Inondation

L’inondation est un recouvrement par l’eau d’une surface habituellement exondée (Vinet 2018). La simplicité apparente de la définition laisse apparaître trois niveaux de compréhension de l’inondation : l’aléa naturel, l’exposition du territoire et la vulnérabilité du territoire inondé.

La caractérisation de l’aléa hydraulique est un champ de l’expertise géographique et géophysique. L’étude de l’inondation révèle les dynamiques d’interaction entre milieu physique, dynamique sociale et espace approprié (Dauphiné et Provitolo 2013; Faugères 1990; Veyret et Reghezza-Zitt 2005). L’aléa est le phénomène naturel qui provoque l’inondation. La crue est un régime hydraulique naturel, qui correspond à la montée du niveau d’un cours d’eau. Elle renvoie principalement à l’inondation fluviale et correspond à un débordement de cours d’eau soit avec une montée lente pour les grands cours d’eau comme les fleuves, soit avec une montée rapide pour les cours d’eau,  dans des milieux pentus, sinueux ou escarpés (torrents), mais aussi dans le cas de cours d’eau fortement artificialisés : comblement, recouvrement, détournement, canalisation… Les inondations par débordement sont historiquement les plus connues. Actuellement, ce sont leurs niveaux d’eau qui servent de référence dans les documents de prévention des risques par la maîtrise des sols, dans les Plans de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI). La crue peut provenir par inondation pluviale. L’inondation pluviale constituée de fortes précipitations et d’orages accentuent les premières catégories d’inondation. Elle est causée par les masses d’eau tombant sur une longue durée et/ou avec une forte intensité sur des milieux qui ne peuvent plus les absorber, soit parce que les sols sont engorgés et saturés, soit parce qu’ils sont imperméabilisés (Rioust 2012). Les eaux de pluie non-absorbées ruissellent et s’accumulent. Les inondations par ruissellement en milieu rural arrivent si la nature ou le travail des sols occasionne des coulées de boue (CEPRI 2014). On parle d’inondation par ruissellement urbain quand les capacités d’évacuation du réseau urbain sont dépassées face à une saturation ou une obstruction par exemple. Il existe aussi l’inondation par submersion marine est le recouvrement par des ondes de tempête des zones côtières. Les submersions marines sont dues à plusieurs facteurs qui peuvent se conjuguer : les vents d’une importante dépression, un fort coefficient de marée, une surcote atmosphérique et marégraphique poussent la mer vers la terre. Cette conjonction n’est pas exceptionnelle : elle a formé la tempête Xynthia en février 2010 (Vinet et al. 2012).

 

Certaines inondations sont saisonnières, liées aux précipitations, aux tempêtes ou aux fontes des neiges, comme dans l’océan indien avec la mousson où les inondations apportent l’eau qui arrose les terres après une saison sèche et chaude (Gunnarsson et Richer 2015). Du point de vue de l’écologie, la biologie et des sciences de la terre, les crues sont aussi des opportunités de redistribution des habitats des espèces aquatiques ou terrestres (Besnard 2017). Mais pour les milieux aménagés par l’homme, en premier lieu les villes, l’inondation est un risque dit « majeur » surtout si le phénomène n’est pas chronique.  Au contraire, la faible probabilité d’occurrence renforce le danger potentiel d’un débordement, rapide ou lent, d’une zone normalement hors d’eau sur laquelle se sont développées des activités (agriculture, industrie, équipement, habitat…) qui provoque des dommages et / ou des pertes pour ces activités (GéoRisques 2019), a fortiori dans les milieux urbanisés. L’apport de la géographie humaine et de l’aménagement permet d’intégrer à la définition physique de l’inondation la notion de territoire. L’inondation ne survient pas sur un support neutre. Elle est le résultat d’une interaction tant physique, géographique que sociale et politique (November 1994, 2002). La question de l’exposition du territoire à une inondation questionne les dangers d’occurrence d’un aléa hydraulique mais aussi la construction historique du territoire, les capacités de résistance structurelle ou d’adaptation (Gralepois 2008). Au fil du temps, les analyses sociologiques des interactions entre risque et territoire souligne l’accroissement de la vulnérabilité des territoires aménagés par l’homme (Beck 2001).

En France, le risque d’inondation est le premier risque naturel par l’importance des dommages, l’étendue des zones inondables (27 000 km²) et la quantité de populations résidant dans ces zones : 17,1 millions de résidents permanents (Ministère de l’Écologie 2019). Au titre du dédommagement par les assurances, l’inondation représente 1 463 000 sinistres indemnisés pour un total de 16,6 milliards d’euros entre 1988 à 2013, c’est-à-dire pour une période de seulement 25 ans. L’Association Française des Assurances prédit un montant de 34 milliards d’euros pour la période  2014-2039 (Association Française d’Assurance 2015). Les effets du dérèglement climatique vont accentuer les dégâts provoqués par les inondations en France comme en Europe par les effets cumulés de l’augmentation de l’humidité́ atmosphérique, la hausse niveau de la mer et l’augmentation de la fréquence des évènements météorologiques extrêmes (CEPRI 2015; Kundzewicz, Hirabayashi, et Kanae 2010).

La ville, par exemple en France, est territoire spécialement vulnérable, notamment la ville métropolitaine (Chaline et Dubois-Maury 2002; Gralepois 2008; Reghezza-Zitt 2006; Scarwell et Laganier 2017). Le fonctionnement urbain engendre des inondations par sa structure et son fonctionnement : l’inondation par imperméabilisation des sols, par mauvais entretien ou saturation des réseaux, par accumulation dans des points bas (les ponts par exemple) ou encore la dispersion des inondations par effet de contiguïté urbaine (Dauphiné et Provitolo 2013). Pour dépasser les conséquences des inondations, différents champs de recherche sont investis, comme la diversification des stratégies de gestion du risque, la compréhension des perceptions individuelles et la notion de résilience qui tente de faire une synthèse.

L’insuffisance des politiques sectorielles de prévention et de gestion des risques d’inondation en Europe (Hegger et al. 2014; Wiering et al. 2017) comme en France (Gralepois 2012; Tricot 2008) amène les auteurs à promouvoir la diversification et l’alignement de plusieurs stratégies (Dieperink et al. 2016; Hegger et al. 2016). Plutôt que de promouvoir une stratégie comme la défense, la prévention, la gestion de crise ou l’assurance, l’enjeu est de composer une politique multi-stratégique (Dieperink et al. 2018) et multi-niveau entre plusieurs gestionnaires des risques d’inondation (Fournier, Larrue, et Schellenberger 2018; Hegger et al. 2014; Wiering et al. 2017). En complément, les études académiques et institutionnelles s’intéressent à la perception des risques pour comprendre et anticiper les interactions sociales et les réactions individuelles (Baan et Klijn 2004; Burningham, Fielding, et Thrush 2008; Grothmann et Reusswig 2006; Slovic et Weber 2002). La perception s’élabore sur la base de déterminants sociaux, physiques, politiques, culturels mais aussi psychologiques. Les perceptions étant liées en grande partie à l’expérience sensible, les représentations des individus s’élaborent à partir d’elles, mais aussi de l’expérience ou de la culture des groupes sociaux. In fine, l’action peut être définie comme le fruit d’un arbitrage constant entre perception individuelle, représentation mais aussi intérêt politique. Ce champ encore en construction et suscite un intérêt grandissant pour les gestionnaires notamment. La thématique des perceptions ressort notamment comme une extension du champ prolifique de le recherche sur la résilience.  Il ne s’agit pas ici de rendre compte de l’étendue des travaux sur la résilience, même restreinte à la résilience urbaine. L’idée à retenir est que les chercheurs et les gestionnaires cherchent à « renforcer la capacité de la société à retrouver un fonctionnement normal suite à une catastrophe naturelle (…) fondé sur l’idée que les inondations représentent une perturbation du fonctionnement normal de l’organisation de la société » (Scarwell 2007). Il s’agit de comprendre et d’améliorer l’aptitude d’une ville à être réactive et à se maintenir lors d’une crise.  Alors que la vulnérabilité s’attache à comprendre les conditions d’endommagement, la résilience permet de penser les conditions de récupération et de rétablissement. La résilience serait une des composantes de la vulnérabilité, celle qui permet d’anticiper et d’effectuer la reconstruction dans les meilleurs délais (Gleyze et Reghezza 2007; Reghezza-Zitt et al. 2012). La notion fonctionne comme un concept pour penser l’articulation entre développement urbain et prévention des risques (Ledoux 2018). Mais elle pose un problème lorsque qu’elle permet d’accompagner un changement radical et silencieux de discours et de pratique pour légitimer le développement de la ville en zone à risques (Guevara Viquez, Rode, et Gralepois 2017).

Mathilde Gralepois

 

Bibliographie
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