Sécheresse.
WB Palmer propose pour ce terme une définition en apparence simple, devenue classique. «Nous appellerons sécheresse une période de déficit d’humidité prolongée et anormale (pour un lieu donné et un temps donné)». (Palmer W 1965) Chaque mot de cette définition appelle commentaires et précisions.
-Un déficit d’humidité.
Pour une portion d’espace et pour une période données on peut établir un bilan d’humidité. Les apports sont réalisés par les précipitations et les prélèvements sont dus à l’évaporation et à la transpiration des plantes, une combinaison donc, « l’évapotranspiration » ci-dessous ET. En réalité, il convient de prendre en compte les quantités de prélèvements qui sont possibles en fonction de l’état de l’atmosphère, (surtout la température, l’humidité relative et l’agitation de l’air), Ces quantités sont définies comme l’« Evapotranspiration potentielle » Ci-dessous ETP. Il faut aussi tenir compte de la possibilité de présence, sous diverses formes, dans les sols et les couverts végétaux de réserves d’eau.
Si pour un espace et une période données l’ETP est supérieure aux précipitations, il y a d’abord prélèvement sur les réserves s’il en existe, puis déficit d’humidité, donc sécheresse. Il est commode de distinguer la « sécheresse météorologique », qui apparaît dès que les précipitations sont inférieures à l’ETP et la sécheresse biologique qui se manifeste à partir du moment où les réserves en eau sont épuisées et où les plantes commencent à se flétrir. On ajoute aussi la « sécheresse hydrologique » où le bilan négatif conduit au tarissement de nappes superficielles. Pour toutes ces sécheresses, il existe de multiples interactions et convergences. Ainsi, les types d’états de l’atmosphère sans pluie sont souvent également des types à températures élevées, donc à forte ETP.
-Une période anormale .
La formule renvoie aux notions de norme et de normalité, qui demandent que l’on fasse référence à des principes de base. On a pu définir le climat (Sorre) comme « la série des états de l’atmosphère dans leur succession habituelle ». C’est à ces « successions habituelles » que les sociétés humaines, notamment pour leurs productions agricoles, se sont adaptées. Les écarts à ces « successions habituelles » posent donc des problèmes particuliers, ils mettent en cause les adaptations des activités humaines. Ceci nous amène à une distinction fondamentale, entre les saisons sèches et les sécheresses L’existence des premières à certains moments de l’année, définit certains climats ; elles font partie des « successions habituelles », elles sont attendues, les rythmes des activités humaines connaissent avec elles des adaptations séculaires. Leurs caractères essentiels sont relativement réguliers et prévisibles.
Les secondes, sécheresses stricto sensu, se situent hors de ces successions habituelles, sortent de la norme. Leur apparition, leur date, leur sévérité n’est connue qu’en termes de probabilité, elles relèvent de l’aléatoire, et au moins en apparence de la logique de l’accident.
Elles doivent être pensées en termes d’écart. Ecart aux « successions habituelles » des situations atmosphériques, mais aussi, en conséquence, à ce que Palmer appelle fort justement « l’économie établie » d’une région donnée. ( cf : « Les populations vivant dans les climats humides ont la même définition de la sécheresse que celle des populations de zones semi-arides : c’est à dire un manque d’humidité qui affecte sérieusement l’économie établie de la région »).Cette économie établie pouvant être considérée comme résultant d’un adaptation aux potentialités offertes par le climat).(Palmer 1965).
Une même quantité de pluie pour une période de la saison des pluies pourra affecter gravement « l’économie établie » du Bengale Indien, fondée sur la riziculture sous pluie, alors qu’elle sera considérée comme suffisante dans le bassin du Niger, où l’économie établie est fondée sur l’élevage et la culture de céréales peu exigeantes en eau.
Ces notions de succession habituelle et d’économie établie sont à la base des modes de définition des sécheresses en termes de mesure et de statistiques. Il est très courant d’utiliser comme norme la moyenne des valeurs des précipitations, pour des séries les plus longues possibles – on cherche en général à obtenir des séries de 30 ans – et comme mesure d’écart l’écart observé divisé par l’écart type de la série. (Autrement dit, on utilise les valeurs centrées réduites des précipitations reçues, pour les périodes considérées). L’organisation météorologique mondiale (OMM ou WMO en anglais) qualifie cette mesure selon la valeur centrée réduite d’indice standard de précipitaion : (« Standard precipitation index » ou « SPI ». L’indice est généralement calculé pour des périodes d’au moins quelques jours, mois ou année le plus souvent. La même organisation propose des définitions qualitatives de la sécheresse en fonction d’une série de seuils . Pour un SPI
• De +1 à -1 : période « normale »
• De -1 à-1,5 : période « modérement sèche .
• De -1,5 à-2 : période « de sècheresse sévère »
• Au dessous de moins 2 : période « extrêmement sèche ».
Cette définition statistique de la sécheresse à partir des seules données pluviométriques est commode, mais insuffisante. En effet, comme on l’a dit, la notion de sécheresse repose sur un rapport entre la pluviosité et l’évapotranspiration potentielle. De nombreux indices ont été élaborés pour introduire ce facteur dans le calcul. Mais il y a peu d’observations directes de l’ETP, on doit donc la calculer à partir de ses facteurs, avec des données moins nombreuses et moins fiables que pour la pluviosité, et des calculs complexes ; ce qui explique le rôle que jouent encore des indices du type SPI dans la littérature à côté d’une assez grand nombre d’indices proposés dans le littérature.
-Une période prolongée .
L’introduction de la durée implique une distinction entre la notion de temps sec et celle de sécheresse. Les premiers alternent « normalement » avec les temps pluvieux, selon des rythmes caractéristiques des lieux et des saisons. Les saisons sèches, caractéristiques de certains climats, sont faites d’une succession de temps secs ; les « saisons pluvieuses comportent le plus souvent des successions de temps secs et pluvieux. C’est la raréfaction ou le raccourcissement « anormal » de ces derniers qui définit la sécheresse qui apparaît quand les temps secs sont assez longs, ou assez récurrents pour qu’apparaissent les valeurs négatives de la différence précipitations/ETP, et que l’on passe à la sécheresse météorologique puis de celle-ci à la sécheresse biologique.
Il est utile de distinguer quatre types de pérides sèches ; quatre notions qui doivent être clairement distinguées.
-Le temps sec. (Les services météorologiques mondiaux recensent le nombre de « jours secs », définis à partir des relevés des observatoires, comme les jours où le pluviomètre a recueilli moins de 0,1mm de hauteur d’eau). Ils alternent « normalement » avec les temps (ou jours) pluvieux. selon des rythmes dépendant des lieux et des saisons.
-La saison sèche, où la succession des temps secs (ou jours secs) conduit à une supériorité de l’ETP sur les précipitations, mais où le phénomène est habituel on « normal ».
-La sécheresse, où la même succession se produit de façon « inhabituelle », dans des lieux et des saisons « normalement » pluvieuses.
-Ce que l’on peut définit comme une « crise climatique » apparaît avec des phénomènes de récurrence des sécheresses. Ainsi, dans une partie de l’Afrique connue comme la zone Sahelo-Soudanienne, les mois d’hiver sont caractérisés par une « saison sèche ». Les mois d’été constituent une saison pluvieuse, qui peu être affectée par des « sécheresses. ». Il arrive que celles-ci se produisent pendant plusieurs étés successifs. Il y a alors récurrence des sécheresses, avec des conséquences graves pour la vie des plantes et des hommes, et apparition d’une « crise climatique. » 1
On peut aussi parler de crise climatique lorsque des sécheresses se produisent simultanément dans des régions du monde éloignées les unes des autres, où les mécanismes climatiques sont différents eux aussi les uns des autres, dans une certaine mesure au moins. De telles simultanéités ont pu, par exemple, affecter les grandes régions céréalières de la planète, avec de lourdes conséquences sur l’économie mondiale. (comme par exemple autour de 2003/2004).
Les périodes sèches peuvent avoir des significations différentes selon le climat : dans les régions à saisons froides/fraîches et pluvieuses, un déficit de pluie dans ce type de saison n’aura pas d’effet direct sur la végétation, comme elle en état de latence à cause des températures faibles, mais il pourra gêner la constitution de réserves utilisables à la reprise de l’activité végétale au printemps suivant. La situation est différente dans les climats tropicaux où la notion de sécheresse est valable surtout pour les étés « normalement » pluvieux.
-Processus.
Bien qu’il y ait, comme on l’a dit ci-dessus, interaction entre les températures et les déficits pluviométriques, ces derniers restent des éléments essentiels dans la genèse des sécheresses.
Il pleut si et seulement si deux conditions sont réalisées :
-la présence de masses de vapeur d’eau dans l’atmosphère locale, dont la présence au-delà de certains seuils quantitatifs définit la notion « « d’air humide ». La source de cette humidité est, en dernier ressort, dans l’évaporation à partir des océans et mers, même si une suite de précipitations et de ré-évaporation peut compliquer les trajectoires de transport de vapeur.
-des ascendances dans l’atmosphère, dues soit à l’effet de reliefs (ascendances orographiques), soit à des processus dus aux mécanismes infiniment complexes de la circulation atmosphérique. Les ascendances sont généralement liées par des interactions à la présence de basses pressions relatives dans les couches inférieures de l’atmosphère, tandis que les subsidences sont liées, également par des interactions, à de hautes pressions.
Les sécheresses sont donc dues à des affaiblissements ou interruptions « anormales » des courants humides, soit à l’absence de mouvements ascendants, soit, ce qui est très fréquent, à une combinaison des deux effets.
Ainsi, les sécheresses du Sahel africain sont souvent dues à affaiblissement des courants humides en provenance du golfe de Guinée (« mousson guinéenne ») ; mais il y a aussi des années sèches dues à l’absence ou à la raréfaction des axes d’ascendance mobiles qui se déplacent d’est en ouest et donnent naissance à des précipitations (« lignes de grains ») dans l’air humide de la mousson. Dans le cas de l’Inde, on enregistre des sécheresses souvent qualifiées de « ruptures dans la mousson », « breaks in the monsoon ». En réalié, le courant de mousson ne s’interrompt pas, mais l’absence de pluie est due surtout à la disparition des rotations cycloniques « normales » sur la Péninsule.
Dans les régions tempérées, à l’ouest des continents, les apports d’humidité sont réalisés par des vents d’ouest et les ascendances sont dues à des dépressions mobiles, sites de discontinuités thermiques (« fronts ». Il peut arriver que ces vents d’ouest et ces dépressions mobiles disparaissent, avec le développement et la stabilisation d’anticyclones: il n’y a plus ni apport d’air humide, ni ascendances. Les temps anticycloniques ont des fréquences et des durées variables, leur augmentation provoque des sécheresses, parfois longues et sévères, comme ce fut le cas en 1976, 2003, ou encore en 2018.
-Téléconnections et héritages.
Les systèmes d’interaction qui gouvernent les mouvements de l’atmosphère sont d’une très grande complexité, et il n’est pas aisé de trouver les « raisons » de ces « dérèglements ». On sait cependant qu’il y a des solidarités dans le système « terre/Océan/atmosphère entre différentes périodes et différents lieux (dans ce cas on parle de « téléconnection »).
Le bilan précipitation/ETP, particulièrement cette dernière, dépend en partie de l’état de la surface, notamment de son couvert végétal. OR, une sécheresse peut modifier cet état du couvert végétal, donc les conditions de l’ETP et de son rapport avecles précipitations plusieurs mois plus tard. La sécheresse crée donc les conditions de nouvelles sécheresses. On est clairement en présence de phénomènes d’héritage.
D’autres effets concernent surtout des faits lié à la circulation atmosphérique. Ainsi, les anticyclones correspondant aux grandes sécheresses européennes ont été liés à des systèmes d’ondes qui affectent l’hémisphère entier dans toute l’épaisseur de l’atmosphère. Ils comportent des alternances de sections où la rotation de l’air est antihoraire (onde « cyclonique) et de sections où la rotation est inverse, (rotation « anticyclonique) La persistance de l’association d’un anticyclone dans les basses couches et d’une onde anticyclonique aux niveaux supérieurs constitue une « situation de blocage » ; elle peut devenir durable, comme elle l’a été en 1976 et 2003 2018. En 1976, d’une part l’onde anticyclonique sur l’Europe a pu être considérée comme une répercussion d’une onde cyclonique fortement établie sur le Pacifique oriental, et d’autre part cette onde elle-même a été liée à la présence d’eau froide dans ce Pacifique oriental, accumulée pendant l’hiver précédent l’été de 1976. Il y a donc eu à la fois téle-connection et héritage.
Les météorologistes identifient de mieux en mieux les effets de grandes oscillations couvrant de grands domaines de l’atmosphère.. Une des plus importantes et des plus connues est « l’oscillation australe » qui affecte tout le Pacifique sud entre Amérique et Indonésie (assez improprement désignée sous le terme de « ENSO » pour « El Nino, Southern oscillation »).La répartition des temps secs et des sécheresses dans de vastes régions du monde peut être mise en rapport avec les phases de cette oscillation.
La modification en cours des bilans énergétiques et thermique du fait de l’augmentation de l’effet de serre est susceptible d’agir sur la genèse des sécheresses à deux niveaux scalaires. Au niveau local, l’augmentation des températures peut augmenter l’ETP, donc aggraver, voire susciter des sécheresses. Aux niveaux plus vastes, par suite des interactions et téléconnections multiples, la modification des bilans radiatifs et thermiques peut influer sur les circulations, et favoriser des types de temps secs. Par exemple, l’augmentation de la température des océans et mers, qui est en cours à des degrés divers, peut diminuer les gradients thermiques qui, à certaines saisons, suscitent des circulations de l’air des océans vers les continents. Mais encore une fois, l’atmosphère est une machine complexe, et la modification des bilans énergétiques peut aussi susciter des excédents pluviométriques. Les effets de l’augmentation de l’effet de serre sont contradictoires, et posent de difficiles problèmes pour la modélisation des répartitions futures des précipitations dans le temps et l’espace et, bien sûr, pour la prévision.
voir aussi: contrainte,
biosphère
Notes
- Dans la région du bassin du Niger, tous les étés ont connu des sécheresses de 1977 à 1995, avec des indices standard de précipitations négatifs pour toutes les années de la période, et inférieurs à -1 pour 11 années sur 18, alors que de 1951 à 1966, les précipitations estivales ont été supérieures à la moyenne, avec des valeurs pour le même indice 10 fois supérieures à +1