village

Le village est le premier niveau de groupement de l’habitat rural, au-dessus des formes élémentaires de la ferme isolée et du hameau ; il rassemble des maisons groupées ou agglomérées faiblement distantes. Sa définition varie selon la trame du peuplement et la statistique administrative, le terme s’appliquant généralement à des groupements simples ou à des localités rurales relativement centrales. Il se distingue du hameau par les fonctions qu’il exerce pour son microcosme local (école, lieu de culte, commerces, artisanat, salle communautaire). L’explosion démographique des pays du Sud a exagéré le peuplement de nombreux villages, qui n’accèdent pas pour autant au statut urbain en raison de la proportion majoritaire d’agriculteurs (Egypte, Chine) et de leur niveau d’équipement. Cette forme d’habitat se retrouve dans tous les pays du monde, mais elle est partout sujette à de multiples formes de transformation qui vont jusqu’à remettre en cause son existence autonome. Enfin, un usage détourné appelle villages des quartiers commerciaux, balnéaires, résidentiels en milieu urbain.
Les sites, plans et éléments du village sont des composantes de l’habitat rural étudié par des géographes classiques (Jean Brunhes, Albert Demangeon). Le village peut être l’aboutissement d’une évolution spontanée ou le résultat d’une création encadrée ; divers facteurs expliquent son groupement : eau, relief, nature des sols, impératifs de défense (villages des crêtes de Kabylie), pratiques communautaires, aménagement planifié. On dégage différents modèles de plans (Lebeau, 2000) : villages perchés, ronds (circulades languedociennes), orthogonaux (bastides du Sud-Ouest français), forts villageois, villages en nébuleuse avec noyau principal séparé de centres secondaires, village rue, en ligne, suivant un axe, village en cercle (Massaï). Ces plans s’expliquent fréquemment par des facteurs de site ; parfois, il faut invoquer le système agraire et les coutumes régionales. Les fronts pionniers donnent lieu à des villages de colonisation au plan géométrique.
La géographie historique (Derruau, 1962) postule la longue durée de cette forme de peuplement et interroge les liens entre le village et le parcellaire agraire. Des morphogénèses associent système agraire et plan villageois : infield/outfield, habitat groupé en village rue et openfield, tripartition agraire du monde romain et village en tas, intravilan/extravilan et village en ligne de l’Europe centrale. Des études montrent l’appropriation de l’espace par les communautés rurales, les régimes fonciers, les différents modes de production. Les géographes allemands s’intéressent les premiers à la relation génétique entre plans villageois, systèmes agraires et origines du peuplement (waldhufendorf). August Meitzen propose la théorie de la matrice ethnique des modèles villageois, récusée par des travaux postérieurs ; des études récentes d’archéogéographie (Watteaux, 2003) poursuivent cette thématique.
Les formes traditionnelles de l’habitat rural, avec le village fixant l’habitat au centre du territoire exploité, regroupant les équipements communautaires, se sont mises en place en Europe avec l’instauration au XIe siècle du système féodal organisé autour de l’ordre paroissial et de la seigneurie (Robert Fossier, Pierre Toubert). Cette thèse de l’encellulement nourrit la réflexion sur la genèse de l’espace local en France (Di Méo, 1991).

Les recherches extra-européennes portent un autre regard sur le village, et montrent que son implantation et de sa structuration correspondent souvent en Asie à des traits culturels. Les plans des villages indiens obéissent ainsi à la « vasta vidya », la science de l’architecture, qui indique pour toutes les échelles de peuplement (maisons, villages, villes) les principes d’organisation du cosmos à respecter en matière de construction et d’organisation de l’espace. Le mandala avec son cercle inscrit au centre d’un carré est considéré comme une figure magique qui dicte l’organisation générale. Dans les villages hindous, l’arbre situé au centre représente l’axe autour duquel se meut l’univers et les différentes castes se répartissent selon les points cardinaux, en écartant les intouchables. En Chine l’emplacement des villages, l’orientation ou la disposition des maisons sont guidés par les principes du Feng-shui voulant que « la maison s’appuie sur le nord et donne sur le sud » et que « la maison soit adossée à la montagne et fasse face aux eaux ». À Bali les villages se situent le long de la pente, suivant une géomancie opposant le haut (pur) et le bas (impur, néfaste proximité de la mer).
L’étude du village ne se limite pas à l’habitat, elle renvoie également à un espace local approprié, un territoire local. Parce qu’il résulte d’une concentration du bâti et d’une condensation des formes d’appropriation, il est généralement placé au centre de la maille spatiale élémentaire (le finage, la paroisse chrétienne, la commune en Europe). Tous les villages ne sont cependant pas centraux, soit parce que la maille originelle est plus étendue (en Bretagne, en Russie) ou qu’elle a été agrandie par une réforme communale (nombreux exemples en Europe de l’Ouest ou de l’Est).
La monographie villageoise (Kayser, 1989) a représenté le mode principal de recherche sur les communautés rurales, le village figurant « l’objet concret » permettant de saisir « l’objet construit » de la communauté rurale (Chiva, 1992). Alors que l’étude minutieuse d’une communauté est un cadre habituel pour les ethnologues, le village sert essentiellement en géographie comme champ d’observation localisée où son espace social est situé à l’articulation entre insertion locale des processus globaux et spécificités des stratégies communautaires. Un tel cadre sert pour analyser les impacts locaux de mutations territoriales d’échelle nationale, comme la modernisation agricole (Renard, Jean, 2005), la décollectivisation (Hirschhausen, 1997) ou la périurbanisation.
Des pays du Sud ont promu la trame village comme levier pour le développement rural. En Inde à partir des années 1950 un programme de développement communautaire engage et coordonne des opérations d’équipement (puits, routes, écoles, dispensaires) sur la base de circonscriptions d’une centaine de villages. Ce dispositif est complété la décennie suivante par instauration des conseils de village élus (Panchayat) appelés à prendre des initiatives en matière de développement rural. En Chine, la réforme agraire collectiviste déstructure les bases foncières du village et modifient la répartition sociale à l’intérieur de l’habitat traditionnel. La planification territoriale multiplie les infrastructures rurales (petites industries, ateliers de transformation, stations de pompage, réseaux électriques), mais affaiblit les centralités traditionnelles des marchés ruraux et accélère le dépérissement villageois que l’ouverture économique poursuit. En Russie la planification soviétique définissant des « villages sans avenir » a accéléré le déclin des villages de la gloubinka.

Des recherches abordent la réorganisation fonctionnelle du village et les changements de représentations qui l’affectent. Dans les pays industrialisés et urbanisés, le petit nombre des agriculteurs, la généralisation du mode de vie urbain, la multiplication des mobilités, induiraient la « fin du village » (Le Goff, 2012), celui-ci n’assurant plus de fonctions spécifiques. Cette forme d’habitat, pauvre en commerce et service, sans activité diurne, se diluerait dans l’espace périurbain. Le déplacement des exploitations agricoles hors des villages entraîne la transformation de l’habitat, le redimensionnement volumétrique des bâtiments, le remembrement des parcelles bâties, la délimitation patrimoniale d’un « cœur villageois », le bourgeonnement pavillonnaire, autant de signes de sa citadinisation (Husson, 2018). Des études (Cloke, 1997, Bonnamour, 2007) montrent pourtant que même dans les sociétés rurales post-industrielles, le village conserve des formes de sociabilité spécifiques et produit une territorialité originale, conditionnée par un mode d’habiter spécifique. Des différenciations sociales internes (gentrification des belles demeures, taudification des rues annexes), des formes de solidarité et des initiatives culturelles montrent une certaine vitalité des villages. La sociabilité villageoise est recherchée par les nouveaux habitants pour qui les dimensions réduites de la communauté participe de la qualité de vie (Charmes, 2019).

Michel Lompech

 

Bibliographie
-Béteille Roger, 2002, « Le village », Encyclopedia Universalis, p. 4785a.
-Bonnamour Jacqueline, 2005, Marcilly-Ogny Regards sur un village, ENS-Editions.
-Charmes, Éric, 2019, La revanche des villages : essai sur la France périurbaine, Seuil.
-Chiva Isac, 1992, « Les monographies de village et le développement », in De village en village : espaces communautaires et développement, Paris : PUF, Cahiers de l'IUED.
-Cloke, Paul (1997), « Country backwater to virtual village? Rural studies and ‘the cultural turn’ », Journal of Rural Studies, t. 13, n° 4, pp. 367-375.
-Derruau, Max, 1962, Précis de Géographie humaine, Armand Colin.
-Di Méo Guy (1991), « La genèse du territoire local : complexité dialectique et espace-temps », Annales de Géographie, t. 100, n° 559, pp. 273-294.
-Hirschhausen (von), Béatrice (1997), Les Nouvelles campagnes roumaines, Coll. « Mappemonde », Belin.
-Husson Jean-Pierre, « Le village, objet géographique », in G. Wakermann, Les espaces ruraux en France, Ellipses, pp. 240-258.
-Kayser Bernard (1989), Les sciences sociales face au monde rural, collection « Amphi 7 » Presses universitaires du Mirail, 147.
-Lebeau René, 2000, Les grands types de structures agraires dans le monde, Armand Colin.
-Le Goff Jean-Pierre, 2012, La fin du village - Une histoire française, Gallimard.
-Plet Françoise, 2003, « Village », in Dictionnaire de géographie (J. Lévy, M. Lussault), Belin.
-Renard, Jean, 2005, La Vendée Un demi-siècle d’observation d’un géographe, PUR.
-Watteaux Magali, (2003), « À propos de la « naissance du village au moyen âge » : la fin d’un paradigme ? », Études rurales, 167-168 , pp 306-318.