Géopatrimoine

Considéré comme un sous-ensemble du patrimoine naturel, le géopatrimoine (en anglais : geoheritage) désigne l’ensemble des biens à caractère géologique (roches, minéraux, fossiles), géomorphologique (formes de relief), pédologique (sols) et hydrologique (rivières, lacs, glaciers, nappes souterraines…) dont certaines formes sont sujettes à des actes de patrimonialisation au sein des territoires (reconnaissance collective, protection, labellisation, valorisation) (André et al., 2013 ; Hobléa et al., 2014 ; Bétard et al., 2017 ; Reynard et Brilha, 2018). Il concerne des objets de toutes tailles (de l’échelle microscopique du minéral à l’échelle plurikilométrique du paysage), pourvu qu’un groupe social ou une collectivité les considère comme intrinsèquement ou extrinsèquement importants au point de devoir être conservés et transmis aux générations futures. Le géopatrimoine recouvre tant les objets sortis de leur site et conservés dans les collections muséologiques et universitaires (géopatrimoine ex situ) que les sites eux-mêmes (géopatrimoine in situ) dès lors qu’ils présentent un intérêt remarquable pour la mémoire de la planète (De Wever et al., 2014) et/ou l’histoire des liens entre l’Homme et la Terre (Desbois et Hobléa, 2013). En France, le massif du Mont-Blanc, la Montagne Sainte-Victoire, les falaises d’Étretat, les volcans de la Chaîne des Puys, les Pitons de la Réunion, le Cirque de Gavarnie, ou encore les collections paléontologiques et minéralogiques du Muséum National d’Histoire Naturelle font partie des objets emblématiques du géopatrimoine national.

Apparu pour la première fois en 1993 à l’occasion de la Conférence de Malvern (Royaume-Uni) sur la conservation de la géologie et des paysages (O’Halloran et al., 1994), le terme de géopatrimoine dérive de la contraction de l’expression « patrimoine géologique ». Cette dernière, portée sur le devant de la scène internationale deux ans plus tôt à l’occasion du 1er Symposium international sur la protection du patrimoine géologique (Digne-les-Bains, 1991), doit alors être entendue dans son acception la plus large, incluant non seulement les objets géologiques sensu stricto (roches, minéraux, fossiles) mais aussi les objets géomorphologiques, pédologiques et hydrologiques. En ce sens, le terme de géopatrimoine semble plus approprié car plus englobant que l’expression « patrimoine géologique » ; il sert aujourd’hui à désigner le patrimoine naturel abiotique dans son ensemble et correspond ainsi aux éléments patrimonialisés de la géodiversité (i.e., diversité de la nature non-vivante : Gray, 2013 ; Bétard, 2017, 2020). Loin de se limiter à sa seule dimension naturelle, le géopatrimoine est chargé, par définition, d’une dimension culturelle qui en fait un construit hybride à l’interface entre une connaissance naturaliste ou scientifique, une appropriation collective et/ou une décision politique, résultat d’un jeu complexe d’acteurs à différentes échelles. Cette dimension hybride, entre nature et culture, prend une résonnance toute particulière quand il s’agit des éléments ex situ du géopatrimoine (collections) ou de certains éléments du géopatrimoine in situ, tels que des sites anthropiques (carrières et mines, par exemple).
Les recherches sur le géopatrimoine, particulièrement dynamiques au niveau international depuis une quinzaine d’années (e.g., Reynard et Brilha, 2018), sont finalement en train de renouveler la façon de concevoir la nature, trop souvent limitée à sa seule portion vivante (biodiversité). Ces recherches portent aussi bien sur les méthodes d’inventaire et d’évaluation des sites d’intérêt géopatrimonial (géosites et géomorphosites) que sur les stratégies territoriales de conservation et de valorisation du géopatrimoine dans un espace naturel protégé (parc national, parc naturel régional, réserve naturelle, etc.). Les géographes français se sont largement emparés de la thématique géopatrimoniale, que ce soit à travers l’inventaire et l’évaluation des géomorphosites (Sellier, 2009 ; Giusti et Calvet, 2010) ou le transfert du géopatrimoine dans le registre des ressources territoriales comme leviers de développement local (Bétard et al., 2017).

Objet d’intérêt scientifique et à fort enjeu pour les territoires, le géopatrimoine est petit à petit intégré dans les politiques publiques environnementales. En France, un inventaire national du géopatrimoine existe depuis 2007 : institué par la loi relative à la démocratie de proximité du 27 février 2002, l’inventaire national du patrimoine géologique (INPG), piloté par le Muséum National d’Histoire Naturelle (De Wever et al., 2014), est l’équivalent de l’inventaire ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique) pour le patrimoine biologique au sein de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (https://inpn.mnhn.fr/). Les méthodologies d’inventaire diffèrent selon les pays, notamment dans le choix des critères d’évaluation des sites. En 1989, une initiative internationale issue de la collaboration entre l’UNESCO, l’IUCN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) et l’IUGS (Union Internationale des Sciences Géologiques) a donné naissance à une liste mondiale indicative de sites géologiques majeurs (Global Indicative List of Geological Sites – GILGES), relayée en 1996 par le projet « Global Geosites », avec l’objectif d’inventorier les sites géopatrimoniaux d’importance internationale.
Sur un plan juridique, il existe une vaste palette d’outils permettant d’assurer la protection des sites géopatrimoniaux (parcs nationaux, réserves naturelles, sites classés, etc.). En France, un nouvel outil de protection spécifiquement dédié au géopatrimoine a récemment vu le jour : prévus par la loi n°2010-788 dite « Grenelle II » du 12 juillet 2010 et rendus opérationnels par le décret n°2015-1787 du 28 décembre 2015, les Arrêtés Préfectoraux de Protection de Géotope (APPG) permettent désormais de prendre en compte la « conservation de sites d’intérêt géologique » face à des menaces de destruction, d’altération ou de dégradation des sites et/ou des objets (fossiles, minéraux, concrétions) présents sur ces sites (Auberger et al., 2018). Enfin, une nouvelle forme de tourisme durable, le géotourisme, s’est développée en Europe et ailleurs dans le monde depuis une vingtaine d’années. Fondé sur une vision « interprétée » (au sens de Tilden, 1957) des sites, il correspond à la mise en tourisme du géopatrimoine (Dowling et Newsome, 2006 ; Cayla, 2013). Le géotourisme constitue même l’un des piliers du label « Géoparc mondial UNESCO », dont l’objectif est de protéger et de mettre en valeur un géopatrimoine de rang international au sein d’un projet territorial de développement durable (Martini, 2010).

François Bétard


 

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Bibliographie

- André M.F., Ambert M., Delannoy J.J., Hobléa F., Reynard E. (2013), « Géomorphologie et patrimoine », in D. Mercier (dir.), Géomorphologie de la France, Paris, Dunod, p. 201-214.
-Auberger E., Gély J.-P., Merle D. (2018), « New regulatory tool for the conservation of the geological heritage in France: the Prefectural Decree of the Protection of the Geotope (APPG). Application and feedback in the Yvelines department (Paris basin, Île-de-France) », BSGF Earth Sciences Bulletin, 189 (3), p. 1-17.
-Bétard F. (2017), Géodiversité, biodiversité et patrimoines environnementaux. De la connaissance à la conservation et à la valorisation, Mémoire d'Habilitation à Diriger des Recherches, Université Paris-Diderot, Vol. 1, 270 p.
-Bétard F. (2020), « La géodiversité, une nature abiotique au prisme de la société », in S. Dufour, L. Lespez (dir.), Géographie de l’environnement. La nature au temps de l'Anthropocène, Armand Colin, Collection U, p. 135-146.
-Bétard F., Hobléa F., Portal C. (2017), « Les géopatrimoines, de nouvelles ressources territoriales au service du développement local », Annales de Géographie, 717, p. 523-543.
-Cayla N. (2013), « Des géopatrimoines au géotourisme », Espaces, 315 p. 72-79
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-De Wever P., Le Néchet Y., Cornée A., Lalanne A. (Eds.) (2014), « Géopatrimoine en France », Mém. H.S. Soc. Géol. Fr., n° 14, 180 p.
- Dowling R., Newsome, D. (Ed.) (2006), Geotourism, Oxford, Elsevier, 260 p.
-Giusti C., Calvet M. (2010), « L’inventaire des géomorphosites en France et le problème de la complexité scalaire », Géomorphologie : relief, processus, environnement, 2, p. 223-244.
-Gray M. (2013), Geodiversity: Valuing and Conserving Abiotic Nature. 2nd Edition. John Wiley & Sons, Chichester, 508 p.
-Hobléa F., Cayla N., Berthet J., Billaud Y., Biot V. et coll. (2014), « L'objet emblématique Géopatrimoines : Évaluer, protéger, valoriser : affirmation d'un champ de recherche transversal et collaboratif », in Environnements, Dynamiques et Territoires de la montagne : dix ans de recherche au laboratoire EDYTEM, Collection EDYTEM, n°16, p. 119-142.
- Martini G. (2010), « Les Géoparcs pour une évolution du concept du territoire », Géologie de la France, 1, p. 35-40.
- O’Halloran D., Green C., Harley M., Stanley M., Knil J. (Eds.) (1994), Geological and Landscape Conservation. Proceedings of the Malvern International Conference 1993, Geological Society / Joint Nature Conservation Committee, London, 544 p.
-Reynard E., Brilha J. (Eds.) (2018), Geoheritage: assessment, protection, and management. Elsevier, Amsterdam, 450 p.
-Sellier D. (2009), « La vulgarisation du patrimoine géomorphologique : objets, moyens et perspectives », BAGF-Géographies, 86 (1), p. 67-81.
-Tilden F. (1957), Interpreting our Heritage, Chapel Hill, University of North Caroline, Carolina Press, 119 p.