Longitude

Pour connaître la position d’un lieu sur la terre, il faut connaître sa position en latitude et en longitude : ses coordonnées. On se souvient du célèbre roman de Jules Verne, Les enfants du capitaine Grant. Les enfants de ce capitaine sont en possession d’un document rongé par l’eau de mer qui indiquait les coordonnées du lieu où le capitaine Grant a fait naufrage. Mais, si l’indication de la latitude est lisible, celle de la longitude est illisible. Pour retrouver leur père, il leur va falloir se rendre sur le degré de latitude connu, 37° 11′ sud, et entamer un tour du monde…

La hauteur du soleil au dessus de l’horizon à midi permet de calculer à quelle distance en degrés de latitude on se trouve de l’équateur. C’est pourquoi, très tôt dans l’Histoire, les hommes ont été capables de savoir, avec une précision grandissante, où ils se trouvaient, en latitude.
Le problème de la longitude est autrement délicat. Il est lié à la capacité de mesurer le temps sans trop d’approximation. La mesure de la latitude était un problème d’astronomie et de calcul. Le problème de la longitude ne pouvait être résolu que par la technique, une technique délicate.
Le soleil a été la première horloge. Au point le plus haut de sa course quotidienne apparente, il est midi (étymologiquement : le milieu du jour), et dans toutes les régions de montagne il existe des pics ou des aiguilles du Midi : le sommet au dessus duquel, pour les habitants d’une vallée, le soleil passe au milieu de la journée.
La rotation de la Terre autour de son axe, passant par les deux pôles, fait que, sur un grand cercle dont le centre est situé au centre de la terre et qui passe par les deux pôles, il est midi au même moment sur tous les points d’une moitié de ce grand cercle, d’un pôle à l’autre, et minuit sur l’autre moitié, symétrique. Il n’est pas la même heure solaire sur deux grands cercles de ce type, aussi rapprochés soient-ils : à Paris, il n’est pas la même heure solaire au Bois de Boulogne et au Bois de Vincennes… Si on est capable de mesurer avec précision la différence de temps entre le moment où le soleil atteint son plus haut point en un lieu et le moment où il l’atteint en un autre lieu, on est capable de mesurer la distance angulaire entre ces deux lieux.
Autrement dit, il faut disposer d’une horloge ou d’un chronomètre d’une précision suffisante. On le règle à midi lorsqu’en un premier lieu le soleil arrive au plus haut de sa course apparente. En un second lieu, à midi heure solaire, on lit sur le chronomètre la différence d’heure avec le « midi » du premier lieu.
La différence entre les « deux midis » permet, par un calcul simple, de connaître la distance angulaire entre les deux points.

Le tout est de disposer de l’horloge en question, ce qui nécessite des techniques de micro-mécanique qui ne seront dominées qu’au XVIIIe siècle. Jusque là la mesure du temps était fournie par divers procédés tels que les sabliers, les clepsydres ou d’énormes horloges à balancier, intransportables et d’une remarquable imprécision. Les navigateurs mesuraient la distance parcourue à l’estime, c’est à dire en se fiant à la vitesse de leur navire, elle-même calculée de manière très imprécise ; les calculs étaient faussés par des quantités de facteurs, tels que la vitesse des courants marins et, de fait les marins ne savaient jamais où ils se trouvaient en longitude. On le voit très bien en regardant des cartes anciennes. Les positions des lieux en latitude sont très tôt relativement exactes, tandis que d’énormes erreurs entachent les positions en longitude. C’est ce qui explique pourquoi de nombreuses îles d’Océanie ont été découvertes… deux, voire trois fois ! Un navigateur portait une île sur la carte, et quelques années plus tard un autre navigateur « découvrait » une île qu’il ne situait pas du tout sur la carte au même endroit. D’où de nombreux conflits entre navigateurs français et anglais qui considéraient en toute bonne foi avoir été les premiers à prendre possession d’une terre au nom de leur roi !
Avant le XVIIIe siècle, divers procédés ont été suggérés, certains parfaitement farfelus comme le projet de mouiller des pontons tous les 600 miles dans l’Atlantique, du pont desquels on tirerait des feux d’artifice visibles à 100 miles…, d’autres plus scientifiques, à partir de mesures sur les étoiles ou la lune, mais qui exigeaient des calculs et des observations d’une extrême difficulté.
Le problème était la réalisation d’une pendule, non seulement précise dans des conditions ordinaires, mais qui, embarquée sur un vaisseau, ne serait pas déréglée par les mouvements incessants et parfois brutaux de la houle et des tempêtes, ni par la dilatation ou la contraction de certaines pièces métalliques, car il fallait connaître la longitude aussi bien dans les régions septentrionales que dans les parages de l’équateur. Ce n’est pas un grand scientifique, mais un humble horloger, John Harrison, qui construisit la première pendule apte à permettre de calculer la longitude avec une approximation suffisante. La première expérience eut lieu sur une traversée de Londres à Lisbonne en 1735 et donna de bons résultats, mais Harrison fut en butte à l’ironie et au rejet des savants de l’Amirauté britannique et du Conseil de Longitude mis en place par le gouvernement anglais. Ces messieurs n’admettaient pas qu’un simple artisan trouvât dans un assemblage d’engrenages et de balanciers la solution qu’ils cherchaient dans la course des astres… Ils refusèrent longtemps au pauvre Harrison le prix qui était promis à la personne qui trouverait le moyen de calculer la longitude. Harrison, puis son fils, passèrent encore des années à perfectionner leurs pendules, et à en réduire la taille et le poids (le premier prototype pesait 75 livres…)
Aujourd’hui on sait mesurer le temps à un milliardième de seconde près, et de toute façon il suffit d’écouter par radio les bulletins de navigation ou de consulter un G.P.S. pour connaître ou calculer la position d’un lieu en latitude et en longitude.

Il subsistait un problème à résoudre, non pas scientifique, mais purement politique : celui du méridien-origine.

Bibliographie

– Sobel D., 1996, Longitude, éditions J.C. Lattès, et 1998 éditions du Seuil, Points-Sciences, 194 p.