Lotissement

De manière générale, un lotissement est d’abord une opération foncière, et une opération d’urbanisme. La définition opérationnelle consiste à morceler ou subdiviser un terrain en plusieurs parcelles, en général en vue d’y construire des habitations. De manière générale, il s’agit donc concrètement d’une opération foncière concernant la division de terrain(s) identifiés dans les cadastres comme une unité (des unités) contiguë(s). La destination peut être variable : il peut s’agir de parcelles(s) viabilisées ou non, dans le but de vendre, de louer, de réaliser un placement. L’opération doit être conduite dans un délai prescrit, par exemple de 10 années en France.

Toutefois, l’usage du terme lotissement est devenu générique : il est utilisé pour décrire une forme d’habitat individuel, pavillonnaire, qui se distingue par une certaine homogénéité du bâti, et par les formes géométriques du parcellaire redécoupé. C’est que la ville s’est construite dans l’histoire par phases successives de lotissements, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en France… et en fait dans presque tous les contextes d’étalement urbain dans les pays développés. De nombreux espaces aujourd’hui centraux et denses résultent d’opérations de lotissements : le bâti de la seconde moitié du XIXe siècle à Paris, Bordeaux en grande partie, mais aussi Le Vésinet ou Aulnay-sous-Bois ; aux Etats-Unis, Harlem par exemple résulte d’une vaste opération de lotissement datant de 1905. Le terme lotissement n’était pas employé, puisqu’on parlait plutôt d’allotement, dans le Paris haussmannien des cours, passsages et villas, mais le principe foncier procède du même système. Plutôt destinés à la bourgeoise urbaine quittant les centres-villes pour des parcs résidentiels et «banlieues» romantiques du 19e siècle (notamment au Royaume-Uni et aux Etats-Unis), puis aux classes populaires au début du 20e siècle, associant la maison et le lopin de terre, les grands lotissements périphériques destinés aux classes moyennes se sont diffusés et généralisés après 1945 (les Levittowns, cf Jackson, 1985), en reposant sur un triptyque : le crédit de masse, l’accès à l’automobile, et les aides publiques (soutien à l’accession à la propriété, garantie des crédits, financements des programmes autoroutiers…). Cette manière de produire du logement de masse connaît une diffusion planétaire, sous des formes proches, par exemple les lotissements de logements de marché, ou commodity housing, en Chine, à l’exception toutefois de certaines formes d’habitat spontané et précaire dans les mégapoles des P.E.D..
L’opération de lotissement se traduit bien souvent par une structure particulière du réseau viaire. L’organisation de la rue se veut d’abord économiquement rationnelle (il faut maximiser la surface commercialisable, et minimiser le coût des infrastructures). Mais le dessin des rues et des lots peut avoir adopté différents systèmes, dépendants parfois de la structure foncière héritée : le système du damier, du rang en Amérique du Nord, ou des allées forestières dans la seconde moitié du 19e siècle en Ile-de-France. On observe une inflexion à partir des années 1830, et 1850 en Amérique du Nord, avec la diffusion de lotissements paysagés, construits de grandes villas ou maisons de plaisance, inspiré des cottages britanniques et adoptant les référentiels de la banlieue romantique, proche d’espaces naturels, valorisant la proximité forestière ou d’espaces de loisirs (rues en boucles ou en impasses autour d’un golf, par exemple) comme dans « les nouveaux villages » des années 1960. Un système de référentiels sécuritaires, ou de protection de l’environnement bâti bien les référentiels de l’espace défendable et du contrôle social sur la rue (impasses et culs de sac). Comme forme d’habitat collectif horizontal, le lotissement nécessite la mise en place d’équipements collectifs, d’infrastructures, d’aménités. Leur absence se traduit alors par des formes de relégation spatiale et sociale (les mal-lotis dans les années 1920).

Le lotissement est donc, avant toute chose, une catégorie du droit de l’urbanisme. Des procédures comparables existent dans d’autres régimes juridiques : on parle par exemple en anglais de subdivision (aux Etats-Unis), mais on fait aussi référence au type de bâti : estate, ou à l’opération de promotion immobilière : housing development. De manière générale, la procédure a évolué avec l’expansion périphérique des «banlieues» résidentielles depuis la fin du 19e siècle, et les législateurs, dans différents contextes, ont progressivement mis en place droits et normes permettant notamment d’éviter la multiplication des lotissements défaillants. De manière générale, les lotisseurs doivent répondre à certaines obligations en matière d’équipements (éclairage public, parking…) et infrastructures (réseaux, viabilisation). Le lotissement entre, en France, comme objet d’intérêt pour les politiques publiques à l’issue de la vague de lotissements défectueux des banlieues de Paris, et les revendications des mal-lotis aux logements précaires et peu ou pas viabilisés du début du XXe siècle (Fourcaut, 2000). Ces opérations ont été encadrées par un corpus législatif qui fait obligation au lotisseur de fournir des équipements collectifs avant de commercialiser le lot (1924) ; qui permet aux communes de financer l’acquisition des lots invendus ou mal équipés (1973, 1976) ; et qui consacre le caractère opérationnel du lotissement et son intégration dans l’aménagement de l’ensemble du territoire communal (décret du 26 juillet 1977, modifié en 1986). Aux Etats-Unis, le système adopté à un caractère normatif global (on parle d’ailleurs souvent de « lotissements à l’américaine ») et s’inspire des pratiques européennes dont il dérive. Chaque Etat y a adopté au cours du XXe siècle des corpus législatifs permettant de réguler et de contrôler sur conception et la modification des subdivisions (lotissements). Ces textes précisent les documents d’aménagement nécessaires (Parcel Maps, Tentative, Final Maps par ex.)… Le système est au demeurant très similaire des deux côtés de l’Atlantique… Les textes permettent en général d’envisager pour les acteurs dont la maîtrise foncière est adéquate de produire de très grandes opérations de planification. Les différents modes de régulations (ordonnances aux Etats-Unis, décrets en France…) prévoient en effet que les lotisseurs et promoteurs déposent des documents d’urbanisme contraignant précisant d’une part les phases de développement du projet et les travaux d’infrastructures nécessaires à celui-ci ; contraignant d’autre part le lotisseurs à participer à la fourniture des équipements publics nécessaires (soit par financement direct, developer fees aux Etats-Unis, soit en cédant des terrains à la collectivité ; soit en finançant directement la construction d’une école ou d’un crèche : la procédure de ZAC en France a été particulièrement utilisée à cette fin) ; précisant enfin en général le mode de gestion des parties communes. Plusieurs statuts sont alors possibles : soit une association (copropriété, association syndicale libre, condominium, selon les contextes) reste propriétaire de l’ensemble des parties communes, y compris les rues ; soit celles-ci relèvent de servitudes de passage. Dans le cas d’une copropriété, ou d’une association syndicale, le propriétaire résidentiel est membre de droit de l’association, et l’acte de propriété du lot précise les modalités d’adhésion à l’association (McKenzie, 1994). Comme espace de gestion collective d’équipements et d’infrastructures, le lotissement se traduit donc presque systématiquement par diverses modalités de gestion relevant de la gouvernance urbaine privée : copropriétés, associations de propriétaires, et gated communities, systèmes collectif de gestion de l’intérêt commun des propriétaires (Charmes, 2005; Le Goix, Webster, 2008). Dans quelques cas, il est prévu des possibilités de rétrocession au domaine public : celle-ci peut être réclamée par une municipalité après10 ans en France, sous certaines conditions de viabilité.

Le lotissement est donc une opération rigoureusement contrôlée, une construction juridique qui en fait un espace spécifique dans le paysage urbain et périurbain. L’opération de lotissement suppose d’avoir la maîtrise foncière : celle-ci peut être menée par les pouvoirs publics locaux, comme une municipalité (réserves foncières, préemption, expropriations), ou peut être le fait d’un opérateur privé (propriétaire foncier, lotisseur, société foncière, promoteur immobilier).

L’usage du terme est toutefois souvent flouté par les catégories auxquelles le terme de lotissement renvoie, car il est souvent utilisé pour décrire diverses formes de bâti résidentiel qui s’y rapportent. Par exemple, les statistiques des permis de construire en France distinguent uniquement « l’individuel » et « l’individuel groupé » .
– La catégorie « individuel » considère à la fois la maison individuelle en « diffus », qui fait l’objet d’un permis de construire individuel et qui est à l’origine du mitage ; et les maisons individuelles en lotissement. Il s’agit alors d’une procédure en deux temps : une procédure de lotissement a priori, c’est-à-dire une demande de permis de lotir (avant 2007) ou de permis d’aménager, puis une construction individuelle faisant l’objet d’un permis de construire individuel. Deux acteurs au moins interviennent dans ce cas : un lotisseur (aménageur-lotisseur ou propriétaire indépendant), puis un maître d’ouvrage (constructeur) de maisons individuelles. Celui-ci est souvent un particulier: il choisit sur catalogue auprès d’un constructeur, ou peut avoir recours à l’auto-construction (Bourdieu, 2000).
– L’individuel groupé est considéré à part : la division en lots se fait a posteriori : un seul permis groupé est déposé, souvent par un opérateur ou maître d’ouvrage unique (promoteur immobilier), puis la vente du bien bâti se fait par lot. Ces opérations sont celles qui possèdent la plus grande homogénéité architecturale, et sont souvent désignées également, par défaut, lotissements. Ces trois types diffèrent profondément par leurs fondements juridiques, leurs logiques de production et de localisations, les acteurs de la production, et les segments de marché auquel ils s’adressent (Callen, 2012; Vilmin, 2005). La question des catégories d’opérations auxquelles renvoient le lotissement n’est pas sans poser problème : aux Etats-Unis par exemple, on considère ainsi les grandes opérations standardisées de promoteurs (master planned communities), comme les opérations plus modestes (planned developments) comme étant en fait des opérations regroupant plusieurs phases de lotissements.

Par extension, le terme lotissement est progressivement devenu un terme générique, qui traduit les tensions de l’étalement urbain. Ainsi, il est critiqué très tôt, tant sur la morphologie urbaine que la morphologie sociale produite par le lotissement de masse :. Lewis Mumford (1938, The Culture of Cities) se moquait ainsi des suburbanites qui « copiaient le romantisme des Byron et des Lamartine », et dans les années 1950 et 1960, l’analyse de la stratification sociale conforte une lecture d’un type d’urbanisme fondé sur l’homogénéité sociale des résidents structurée par le white flight des classes moyennes. En France, les critiques dénoncent la carence d’urbanité « Par le morcellement foncier qui le crée, par les discontinuités morphologiques, sinon architecturales qu’il génère, par les caractéristiques socio-démographiques d’âge, d’origine sociale et démographique de ses habitants, le lotissement c’est la non-ville. Cette urbanité en moins est dénoncée par tous les observateurs » (Burgel, 1989, p. 6). Parfois réduit à un archétype de l’individualisme, du repli sur l’entre-soi, d’espaces sans qualités réduits à des logiques économiques privées et utilitaristes résidentielles, opposés aux espaces centraux supposés ouverts, piétons, denses (Mangin, 2004). Le lotissement serait une catégorie résumant les travers du périurbain : lieux génériques porteurs de logiques défensives, sécuritaires, communautaires ou de protection patrimoniale (Lévy, 2003). Autant d’éléments qui méritent certainement de nourrir le débat, puisque des travaux ont démontré le caractère de l’accession à la propriété pour les classes moyennes d’origines diverses comme un puissant vecteur d’intégration sociale ; ceci est bien évidemment variable selon les groupes, les revenus, ou l’appartenance ethno-raciale dans le contexte Etatsunien (Alba, 1999 ; Clark, 2006 ; Massey, 1988). Au fond, comme opération foncière massive, associée à l’accession à la propriété et au crédit de masse, le lotissement comme produit immobilier de masse dépendant de la dette des ménages et des aides publiques à l’accession est un puissant instrument de transfert de la rente foncière dans le système financier global (Langley, 2006).

voir aussi: «politique de la ville»,« quartier»

 

références bibliographiques:

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-BURGEL G. (1989). La ville fragmentée : le lotissement d'hier et d'aujourd'hui. Nanterre: Villes en parallèle, Laboratoire de géographie urbaine, 264 p.
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