Métropolisation
La «métropolisation» est une notion construite par l’extension du terme «métropole» (étymologiquement: la ville mère) qui sert à désigner des processus de transformation, à la fois fonctionnels et morphologiques, démographiques et réticulaires des systèmes de villes. Aboutissant à un accroissement de la captation de la croissance par le niveau supérieur de la hiérarchie urbaine, ces processus s’articulent autour de l’impact différencié sur les entités urbaines des connexions de multiples réseaux, qu’ils soient matériels ou immatériels.
Si le concept de métropole (Saint Julien, 2015) est ancien et qualifie la domination d’une ville par rapport à un territoire de référence (région, pays, empire, etc.), le terme « métropolisation » est apparu plus récemment, au cours des années 1990, pour rendre compte de la dynamique urbaine dans les pays développés, dans un contexte de globalisation de l’économie. Il fut compris, dans un premier temps (Veltz, 1996) comme le résultat territorial de modes de régulation post-fordistes combinant, développement de nouvelles filières (services, technologies), désindustrialisation et forte flexibilité du marché du travail. Comparée au processus de concentration classique représenté par les villes en général, la métropolisation se caractérise par une augmentation du poids des grandes villes dans la distribution de certaines fonctions, notamment la concentration de services supérieurs considérés comme un indicateur essentiel d’une métropole, en tant que centre de commandement.
En complément du poids des fonctions de coordination, la littérature, dans les années 2000, souligne le rôle spécifique des métropoles dans l’économie de la connaissance (Krätke, 2007) et insiste sur la concentration sélective des industries à forte intensité de recherche dont la dotation permet de définir la place de la ville dans la hiérarchie urbaine. Dans une perspective de croissance urbaine endogène, s’y ajouterait la nécessité pour les villes d’attirer aussi des populations consommatrices d’aménités (urbanisme patrimonial, cadre de vie, politique culturelle…) qui, par un effet d’entraînement, favoriseraient le développement des activités économiques. Ce couplage entre l’agglomération de certaines compétences dans les zones métropolitaines et la capacité des individus à interagir a fait émerger l’idée de « ville créative » (Florida, 2002)
Si, à toutes les époques, les systèmes de villes ont pu être analysés comme des ensembles réticulés et polycentriques, dans lesquels les relations interurbaines jouaient un rôle structurant. Le processus métropolitain se caractérise par une accentuation des relations entre les principales agglomérations dans lesquelles les phénomènes de connectivité ont tendance à prévaloir sur les relations de proximité. Sur cette base, des régions métropolitaines joueraient le rôle de «moteur» et de réceptacle de l’économie globalisée, au point que certains auteurs voient dans les « global cities » des organisations capables d’orchestrer la mondialisation (Sassen, 1991). Par delà cette relation contemporaine entre mondialisation et métropolisation, d’importants travaux ont montré la tendance historique à la métropolisation dans les systèmes de villes en général (Pumain et al 2015) et sa traduction dans la hiérarchie urbaine par des lois d’échelle d’exposant supérieur à 1 (Paulus et Vacchiani Marcuzzo, 2008)
Cette concentration croissante des potentiels économiques sur les régions métropolitaines et les grandes villes est également considérée comme un facteur contribuant aux disparités croissantes entre et au sein des territoires. Les phénomènes d’agglomération résultant des mécanismes d’externalités, (externalities of agglomeration) auraient des effets discriminants, non seulement sur les régions rurales en retard, mais également sur les régions urbaines moins dynamiques, potentiellement délaissées dans le processus de métropolisation lorsqu’elles ne sont pas connectées aux grandes régions métropolitaines. Pour autant, à une échelle nationale, des économistes (Lacour et Puissant, 2008) réfléchissant sur les questions d’innovation des économies territoriales, et en appliquant les facteurs contribuant au développement d’activités hautement qualifiées dans les différentes strates de la hiérarchie urbaine ont identifié des processus comparables dans ce que l’on a coutume de dénommer les « villes moyennes ».
La force de ces dynamiques se répercute également dans les politiques publiques. Selon B.Reitel ( 2012), les Etats 1 européens sont amenés à reconfigurer les maillages administratifs en officialisant les métropoles qui constituent une forme spatiale originale capable d’articuler différentes échelles en créant une nouvelle strate institutionnelle (lois sur les métropoles en France) dotée d’un système de gouvernance.
A une échelle locale, ces mutations fonctionnelles génèrent des recompositions dans la morphologie urbaine. Le processus de métropolisation englobe dans son sillage, des villes petites et moyennes et des espaces ruraux, ce qui contribue à l’émergence de vastes configurations urbaines qualifiées de « métapoles » [Ascher,1995 ) ou de « city-regions » [Scott,2001 ) dans la littérature anglophone. Outre les phénomènes d’étalement urbain, la métropolisation implique, dans de nombreux cas, la formation d’une structure interne discontinue et hétérogène, qui fait alterner en périphérie des zones de faible densité et des centralités secondaires (villes périphériques, centres d’affaires, technopole, etc.). La combinaison de ces processus conduit à la formation d’espaces urbains de plus en plus fragmentés, qui remettent en question les modèles de répartition des citadins ou d’activités en relation avec un centre unique, tels que ceux de W. Alonso ou de C. Clark.
La métropolisation peut se mesurer et s’apprécier à l’aide de toute une série de critères structurels, fonctionnels, ou encore dynamiques qui permettent d’établir hiérarchies, classifications, typologies. Mais l’approche du phénomène dépend des niveaux d’échelle considérés : une métropole de rang global, international, ne pourra être définie, analysée comme une simple métropole régionale. Plusieurs tentatives (VAN WINDEN et al., 2007 ), (ESPON, 2007) pour cerner les caractéristiques du processus de métropolisation ont été tentées. Un programme ESPON (2007) analysant les dynamiques urbaines en Europe a identifié des MEGAs (Metropolitan European Growth Area) sur la base de 5 critères (population, transport, industrie, connaissance, capacité de décision) permettant de différencier les phénomènes à l’oeuvre. Considérant que la métropolisation s’inscrit dans un système, d’autres auteurs (Moriconi-Ebrard, 1996) proposent d’évaluer le degré de métropolisation d’un pays avec un taux de métropolisation vérifiant que, pour un même ratio d’urbanisation, le nombre d’habitants vivant dans les métropoles d’un pays dépend strictement de sa taille.
Depuis plusieurs décennies des géographes radicaux (au sens anglophone du terme) (Brenner et Theodore, 2002) ont tenté d’explorer l’impact du néolibéralisme sur la dimension sociale du processus de métropolisation. Le constat principal est celui d’un mécanisme produisant de fortes inégalités de revenus qui conduirait à une forte polarisation sociale, associant d’importants contingents de personnes (souvent immigrées) vivant en dessous du seuil de pauvreté avec des groupes à hauts revenus. La question de la métropolisation a ainsi relancé les débats sur la théorie de la polarisation sociale (Hammett vs Sassen) 2 et sur les méthodes d’évaluation de ladite polarisation. Les études qui s’appuient sur les statistiques des professions pour mesurer l’évolution des contrastes sociaux aboutissent à des schémas de croissance professionnalisante, par contre celles qui se fondent sur le niveau de revenu pour mesurer l’évolution de l’emploi vont dans le sens d’une polarisation sociale. (Crankshaw, 2016)
Le problème de l’universalité des formes prises par la métropolisation doit être également posé. Duranton et Puga (2000) soulèvent la question des formes variables prises par la métropolisation entretenant, de fait, une certaine diversité urbaine. Dans quelle mesure la structure des villes, la composition sectorielle et les activités des personnes influence-t-elle les voies suivies ici ou là par la métropolisation? Car avec les processus de globalisation et l’internationalisation des échanges (marchandises et capitaux) qui en résulte, le processus de métropolisation a connu des déclinaisons extrêmement diverses et a affecté aussi bien des pays émergents comme la Chine, l’Inde, ou le Brésil que des pays anciennement industrialisés. Daniel Béhar( Béhar, 2010) a proposé l’idée de « régimes de métropolisation » ayant chacun leurs propres ressorts et relevant de logiques différentes. Ce qui conduit certains à la critique des concepts occidentalo-centrés mobilisés pour rendre compte de la métropolisation. Ananya Roy (Roy, 2009) avance ainsi l’idée que les théorisations dominantes de la métropolisation sont enracinées dans l’expérience euro-américaine et sont donc difficilement transposables aux formes multiples de la modernité d’autres métropoles, notamment celles des Suds.
Bernard Elissalde
Notes
- En Italie, la loi de mars 2009 a créé un statut spécial pour Rome Capitale neuf villes métropolitaines Aux Pays-Bas, il y a l’émergence de la région métropolitaine Rotterdam-La Haye et en Angleterre, des City deals sont en cours d’élaboration pour les 10 plus grandes villes.
- S.Sassen (2000) d’un côté et de l’autre S. Fainstein (2001), et C.Hammett (2003) s’opposent sur la question de la mesure des inégalités sociales contemporaines dans les global cities