants, tandis que « l’être en diaspora » a le sentiment d’appartenir à une nation en exil, dispersée à l’«échelle» mondiale, d’être le porteur d’un idéal.
-Basch L., Schiller N. G., Blanc C. S., 1994, Nations Unbound, transnational projects, postcolonial predicaments, and deterritorialized nation-states, Gordon and Breach, Amsterdam, 344 p.
-Bruneau M., 2004, Diasporas et espaces transnationaux, Economica, Paris, 249 p.
-Kastoryano R., 2000, « Immigration, communautés transnationales et citoyenneté », Revue Internationale des Sciences Sociales, 165, pp. 353-359.