Enclavement
En géographie, le terme enclavement sert à rendre compte d’un constat ou d’un processus de fermeture ou d’isolement relatif d’un espace. Cette situation est considérée comme dépréciative par rapport au référentiel majeur des sociétés contemporaines : l’ouverture vers le reste du monde ou vers l’ensemble de la société. En tant que situation, l’enclavement peut relever d’un isolement attribuable à la présence d’obstacles ou de contraintes qui favorisent l’émergence de démarcations, de limites permettant de ceinturer le territoire, en le coupant de l’espace environnant, ou bien d’un manque d’accessibilité dû à la faiblesse des réseaux de communication. Abordé comme un processus, l’enclavement implique une mise en relation tendanciellement entravée avec d’autres lieux constituant un frein par rapport à des circulations potentielles. Son contraire, le désenclavement résulte d’une volonté (publique ou privée) de mobiliser des moyens pour maintenir ou rétablir une continuité territoriale.
Ces deux aspects de l’enclavement, associés à l’idée de « fermeture », découlent directement de l’étymologie du latin : clavis « la clé » et « enclaver » inclavere « fermer à clé », apparentés à claustrum « barrière, l’enceinte ». Le sens originel se rapporte, à « tout ce qui sert à fermer, fermeture d’une habitation (verrou, crochet, clef), ou encore d’un territoire (passe, détroit) » (Steck, 2000). En termes spatiaux, le territoire enclavé est en situation de fermeture ou offre peu d’ouvertures, vers ce qui lui est extérieur. L’idée de fermeture renvoie à une situation d’enfermement ou de blocage, et ouvre, si l’on peut dire, vers des réflexions autour de la dialectique du dehors et du dedans.
Dans un contexte planétaire d’ouverture maritime, un pays sera dit enclavé lorsqu’il n’a pas d’accès direct à une mer ouverte. Selon cette acception, il existerait une quarantaine de pays dans le monde qui peuvent être qualifiés d’enclavés. Historiquement, de nombreux conflits ont eu lieu lorsque le pays enclavé a cherché par la force ou par la négociation à s’ouvrir un accès à la mer, à obtenir une sorte de servitude de passage vers le reste du monde. A une échelle infra-nationale, certains territoires ne sont reliés au reste de leur pays que par les eaux internationales. Citons l’Alaska par rapport au reste des Etats Unis, les villes espagnoles de Ceuta et Melilla sur la côte marocaine, le territoire britannique de Gibraltar, ou le territoire russe de Kaliningrad, entre la Pologne et la Lituanie,
Pour décrire ces situations à partir d’éléments objectifs tels que le milieu physique ou les découpages administratifs et politiques, ont été forgées les catégories d’enclave et d’exclave. Dans les deux cas il s’agit de territoires isolés, marqués par une discontinuité spatiale. La différence dans l’usage de ces deux termes provient le plus souvent du point de vue énoncé. L’enclave est une portion de territoire appartenant à une autre entité administrative, situé à l’intérieur d’un pays récepteur et isolé complétement du pays de rattachement, tandis que pour ce pays, elle est considérée comme une exclave du territoire principal. Ainsi, depuis le traité des Pyrénées, la commune de Llivia, située en territoire français, est une exclave de l’Espagne, enclavée dans les Pyrénées-Orientales. Pour autant, une enclave n’est pas forcément une exclave, et réciproquement. Dans l’Europe actuelle, par exemple, les micro-états comme la Principauté de Monaco ou la République de Saint-Marin sont des enclaves en France et en Italie, mais ne dépendent d’aucun autre pays.
Qu’ils soient considérés comme des processus ou comme la manifestation de stratégies d’acteurs publics et privés, (Debrie, Steck, 2001). l’enclavement et le désenclavement mobilisent des mécanismes réversibles. Si la disparition de l’URSS a placé les républiques d’Asie centrale en situation d’enclavement géopolitique, la réorientation des réseaux et des échanges a permis à ces pays grâce à des spécialisations et des réseaux d’infrastructures de se désenclaver et d’assurer leur intégration dans l’espace mondial. Tout dépend de la position relative du lieu et du système de relations prévalant.
Dans le binôme enclavement/désenclavement, le rôle des réseaux de transport, de la desserte et de l’accessibilité des lieux demeure essentiel. Une position le long d’un axe de transport ne garantit pas de l’apparition de phénomènes d’enclavement. J.Varlet parle ainsi « d’enclavement fonctionnel relatif » lorsque l’opérateur ferroviaire en multipliant le long d’un même axe les liaisons sans arrêt intermédiaire (rames TGV directes Paris-Lyon, Paris- Valence, Paris- Marseille…), provoque la dégradation des dessertes des villes intermédiaires et la concentration sur les métropoles (Archaeomedes, 1998) . A l’inverse bien des actions de l’aménagement des territoires ou de la politique de la Ville, au nom de l’équité ou de la cohésion territoriale, ont pour objectif le désenclavement, que cela passe par des travaux d’infrastructures ou par des politiques tarifaires. Au niveau européen le SDEC (1999) (ESDP en anglais), document certes non contraignant, proposait de réaliser pour tous les territoires de l’Union un accès équivalent aux infrastructures et aux services.
Appliqué à l’espace urbain, l’enclavement renvoie également à l’idée de coupure, de discontinuité entre deux espaces distincts, en y ajoutant la dimension sociale (composition des quartiers…). L’enclavement y est ici souligné par un vocabulaire spécifique : cités, ghettos, quartiers sensibles, quartiers d’exil (Dubet, Lapeyronnie,1992) qui suggère une différence entre une « normalité urbaine » et des lieux en marge. Pour un certain nombre de spécialistes des études urbaines, dans un « quartier sensible » les dimensions physiques et ségrégatives interagissent. Un quartier est enclavé « non seulement parce qu’il est isolé physiquement, mais aussi parce que les modes de vie et de travail qu’on y rencontre se distinguent de la moyenne, parce que les représentations de la territorialité et de l’appartenance urbaine s’y singularisent » (Vieillard-Baron, 2008).
Dans sa dimension spatiale et ségrégative, la situation de certains quartiers urbains relève bien d’une situation d’enclavement selon l’acception générale, dans la mesure où elle s’apparente à ce qui relève d’un déficit d’accessibilité et de connexion avec les autres parties de la ville (réseaux, mobilités). Ainsi, « le concept d’enclavement, parce qu’il étend le champ d’étude à l’observation de toutes les mobilités à travers la dialectique ouverture/fermeture des territoires, permet ainsi d’analyser plus justement les formes de fragmentations de la ville » Boquet 2008). Pour autant, si les gated communities (Le Goix) présentent toutes les caractéristiques d’un espace enclavé, notamment à travers l’idée d’une mise à l’écart du reste de la ville, avec comme finalité un entre-soi social, le choix des résidents de s’installer dans de tels lotissements est guidé par la volonté de créer une distance par rapport aux autres citadins, l’enclavement ici n’est pas subi mais choisi. (Pumain et al, 2006)
De quelque approche qu’ils relèvent, l’enclavement et le désenclavement doivent être appréhendés dans les deux dimensions réelle et symbolique, notamment dans la relation entre les éléments de langage, les représentations et les comportements qui en découlent. Enclavement et désenclavement sont des processus porteurs de rétroactions entre les lieux et les acteurs sur lesquelles se focalisent les politiques publiques depuis des lustres.
Bernard Elissalde