Abbé Picard

Jean Picard dit l’abbé Picard (1620-1682)

Jean Picard, fils de libraire, est né à la Flèche en 1620. Après des études au collège des jésuites de la ville, il part à Paris en 1645 où, tout en poursuivant ses études, il assiste Pierre Gassendi, l’illustre mathématicien et philosophe, dans des observations astronomiques. Il est maître es-arts en 1650. Ordonné prêtre, il obtient un bénéfice ecclésiastique, le prieuré de saint Loup de Rillé, en Indre-et-Loire, qui lui permet d’avoir des revenus. Dès lors, il sera l’abbé Picard.

Il remplace Gassendi, au décès de celui-ci, en 1655, comme professeur d’astronomie au Collège de France et il est un des 21 scientifiques intégrant l’Académie royale des Sciences dès sa création en 1666 par Louis XIV, sur la proposition de Colbert.

L’abbé Picard par l’invention d’instruments de mesure du méridien, la mise au point de méthodes de lever topographiques expérimentées sur la carte particulière des environs de Paris (1668), puis sur la carte de France corrigée, première du genre, a donné à la cartographie un cadre scientifique matérialisé par le châssis général composé de chaînes de triangle.

 

Travaux de géodésie

En 1667-1668, il travaille avec l’astronome Adrien Auzout à l’application des lunettes aux instruments de mesure des angles et à la mise au point du micromètre à fil mobile. Picard sera le premier à mettre en œuvre ces instruments (quart de cercle mobile, secteur, niveau) (https://hypergeo.eu/wp-content/uploads/2023/05/quart-de-cercle-de-Picard.pdf) qui améliorent nettement l’exactitude des mesures. L’année suivante, l’Académie le charge de mesurer l’arc du méridien entre Paris et Amiens, plus précisément entre Malvoisine, près de Melun, et Sourdon, près d’Amiens. Pour ces travaux qui prendront près d’une année, en 1669 et 1670, il fit, le premier, usage du quart de cercle à lunette. Ses mesures par triangulation (méthode déjà appliquée par le hollandais Snellius au début du siècle), soit treize triangles, à partir d’une base de triangle d’environ 11km, le conduiront à un résultat de ≈ 111,1 km pour un degré de latitude, ce qui lui permet de calculer avec une précision étonnante et jusque-là inégalée, le rayon de la terre, supposée sphérique, de 6 372 km, (actuellement le rayon mesuré est de 6 371 km). L’année suivante il publie La mesure de la Terre, (Paris, 1671). Picard est, aujourd’hui, considéré comme le fondateur de la géodésie moderne.

En 1671, il part au Danemark pour relever les données géodésiques de l’observatoire de Tycho Brahe, sur l’île de Hven et les comparer à celles de Paris afin d’exploiter les tables astronomiques du Danois en tenant compte de la différence de latitude qu’il aura lui-même calculée. Sur place, il rencontre l’astronome Ole Christensen Rømer avec lequel il va travailler, et l’invite à l’accompagner lors de son retour à Paris. Romer sera son collaborateur pendant dix ans.

 

La carte du royaume

Le ministre de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, veut substituer aux relevés sur le terrain et à la juxtaposition des cartes partielles, une méthode précise pour « faire exécuter à grande échelle la carte générale du royaume », mission qu’il confie dès leur création à l’Académie des sciences (1666) et à l’Observatoire (1667). L’abbé Picard propose à Colbert en 1667 un mémoire pour dresser une carte du royaume en commençant par un châssis général, c’est à dire un réseau de triangulations et en prolongeant une méridienne de Dunkerque à Barcelone en passant par Paris et Perpignan. Ses nouvelles méthodes de triangulation testées sur La carte particulière des environs de Paris de l’Académie des sciences (1674) gravée par François de La Pointe en 1678 associées à la multiplication des observations astronomiques pour déterminer la position des différents points de la carte effectuées de 1679 à 1682 et à un relevé des côtes de France fait avec Philippe de La Hire permettent de dresser la première Carte de France. Les deux scientifiques appliquent la méthode choisie par Jean-Dominique Cassini pour déterminer les longitudes. Picard ne verra pas le résultat final (il décède en juillet 1682) car la Carte de la France corrigée par ordre du Roy sur les Observations de M^rs de l’Académie des Sciences sera présentée à l’Académie par Philippe de La Hire en février 1684 et ne sera publiée qu’en 1693.

En donnant un tracé plus rectiligne aux côtes d’Aquitaine et en limitant l’extension de la Bretagne à l’ouest, cette carte condamne, pour sa grande erreur de longitude ouest, la carte de France du géographe royal Nicolas Sanson (1650) qui faisait autorité, ce qui peut expliquer sa date tardive de parution. Fontenelle soulignera dans son éloge de Philippe de La Hire à l’Académie  :

« ils (les académiciens) firent une correction très importante à la côte de Gascogne, en la rendant droite de courbe qu’elle étoit auparavant, et en la faisant rentrer dans les terres ; de sorte que le roi eut sujet de dire, en plaisantant, que leur voyage ne lui avoit causé que de la perte ».

En 1681, après ses dernières observations, l’abbé Picard avait présenté à l’Académie « un projet pour faire un châssis géographique pour toute la France… présenté à Monseigneur Colbert » comportant « une grande traverse » triangulée qui irait de Dunkerque à Perpignan et une autre ligne « qui contournerait le royaume suivant les frontières et les côtes », en liaison avec la première. C’est le point de départ que suivra  Jean-Dominique Cassini pour élaborer sa célèbre carte.

https://hypergeo.eu/wp-content/uploads/2023/05/carte-de-france.pdf

Les eaux des demeures royales

Les Académiciens sont également sollicités pour résoudre la difficile question de l’alimentation en eau des demeures royales. Lorsqu’en 1674, le créateur du canal du Languedoc, Paul Riquet de Bonrepos fait la proposition au roi et à Colbert d’amener les eaux de la Loire à Versailles, Charles Perrault (1628-1703), contrôleur général des Bâtiments du Roi, s’y oppose en avançant une argumentation scientifique présentée par l’abbé Picard. Celui-ci a conçu avec Christian Huygens et Adrien Auzout une lunette d’approche pour effectuer des visées, premier niveau à lunettes en verre réalisé. Picard a l’idée d’ajouter un réticule (croix de fils très fins située dans son plan focal) composé de deux lentilles convexes, au niveau à eau, ou chorobate (ce dernier utilisé par les fontainiers et déjà décrit par Vitruve). https://hypergeo.eu/wp-content/uploads/2023/05/lunette-de-nivellement.pdf

Il précise la théorie du nivellement et la méthode pour déterminer les différences de niveau entre deux points, en ajoutant une table des « haussemens » pour rectifier la hauteur des points observés, dans un Traité de nivellement qui sera édité après sa mort par Philippe de la Hire. Les nivellements effectués pour Versailles prouvent que le projet de Riquet est impossible, car le niveau de la Loire mesuré à Briare est insuffisant pour amener les eaux à Versailles. Perrault écrira que Picard fit épargner au roi 2 400 000 livres que le projet de Riquet lui aurait fait dépenser en pure perte car il aurait fallu construire un aqueduc d’au moins 50 km. Colbert, prudent, ordonne les nivellements qui vont être réalisés par Jean Picard, l’aide-académicien Antoine Niquet, futur ingénieur des fortifications, et Etienne Villiard, aide ordinaire de Picard, durant l’automne 1674 :

« Il jugea qu’il n’y avait rien de plus expédient que de bien déterminer la hauteur de Versailles au-dessus de la Seine, puis suivre en remontant les rivières de Seine, & de Loin jusques à Montargis où commence le canal de ce côté-là. » (« Relation de plusieurs nivellements faits par ordre du Roy » de l’abbé Jean Picard, A.N. O¹ 1739, dossier 5).

 

Dès lors, la compétence des académiciens s’impose aux secrétaires d’État de la Maison du Roi. L’académicien Edme Mariotte poursuit, sur le chantier de Versailles, les travaux d’hydrologie. De la mesure de la quantité moyenne d’eau tombée en un an sur le bassin de la Seine, il déduit la quantité d’eau qui pourrait être conduite à Versailles  et s’appuyant sur ses travaux, Picard démontre que l’on peut capter les eaux de pluie des plateaux de Trappes par des rigoles et les conduire dans des étangs artificiels reliés à Versailles par des aqueducs. En application de cette démonstration, l’architecte Gobert réalise un immense réseau d’étangs et de rigoles (180 km de long) du sud de Versailles (Trappes-Saclay) à Rambouillet, offrant une capacité de stockage de huit millions de m³. Cependant Louvois, successeur de Colbert, ne se contentera pas de ce réseau et décidera l’immense chantier du canal de l’Eure à Versailles, long de près de deux cents kilomètres, sur les nivellements effectués par Philippe de La Hire, successeur de Picard à l’Académie.

 

La gnomonique

L’abbé Picard a élaboré des théories sur les cadrans solaires qu’il a appliquées lors des calculs pour la construction de trois cadrans solaires dans la cour de la Sorbonne en 1676. Deux ont été restaurés et un original de Picard, l’oriental, a été offert à l’observatoire de Nice où il se trouve toujours.

De 1666 à 1682, l’abbé Picard multiplie les observations et mesures astronomiques, notamment des astres (Soleil, Lune, Saturne, Mercure, Vénus, étoiles) et des éclipses. Il conçoit une méthode pour déterminer les coordonnées équatoriales des astres par leur passage au méridien et publie des éphémérides. Il est à ce titre aujourd’hui considéré comme à l’origine du développement de l’astronomie de précision, mais il ne put accéder au poste convoité de directeur de l’Observatoire de Paris, Jean-Dominique Cassini, qu’il avait fait venir en France pour l’aider dans ses travaux, lui ayant été préféré par Colbert en 1669.

L’apport de Picard à la fabrication d’instruments de mesure est important : adaptation de la lunette de visée et mise au point du quart de cercle terrestre, construction du micromètre à fil décrit par Auzout dans son Traité du Micromètre (1667). En astronomie, il effectue de nombreuses observations et mesures – sur le terrain, pour la géographie et la future carte de France triangulée dont il sera l’initiateur – et à l’Observatoire, en astronomie pure.

Le nom de l’abbé est malheureusement un peu tombé dans l’oubli, mais pas sa lunette de visée. Le célèbre tableau d’Henri Testelin, « Visite de Louis XIV à l’Académie des Sciences », vers 1670 où il figure avec Cassini et Huygens atteste de la prise en compte de son rôle scientifique.

Michèle Virol