Pavage, carroyage, tessellation
Le pavage de l’espace est une opération qui consiste à le découper de manière géométrique, à partir d’éléments réguliers, ou non. On parle aussi de « tessellation », ou de carroyage lorsque le pavage est régulier et carré (Diana Bouchard, 1976, utilise le terme de carrelage). Le terme de tessellation est dérivé de tesselle, un fragment de mosaïque.
Le fait de paver l’espace permet qu’il ne soit plus continu, mais discret, comme c’est le cas pour n’importe qu’elle maillage. Dès lors que l’espace est composé de sous-espaces finis, on peut dénombrer ce qu’ils contiennent. L’usage d’un pavage régulier permet d’avoir des surfaces homogènes, donc directement comparables lorsque l’on fait des dénombrements. On ira voir à ce propos l’usage qu’en fait T. Hägerstrand dès le milieu du 20ème siècle pour étudier la diffusion spatiale des innovations en Suède. Le carroyage qu’il utilise lui permet de dénombrer les objets qu’il étudie et ensuite de proposer des modélisations mathématiques reposant sur une trame régulière.
Aujourd’hui, l’usage le plus courant du pavage se retrouve dans les Systèmes d’information géographiques matriciels qui reposent sur des images dites « rasters », c’est-à-dire composées de pixels. Les pixels sont un ensemble de carrés constituant l’intégralité d’une image. Les images issues de la télédétection constituent l’application la plus répandue.
On peut aussi trouver l’usage de pavage dans d’autres contextes, notamment dans des systèmes d’information géographique de type vectoriel, c’est-à-dire composés d’objets géométriques individuels. Les données carroyées de l’INSEE ou du British Census sont ainsi utilisées pour déterminer des zones géographiques régulières indépendamment de zonages existants. On peut aussi mobiliser des pavages pour transformer une information ponctuelle en information spatialement continue (interpolation spatiale). Par exemple, un semis de points ne permet pas de déterminer une mesure de voisinage reposant sur la contiguïté, alors qu’une fois transformé en pavage (voir ci-dessous la méthode pour déterminer un pavage à partir de points), cela devient possible. On notera que la forme choisie du pavage a une influence directe sur les mesures qui en découlent (problème de variabilité des *maillages*; *MAUP*). Ainsi, le nombre de voisins (mesures utiles pour tous les calculs d’autocorrélation spatiale mais aussi pour toutes les mesures d’interpolation) varie sensiblement selon la forme du pavage retenu (voir figure 1).
On distingue les pavages réguliers des autres pavages. Les pavages réguliers reposent sur des formes géométriques identiques qui sont reproduites dans l’espace. On peut en imager une infinité, de la plus simple (des triangles équilatéraux) aux plus compliquées (à l’image des travaux de l’artiste M.C.Escher). Les pavages réguliers les plus fréquents sont ceux issus de formes géométriques régulières, à l’instar du carré (les pixels des images satellites susmentionnés). On notera que si le carré est le pavage le plus fréquent (carroyage), il n’est pas pour autant le plus efficace. L’hexagone régulier (figure 2) est ainsi insensible à la définition du *voisinage* et demeure une alternative intéressante (Dacey, 1965). Néanmoins, le carroyage garde pour lui sa simplicité et sa capacité à être transformé en matrice informatique de manière très aisée.
Les pavages non réguliers sont aussi d’un usage très répandu. On crée notamment des pavages non réguliers pour transformer une information discontinue en information couvrant l’ensemble de l’espace. Par exemple, lorsque l’on souhaite passer d’un semis de points à un maillage continu, on va utiliser une partition de Voronoï (aussi parfois appelée tessellation de Dirichlet), outil commun dans les *systèmes d’information géographique* aujourd’hui. Il permet de créer des polygones de Voronoï (aussi connus sous le nom de polygones de Thiessen). Le périmètre d’un polygone de Voronoï est défini par l’ensemble des segments qui sont sur les médiatrices séparant les points du semis (pour plus de détail sur la construction de ces objets, voir Boissonnat et Yvinec, 1995). Autrement dit, les segments du périmètre des polygones de Voronoï sont constitués par les points situés à égale distance entre les deux points les plus proches. L’opération peut donc être faite manuellement, mais il existe aussi des algorithmes qui permettent de le faire de manière informatique (figure 3).
Un apport important des polygones de Voronoï en analyse spatiale est de permettre un pavage de l’espace à partir de points. Oliveau et al. (2019) mobilisent les polygones de Voronoï pour proposer une cartographie des étrangers dans les communes espagnoles. Le maillage communal étant marqué par une forte hétérogénéité de surface et de population, ils utilisent les centroïdes des communes pour déterminer localement des centroïdes moyens regroupant en moyenne 3 communes. Cela permet de réduire l’hétérogénéité spatiale et démographique. A partir de ces centroïdes moyens, ils produisent des polygones de Voronoï qui leur permettent de cartographier leurs variables (figure 4).
Néanmoins, les polygones de Voronoï souffrent de deux limites. La première est celle de leur hétérogénéité spatiale. Puisque qu’ils ne constituent pas des pavages réguliers, leurs surfaces sont hétérogènes. L’autre limite est liée à leur construction, qui gère mal les effets de bords : au-delà du dernier point du semis qui sert à les construire, on doit déterminer une limite arbitraire (distance maximum définie par l’utilisateur, limite pré-existante dans l’espace géographique).
Sébastien Oliveau